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Terre des Éléments

Eyleen

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Tout ce qui a été posté par Eyleen

  1. Ah mais... ... c'est pas ça que ... ... je suis pas sûre que ... ... je suis pas prête à ... ... je ne ... ... non rien ... ... rien ... ... plus rien... ... plus rien pour me rendre triste, ou me faire mal, ou rien... ... plus de souffrance, de peine, d'amertume, tout ça est loin, très loin de moi... J'ai vu ce miroitement lui repasser dans le regard, cette lueur fauve, et puis la chaleur tout à coup... C'était trop facile, il n'avait qu'à se pencher un peu plus, j'aurais dû m'y attendre, mais comment aurais-je pu m'y attendre... Il y a deux heures j'étais enfermée en moi-même, il y a une heure je le fuyais, il y a une demi-heure j'essayais de le tuer... et là je respire son souffle... Est-ce qu'il y avait moyen de s'attendre à ça ? Est-ce que ce n'était pas totalement improbable ? C'était censé ne jamais m'arriver à moi, la souillée, la paria, la féroce... Et voilà... le cou ployé en arrière, les yeux mi-clos, les lèvres entrouvertes... Crispée et douce, figée et docile... Contraste violent entre l'immobilité de mon corps, ne pas bouger surtout, ne rien faire qui pourrait le faire s'éloigner, et le tumulte qui me ravage... Le sang qui tourbillonne, la fièvre qui monte en frissons incontrôlables, le souffle précipité... Et mon seul mouvement est de m'entrouvrir davantage... Les mains serrées sur la sienne, convulsivement, pour compenser la souplesse de mes lèvres, pour exprimer la tension, la peur... Parce que j'ai peur... Evidemment. Presque aussi peur que ça s'arrête ou que ça continue...
  2. Rien... Et effectivement, ça ne change rien. De toute manière tout se renverse en ce moment, tout bascule et décolle de tous les côtés, tout s'embrouille... Cet élément-là n'est qu'une pirouette de plus dans le ballet. Beaucoup trop de choses en même temps, j'arrive plus à suivre... Tous ces souvenirs qui me percutent, les accepter comme miens, déjà, accepter aussi mes réactions violentes et les conséquences encore pas très bien mesurées, répondre à ses questions et aux miennes, essayer de mettre de l'ordre dans tout ça, n'y parvenir qu'à moitié et encore, couler au fond de l'étang de l'auto-apitoiement et en remonter au bout de sa main tendue... Et puis j'ai aussi joué à pousse-toi de là que j'm'y mette entre mon front et une racine, aussi, faudrait pas oublier que j'ai perdu à ce jeu-là... J'ai des excuses. Vertige. Décuplé, le vertige. Au moment où il m'a renvoyé la balle sur le terrain de la taquinerie. Il y a eu un bref regard vers ma jambe nue toujours plongée dans l'eau, une sorte de miroitement dans l'oeil, et puis ce demi-sourire... Le frisson me reprend, plus net. Le frisson qui me rappelle d'ailleurs que je tiens toujours sa main prisonnière. Juste là devant moi. Sur le rocher. Entre mes jambes. Houlà... C'est plus du vertige, là... Il vient de me monter un étourdissement brusque, un vrombissement dans les oreilles, pendant un instant j'ai plus vu que du rouge et de l'argent en paillettes. Et le coeur qui pompe à toute vibrure, qui me fait résonner de l'intérieur, un tambour qui sonne à coups sourds et réguliers. J'ai plus de souffle. Je sais plus quoi faire. J'ai peur de le retenir et pas envie de le lâcher. Il est trop près, pas assez près, jamais assez près. Je suis en train de m'égarer en terrain hautement instable, et c'est dangereux. Vite dire quelque chose pour casser ça. Ca devient critique. C'est pas impossible que j'en sache déjà un peu trop. Ah non, c'est pas ça qu'il fallait dire. Et pas sur ce ton-là, non plus. T'as tout faux, 'Nea. Oups... Mords-toi la lèvre un bon coup. Ca réveille. Tu avais parlé d'une deuxième chose ?... Petite voix pointue de gamine innocente, mais non, c'est pas moi qui ai grignotté le gâteau, c'est le chat, tu sais qu'il adore le gâteau... Grands yeux candides pour aller avec, mais non je tremble pas de partout, mais non, c'est pas nerveux. Réponds-moi vite un truc bien sérieux pour rompre cette tension... Ca devient urgent...
  3. Au moment où il se rapproche, j'ai comme un drôle de petit vide tourbillonnant qui s'installe au creux de mon estomac. Une seconde ou deux, pas plus, mais l'effet est... très inhabituel. Un petit vertige, comme quand on monte un escalier et qu'on croit qu'il y a une marche en plus. Une sensation de chute, mais très brève... Puis il parle, et j'ai d'abord un peu de mal à me concentrer sur ce qu'il dit. J'étais encore plongée dans l'ambre et le miel, bien au chaud, il m'a fallu un petit moment pour émerger... C'est parce que sa voix est chaude aussi sinon j'y serais restée. Il est tout près maintenant, je dois lever un peu le menton, et lui il lui suffit presque de chuchoter pour que j'entende. D'abord la confirmation de ce que je supposais à travers certains de ses mots d'avant. Un petit soleil qui s'allume dans ma poitrine, et mon sourire s'affermit un peu. Ce qui vient ensuite me fait ouvrir de grands yeux idiots. Et pourtant ça explique énormément de choses. Cette façon de bouger, de se déplacer, qui est trop souple et trop fluide, trop parfaitement contrôlée pour être seulement humaine. La voix qui peut trancher même en restant si douce, la menace latente qui sous-tendait ses mots parfois, comme le feulement de certains fauves avant que vienne le coup de griffes. Et ces yeux étranges à la couleur unique... Un homme-chat. Je cherche sur ses traits mais je ne vois rien de ce passé. Juste les yeux d'or. Mais il ne me vient même pas à l'idée de mettre ses paroles en doute. J'avais remarqué trop de choses qui le rendaient différent, lui aussi. Et puis il termine ses aveux, et là mon sourire s'étire lentement. Tiens tiens... Je crois même que je ris intérieurement... Salut, Voleur Félys, moi c'est Mercenaire Korgaï... Jolie promotion, Sire... Même si tu n'en as jamais rien affiché... Ma voix revenue est basse et il y affleure une once de taquinerie... Mais le sourire est là pour tempérer les mots... j'espère. C'est pour ça que t'as réussi à me rattraper, en fait. En principe j'aurais du te semer après quelques secondes... Là c'est plus une once, c'est une louche. Un peu de prétention feinte, on sait tous les deux pourquoi je ne l'ai pas semé. C'est étrange quand même de parler si bas... a quelqu'un de si proche... Etrange aussi de noter les accents que prend ma voix... Des accents... très inhabituels. Un peu inquiétant tout ça. Faudrait que je me décroche de son regard... Faudrait aussi que mon sang arrête de me résonner aux tempes... Ca me trouble l'esprit. Il y a donc tant de gens qui savent ?... Et... En fait, qu'est-ce que ça change ? La voix plus douce, plus claire aussi, sans ces inflexions qui sonnaient comme... comme un déhanchement qui provoque. Très très inhabituel. Là c'est à nouveau ma voix. Juste plus faible, vu qu'il n'y a aucune raison de hausser le ton. Un soupçon de dérapage sur les derniers mots, alors que me vient sournoisement à l'esprit une petite question troublante... Pourquoi tient-il à ce que je sache, moi ? Pour me convaincre qu'il est sincère ? Seulement pour ça ?
  4. Un frisson qui m'a filé tout le long du dos. Un frémissement très bref. Elle est chaude, sa main. Douce. Et son murmure... Peut-être que j'en ai trop dit, le choc ou la fatigue, mais je me suis répandue bien au-delà de ce que je comptais lui dire. J'ai perdu de vue certaines réalités, qui je suis, qui il est, ce qui nous affronte au lieu de nous réunir, et j'ai parlé. J'étais tellement plongée en moi-même que j'ai oublié, presque, qu'il n'était pas une partie de moi... Mais nous sommes distincts. Même si il a compris ce que je ne disais pas. Ce qui était derrière les mots, mal dissimulé sans doute, même pas dissimulé en fait, juste tu, par pudeur ou par gêne. Mais c'était là, à fleur de voix, à fleur de regard. Et il sait comment voir au-delà des visages, alors quand le visage est un livre grand ouvert, un jeu d'enfant... Est-ce que je l'attendais de lui ? Pas impossible... Quelque chose en moi qui voulait qu'il sache. La même chose peut-être qui m'a fait un jour lui mettre mes différences sous le nez, pour provoquer une réaction qui n'a jamais eu le temps de venir. J'ai trop parlé, oui, j'en avais trop besoin, il fallait que je dise ces choses-là à quelqu'un. Et je ne vois qu'une autre personne à qui j'aurais pu les dire, deux, peut-être, mais c'est lui qui était là. Et c'est très bien comme ça. C'est lui qui devait entendre ça, le recevoir. Je me fous du pourquoi, c'est comme ça et c'est tout. J'ai toujours les yeux baissés sur ma main, recouverte et serrée à présent par la sienne. Ma main refermée sur ses doigts, mais c'est une prise précaire. Mon autre main délaisse la marque et glisse. Trop craintive pour le saisir franchement, elle dérape un peu sur le côté, hésite, se crispe et se cramponne. Voilà. Un peu plus solide comme ça. Je ne veux pas qu'il me la reprenne trop vite, cette main, la chaleur qui me vient par elle m'est bien trop nécessaire. Il faudrait peut-être que je respire... J'avais arrêté, c'est idiot. Une grande inspiration un peu saccadée, qui me redresse un peu les épaules et le front. L'air qui m'emplit sent bon l'eau et la forêt. Les choses sereines et vivantes. J'ai glissé un regard à travers les mèches qui me pendent devant le nez, un regard comme ma main, qui tâtonne, hésite, qui vibre un peu trop. Croisé ses yeux à lui, vite, peur de s'attarder, envie pourtant de revenir, mais il se passe trop de choses dans ma tête pour oser lui en donner l'accès. Et pourtant je m'y fixe, protégée à demi par un voile de cheveux providentiel. Piégée comme un papillon imprudent qui aime trop le miel. C'est un peu de cette couleur-là, qu'ils sont, ses yeux, en ce moment. Du miel... Ne pas rester figée comme ça, immobile, dis quelque chose, ou fais quelque chose. Je souris. Un sourire maigre et pas très assuré, mais un sourire. Ca veut dire merci. Mais j'ai le coeur dans la gorge, ça me bloque tous les mots. C'est idiot.
  5. Triple salto arrière dans un vide vertigineux. J'aurais voulu acquiescer quand il a dit "on bouge", pas eu la force. Puis il y a eu ce mouvement trop rapide, trop soudain, trop ample surtout. Ma tête a chaviré vers l'arrière, roulé de côté, j'ai décollé loin au-dessus du buisson de fleurs jaunes. Qu'il est petit ce buisson... J'étais là ? Si loin en bas ? Vertige... Si loin... La tête qui roule encore et les genoux qui s'effacent, je sens que je heurte son épaule du front, que je glisse, lever un bras pour me rattrapper à son cou, non, trop lourd le bras, trop lourde la tête, tant pis... Le sol m'appelle à nouveau, les genoux qui se posent en douceur, chute amortie, retenue, il me fait mal son bras, il serre fort... La tête qui ballotte encore, côté, arrière, les feuillages et le ciel au-dessus, éblouissant, et je rigole doucement, je rigole parce que je me sens ivre de fatigue et de vertige, et que tout-à-coup je trouve tout ça très drôle... ...non... ... peux pas... C'est con quand même... Mais c'est drôle, sa façon de froncer les sourcils... Mal à la tête... Geignement. Ca me fait moins rire, ça...
  6. La nuit est silencieuse. Les oiseaux, les insectes, tout se tait, le silence est presque complet, surnaturel. J'aime ce silence, et la lune. Ses reflets fugaces sur le métal, dans les yeux. Les froissements d'étoffe, les longues capes noires qui frôlent le sol et les buissons, le cliquètement ténu des armures. Ils ne parlent pas. Ils avancent ensemble, une longue colonne qui s'étire entre les troncs noirs. Je me suis retournée sur leur passage. J'avance comme à mon habitude, un peu à l'écart, sous le couvert des arbres. Les mains vides qui traînent sur les frondes des fougères. Je savoure le silence qui accompagne mes pas, la sensation que la terre me porte et s'ouvre devant moi, ces chemins qui se dessinent pour moi seule entre les buissons et les branches. L'air de la nuit, loin des souffles sulfureux des enfers. Je m'en repais... Accessoirement, j'ouvre l'oeil et je guette tout signe, même léger, de présence suspecte, de passage humain. Je sais que sur l'autre flanc de la colonne, les autres éclaireurs font de même. J'ai pris trop d'avance au coeur de la forêt, et je me suis arrêtée pour les attendre. Ils passent dans les rayons de la lune, que les feuillages filtrent... Tous. Pas un ne manque. Et leur marche muette, leurs visages graves, disent la tension qui vibre en eux en cette heure décisive. La conscience que ce qui se jouera cette nuit peut faire basculer le monde. Je reprends ma progression, et la forêt se teinte d'un feu étrange. La lueur bleutée de la lune s'estompe devant une autre lumière, diffuse, mystérieuse... Brume transparente et pourtant si épaisse qu'on pourrait l'entendre, presque... comme le son d'une corde d'arc qui se détend. Le son d'une lame qui émerge. Un son inaudible mais qui court sur les nerfs, irritation, exultation, impatience... Nous approchons, et je sens les éclaireurs se rapprocher de la colonne. Rejoindre l'armée des Enfers, en marche derrière celui qui les conduit. Les ruines émergent de la végétation, ici et là, ces pierres trop régulières pour n'être pas façonnées de main d'homme. Ces pierres qui vibrent d'un pouvoir ancien, oublié. Mais pas par tous... La lueur vient de là, derrière ce portique noyé de lierre. Elle vient de derrière eux, ils nous attendent. L'Empereur s'avance vers eux, et sa voix s'élève. La Dame des Ombres le rejoint. La lumière étrange les attend au-delà du portique. Les troupes se sont rejointes, mélées, les Enfers et les Ombres. Certains regards se croisent et se reconnaissent. D'autres restent masqués dans l'ombre du capuchon. Comme le mien. Je suis des yeux l'Empereur et la Dame, comme ils montent côte à côte les quelques marches baignées de ce vert froid. Cette lueur qui vibre tout le long de mon dos. Je veux les voir encore. Quelques pas pour m'éloigner du groupe, un espace dégagé un peu surélevé. Je vois les silhouettes vêtues de noir, rassemblées aux pieds des marches. Et ces deux formes sous le portique de pierre. Un cran de plus dans la tension. J'attends. J'attends les yeux étrécis pour percer la lumière. Elle pulse légèrement. Au même rythme que mon coeur. Juste un rien trop rapide.
  7. Je souris. Mais ce n'est pas un sourire de joie, oh non. Il fait mal aux lèvres ce sourire. Puis mes yeux se perdent dans le vague, à nouveau... Un vague signe sombre sur mon bras droit. Je ne sais pas... Hier, ou encore ce matin je me battais pour ne pas avoir le temps de réfléchir. Ou parce que Ca m'en donnait l'ordre... Peut-être que je me battais par rancune sans savoir à qui et pourquoi tenir rancune. Peut-être que je me battais parce que c'est tout ce que je sais faire... ... Je ne sais pas, maintenant. Les Enfers ne défendent aucune cause. Ils obéissent, et c'est tout... Les ordres viennent des généraux, ou de Ca... Coup de menton vers la marque... Quand elle devient rouge et brûlante, je me sens comme elle, rouge et brûlante, emplie de rage et de fureur. Là elle est noire et desséchée comme un vieux bout de bois brûlé. Et je me sens comme elle. Un vieux bout de bois brûlé... Je n'ai plus besoin de me battre pour oublier. Il reste... les ordres. Frapper qui et quand l'Empereur le décide. Frapper qui menace un des nôtres. Frapper au hasard dans la folie rouge de la marque... Frapper, frapper, frapper... Mourir parfois. Aussi. Je me sens tellement vide... Morne, terne et sans but... Fatiguée de tout... Fatiguée à me rouler en boule entre deux racines, et dormir, sans en avoir rien à foutre que le premier justicier venu puisse m'occire au passage... J'avais une famille, une foi, un idéal. Quelque chose à défendre. Ma famille, maintenant... C'est une famille dont les membres ne se parlent pas. Ils partagent la même atmosphère sulfureuse, la même ardeur au combat. Pour la plupart d'entre eux, la soif du sang et cette dévotion aveugle pour un être qui ne leur a jamais parlé... Poussés en avant par leur foi, ou par leur propre violence. Et je marche à leurs côtés. Et je ne sais même pas pourquoi. Juste que là, maintenant, je n'arrive pas à touver un sens à tout ça... Quand est-ce que j'ai choisi de les rejoindre ? Est-ce que c'est quand j'ai eu envie de déchirer le monde pour qu'il ait aussi mal que moi ? Envie de le transformer en désert de cendres sillonné de crevasses, à l'image de mon coeur à moi ? Je ne me souviens pas... Je ne me souviens pas de comment je suis arrivée là... Des images confuses et des sentiments violents, de la peur et de la haine. Je ne sais même pas pour qui, tout ça... Peur d'eux, oui, et la haine, envers tous... Moi en premier, elles ensuite. Et puis le reste du monde, chacun son tour, poussez pas, y'en aura pour tout le monde... Qu'est-ce qu'il reste de tout ça à présent ? Qu'est-ce qui me tient encore debout, en vie ? La peur a fondu, la haine a fondu aussi, qu'est-ce qui me reste ? La case départ, seule à l'abri dans le fond de mon capuchon, bien loin du regard des autres ? Bien loin du danger des autres ? Est-ce que c'est possible, seulement ? Après avoir connu ces femmes et leurs sourires, cette vie trop brève au milieu d'elles, cette peur qu'on a de perdre quelque chose de cher... C'est un vide en moi, une déchirure. Quelque chose qui n'était pas là avant. Quelque chose qui change tout... Et puis, il y a Ca, aussi... Cette marque, une entrave et un lien, une compagne... Et si c'était vraiment tout ce qui me reste ?... Je la caresse à nouveau, les yeux baissés, les cheveux devant la figure. Pour me rassurer, pour me convaincre, je ne sais même pas... Pour m'accrocher à quelque chose de réel... Et surtout respirer profondément, calmement, sinon je vais me mettre à pleurer comme un veau.
  8. Je viens de me rappeler que justement j'ai piscine... (nan mais c'est parce que je suis allergique au scalpel modératoire, surtout quand il ampute sans prévenir) (ça m'est encore jamais arrivé mais je tiens à mes dix doigts.)
  9. ... ni sa notion du HRP... Je te croyais plus mesuré, Tyty...
  10. Me rendre heureuse... La bonne blague. Est-ce que j'étais heureuse ? Sincèrement oui, je l'étais, même quand tout ce que nous construisions était menacé, parce que j'avais quelque chose à défendre. Quelque chose en quoi croire. Et puis tout s'est envolé hors de ma portée, brutalement. C'est ça le bonheur ? Quelque chose que l'on perd ? C'était la première fois que je ressentais ça. Et la première fois aussi que je souffrais autant... ... quoique ça c'est inexact. J'ai passé de sales moments à la fin de l'enfance, quand j'ai compris pourquoi on me parlait si peu, mais j'étais très jeune, à la fois plus vulnérable et plus forte, et j'ai guéri... ... et ça aussi c'est inexact. J'ai pas guéri. Sinon je ne serais pas devenue à moitié folle quand leur départ m'a frappée exactement au même endroit. Le morceau de coeur qui a besoin des autres... besoin de sourires, de contacts, de partages. J'ai la tête qui tourne. Trop de pièces du puzzle qui tombent en place en même temps, l'image qui apparaît me heurte... L'image qui me montre telle que je suis, sans les illusions. Sans la carapace. Il y a ceux qui sont seuls parce qu'ils aiment ça. Et puis il y a ceux qui sont seuls parce qu'ils n'ont pas d'autre option. Et au bout d'une vie de solitude j'ai connu ces autres qui m'ouvraient les bras. Et j'ai été heureuse. Parce que je suis de la deuxième sorte. Et si je les ai maudites, c'est parce que j'ai souffert de ça, plus que si j'avais poursuivi ma route en solitaire. Maintenant que je connais cette souffrance, est-ce que je reprendrais le risque ? Est-ce que ça le vaut ? Est-ce que la peur ne viendrait pas entacher la joie ? Est-ce qu'elle peut même se représenter, cette joie ? Il a l'air de penser que tout est possible... J'aimerais le penser aussi... Mais j'ai encore trop mal pour ça. Trop peur... Une remarque qui sonne comme une question, je lève les yeux, il regarde mon bras, la main qui le frotte machinalement... Chez eux... Un petit bout de rire, sec et désabusé. M'accepter comme je suis... Oui, ils m'acceptent comme je suis. Parce qu'ils se foutent pas mal de ce que je suis, en fait... Je ne crois pas que ça les intéresse. La façon dont je tiens l'épée les intéresse, et rien d'autre. Et c'est très bien comme ça... Je suis juste... un chien de la meute. C'est tout. Et c'est tout ce que je voulais être... Un chien qui ne se souvient pas qu'il était autre chose. Mais un chien vicieux, sournois, qui attend son heure. Un chien qui mordra la main qui l'a battu. Oh oui... Il y en a un à qui je garde une dent, et même plusieurs, les plus acérées, les plus pointues... Il n'est pas question de bonheur, là en bas... Pas pour moi en tout cas. Maintenant peut-être que certains d'entre eux aiment être ce qu'ils sont, je ne sais pas... Mais tu te doutes que ce ne sont pas des gens à faire dans le sentimental... Pas comme elles... L'opposé d'elles, en fait. Etrange que le hasard m'ait justement conduite au milieu d'eux... Après le pacifisme, la violence aveugle. Après la droiture et la loyauté, l'absence totale de valeurs. Après l'union égalitaire des forces, le totalitarisme d'un seul. D'un seul qu'on ne voit jamais. Un dieu, disent-ils... Jamais vu aucun dieu là en bas. Juste parfois, la marque qui devient rouge et je redeviens une bête grondante et furieuse. La bête qui s'est jetée au milieu d'eux, les yeux fous... La louve enragée avec le flanc qui saigne... ... Trop de choses en même temps, j'ai le vertige. Après leur départ et ma fuite, tout est confus, je ne sais plus, ce n'est qu'un enchevêtrement de visages, les traits austères du nécromant, j'avais ciblé celui qui me paraissait le plus dangereux, et c'était leur empereur, comme par hasard, bien vu la louve. La face empreinte de folie du Juge, ses yeux comme des brandons. D'autres visages entrevus comme dans une brume. C'est devenu plus clair ensuite, mais voilé d'irréel... Comme un cauchemard dont on s'éveille tout juste. J'ai une petite pièce du puzzle en main, je la tourne et la retourne, sans savoir qu'en faire... Pourquoi ne suis-je pas revenue à moi aux pieds de la recycleuse, cette fois ?... ... Mal au crâne, ça y est. Même pas surprenant. J'arrête de frotter la marque, je me penche pour plonger la main dans l'eau fraîche et le frais me fait du bien quand je passe la main sur mon front, sur la tempe qui commence à me lancer. Soupir. Epuisement... Tu crois vraiment que c'est pour m'épargner qu'elles ne m'ont pas avertie ? Pourtant elles savaient... Tally savait. Toute mon histoire. Comment imaginer qu'elle ait pu croire que c'était mieux de ne rien me dire ? Je relève les yeux sur lui, ils me font mal, mes yeux. Je voudrais tellement le croire... Est-ce qu'il dit ça pour m'apaiser, seulement ? Ou bien est-ce qu'il en est convaicu ?... Si seulement...
  11. Il y est revenu. Et pire encore, je me prends des coups de poignard entre les côtes et il ne s'en rend même pas compte. Ma croyance en mes soeurs... Mes soeurs... J'ai grimacé sur ces mots-là, je crois, et baissé les yeux sur l'eau pour faire passer la brusque poussée de douleur dans la poitrine. J'écoute la suite, immobile. Et ça fait mal aussi d'entendre ça. J'ai les yeux baissés, facile de les faire glisser jusqu'à mes bras tendus l'un à côté de l'autre. Mon avant-bras droit et cette marque sombre, un peu en relief. On dirait une brûlure... Et parfois c'en est une, quand elle devient rouge vif et brûlante et qu'elle appelle le sang. Je lève la main gauche et je la passe dessus, pensive, comme si ça pouvait l'effacer. Elle est étrange, cette marque. Je suis toujours un peu surprise de la redécouvrir là... Je repose ma main sur la pierre, reporte mon poids sur mes deux paumes. J'aurais peut-être mieux fait de ne pas relever les yeux à ce moment-là. La vibration dans sa voix, cette sorte de fièvre aurait du m'avertir. Mais c'est fait, c'est comme ça. Et je me souviens trop tard que son regard est souvent plus intense encore que tout ce qui peut vibrer dans sa voix. Et je tombe dedans la tête la première. Parce qu'il y a trop de peine dans ce regard, et cette incompréhension, ce besoin de savoir sont entièrement tournés vers moi. Et ça c'est un autre coup. Quand j'ai essayé de lui faire comprendre ce que j'étais, j'étais tenaillée d'angoisse. Je ne le croyais déjà pas capable de comprendre, à ce moment-là. Et maintenant ? Ce que je suis maintenant ? D'ailleurs qu'est-ce que je suis, au juste ?... Les innocents... Qui est innocent ici ?... Même ceux qui devraient être les chevaliers de ce monde ne sont que des bouchers. Et même parmi les tiens, Nadhir... Mais la question n'est pas là, pas vraiment, pas encore. C'était juste pour gagner du temps. Ce n'était pas la même peur. Je me suis enfuie et je t'ai attaqué parce que je ne voulais pas que ça arrive. Et c'est arrivé quand même. J'avais réussi à... à tenir jusqu'à maintenant mais ça devenait plus difficile et... Et c'est incompréhensible. Alors tu arrêtes, tu expires et tu essaies d'être claire. Autant pour toi que pour lui, c'est l'occasion de faire le tri, la part des choses. Il le faut. Je passe une main rapide devant mon visage, cale derrière l'oreille une mèche qui s'empresse de retomber, et je l'en remercie... C'est plus facile de parler comme ça... Ce n'est qu'un maigre obstacle mais il atténue un peu l'impression que son regard me touche pour de vrai. J'avais oublié, tout. Sur le moment, je veux dire. Et comme ça faisait moins mal j'ai préféré continuer à ne pas me souvenir. J'ai la voix sourde et voilée. J'espère qu'il entend. Je crois qu'il entend. Mais à chaque fois que je rencontrais quelqu'un d'avant, ça s'éveillait. Et je savais bien que toi... Gorge sèche. Je savais bien que tout s'écroulerait avec toi... Sourire-grimace. J'avais raison... Tout est là à nouveau. Comme quoi j'étais bien avisée d'avoir peur de toi... Une seconde ou deux, je replonge dans le noeud de l'histoire, le moment où tout a sombré, c'était un matin magnifique. Un matin horrible. J'aurais jamais cru... J'aurais jamais cru que tout pouvait changer aussi vite. L'heure d'avant elles étaient là. Et puis brutalement, plus personne, plus rien. Le vide. Et pas un mot pour expliquer. Je ne sais même pas où elles sont allées. Je ne sais même pas pourquoi elles sont parties... ni pourquoi... pourquoi elles n'ont pas permis que je les suive... Et ça fait mal de dire ça... Ca fait mal de l'entendre sonner dans l'air, même faiblement, alors que je ne pensais pas le dire tout haut. Mal de donner à ça la réalité des mots. Et de me souvenir de la suite aussi, la course folle à travers tout, la furie aveugle, l'envie de casser quelque chose, et l'impulsion auto-destructrice, tant qu'à détruire, autant détruire quelque chose qui ne vaut rien, quelque chose de déjà fracassé. C'était un hasard si je suis tombée sur eux... Ca aurait pu être n'importe qui, j'aurais foncé dans le tas, pareil... Je ne sais pas quand j'ai piqué du nez au juste. Mais j'ai piqué du nez, et me revoilà à regarder cette marque, à la frotter de la main, comme une cicatrice. Du reste c'est un peu ce qu'elle est...
  12. Evidemment qu'il n'accepte pas cette réponse. En tout cas il n'accepte pas de s'en tenir là. C'était à prévoir. Et maintenant ?... Sachant qu'il a tapé direct dans le sujet délicat, on fait quoi ? Bon, déjà on se donne le temps de réfléchir en touillant du pied dans le bassin d'eau fraîche. Ca fait des petits reflets qui bougent, c'est joli... On resterait bien là à contempler les petits reflets qui bougent, non ? Non ? Pffff... T'as vraiment pas l'âme d'un poète... Tiens, j'ai soupiré en vrai. Bon, ben on plonge alors. Mais en maugréant quand même un petit peu. J'ai toujours eu peur de toi. Fais pas comme si tu ne t'en étais pas rendu compte... Chez Merr-Aos, j'étais à ras de prendre la fuite à chaque seconde tellement ça me terrorisait d'être là. Et c'est pas ce bon vieux Papy Kaernos qui me foutait la trouille. C'était toi et la foutue inflexibilité que tu caches si bien sous des manières courtoises et des mots de velours. Mais ce jour-là, il était mince le velours, et on voyait l'acier à travers. Un acier à reflets dorés au fond des yeux. Un acier qui tranche derrière la voix qui restait douce. Et puis les confidences... Pourquoi tu crois que je te les ai faites ? C'était pour que ça fasse mal tout de suite de te voir grimacer de dégoût ou pire. Bon, c'est pas arrivé. Mais ça aurait dû arriver. Je ne comprends pas encore très bien ta réaction. Ou ton absence de réaction, plutôt. Mais j'en avais peur évidemment. Evidemment... Ah bon. Stop. On arrête de gratter ce mur-là, les briques pourraient tomber. Il devient urgent de dévier sur un autre sujet de conversation. Ta faute, non, je ne crois pas. Mais je suis une combattante, moi, pas une politicienne. Sur ce terrain là, je pars perdue d'avance. Donc je ne vois pas trop en quoi ça te surprend. Ca y est je tiens ma bifurcation. Ouf ça soulage. Et puis on est ennemis depuis la première fois où on s'est croisés. D'ailleurs pour autant que je sache tu aurais déjà dû me tuer trois ou quatre fois. Hop, mâchouille un peu celle-là pendant que je renforce le mur. Quelques secondes, c'est presque rien mais mieux que rien quand même.
  13. Ca c'est salaud. Carrément prise au dépourvu, là. Je m'attendais pas à ce que l'assaut commence aussi brusquement. Déjà je dois vraiment me retenir de grogner, gronder, geindre ou jurer comme un charretier. Rien que l'extension de mon pied me donne envie de bouffer mes phalanges. Et c'est maintenant qu'il attaque ? Je lui balance un regard indigné et... et ? Et... Il me semblait que j'allais protester moi... Si, une histoire de questions, je sais plus trop ce que... Une seconde de néant complet dans ma tête. Toute idée cohérente s'est enfuie, évaporée... C'est le frisson de peur qui me réveille. J'ai peur de lui. Je préférerais franchement affronter trois gros guerriers velus que le seul regard de cet homme, même avec la certitude de me faire envoyer ad patres en deux secondes et six dixièmes... Le frisson me secoue... Et mon pied se libère. Je l'avais carrément oublié celui-là. Il glisse hors de la botte, m'arrachant un cri au passage, surprise et douleur. Et soulagement. Et puis consternation. Gonflé, et presque noir sur le côté externe. Epanchement de sang. Mauvais. Je gigote les orteils, essaie de bouger d'avant en arrière, d'arrière en avant, sur le... Non, pas sur le côté. Oh la VACHE ! J'ai tout vu en bleu-noir pendant un instant... Je remonte la chose vers moi, en pliant la jambe. Je le dépose avec précautions sur le rocher. Puis je tatonne du bout des doigts... Geignement à travers les dents serrées... Eh merde, je ne me suis pas ratée, là. Pas de fracture, en tout cas je ne crois pas. Mais une entorse majuscule. Peut-être des déchirures. Mon front sur mon genou une seconde, le temps que ça s'apaise un peu. Puis je redéplie la jambe, et descends mon pied jusqu'à l'eau de l'espèce de petit bassin peu profond juste à côté du rocher. Soupir-gémissement. Froid ! Je continue à descendre jusqu'à ce que ma cuisse repose sur le caillou. J'ai de l'eau jusqu'au mollet et la tête qui tourne. Je me relâche enfin, penche le buste en avant, les deux mains appuyées entre les jambes sur le rocher, coudes tendus, je laisse pendre la tête un moment... Pfiouh... Ca fait du bien quand c'est engourdi... Je respire profondément, lentement... Puis je relève le nez et je réponds. J'essaie de contrôler ma voix, de gommer toute ombre de sarcasme ou d'ironie qui pourrait s'y glisser malgré moi. Il ne faut pas qu'il puisse comprendre de travers. Un flash, me revoici dans la demeure des Kaernos, démunie, seule, mal à l'aise dans cette robe qui ne m'appartient pas, le visage à découvert. Un bout de roseau qui essaie de résister à une tempête d'été. Ses yeux avaient exactement le même éclat. On fuit quand on a peur, d'habitude. Tu m'as fait peur, et j'ai fui. Tout simplement. La vérité toute nue, toute simple. Lisse et claire comme la surface d'une eau tranquille.
  14. Des questions... Oui je me doute qu'il en aurait posé. On peut aussi poser des questions à un rocher. Il y a cependant peu de chances qu'il réponde... La perspective change brusquement, une traction, et me voilà debout, mal assurée sur un pied valide, serrant les dents à l'idée de poser l'autre sur le sol. Et comment que je vais m'accrocher à ton épaule, il va juste falloir que je fasse attention à ne pas y planter mes ongles quand je... trop tard, désolée. J'ai posé le pied, j'ai eu mal, j'ai crispé la main... Heureusement que la cape de voyage qu'il porte est épaisse... Je respire profondément, trop vite, le temps que la douleur reflue, et c'est pas fini, il va falloir marcher maintenant. Même en reportant mon poids sur ma béquille humaine, je crois que je vais déguster... Et c'est tant mieux. Ca détourne mon attention d'une proximité aussi soudaine qu'incongrue. Le monde est devenu dingue. Il y a cinq minutes j'essayais de l'égorger. Et là il m'enlace et me soutient en me guidant vers un petit coin de ruisseau parfaitement charmant, rochers gris et lisses dans leur écrin de mousse, fleurettes mauves et feuillages odorants. Manque plus qu'un petit lapin aux oreilles roses pour complèter le... tableau. Presque. La bestiole qui détale devant nous est un écureuil roux. Je glousse brièvement. Ce serait écrit dans un livre, le lecteur trouverait qu'on exagère... Trève de béatitude bucolique, je crève de mal, j'ai des perles de sueur au front et je tremble de partout. Cramponnée à son épaule droite, j'ai agrippé son poignet gauche aussi pour essayer de m'équilibrer, et utiliser ce foutu pied le moins possible. Mais j'ai l'impression d'avoir la cheville en papier. Du papier qui ferait mal. Oh misère... Rien de cassé apparemment, mais je commence à me demander comment je vais arriver à quitter cet endroit... Je souffle comme un coureur de fond quand il me dépose enfin au bord de l'eau sur un grand rocher plat. J'enrage. Une stupide entorse ou quelque chose comme ça, et je me retrouve aussi vulnérable qu'un nouveau-né vagissant. C'est ridicule. J'ai besoin d'une seconde ou deux pour lui répondre tellement j'ai le souffle court. Je vire les cheveux collés sur mon front d'un revers de main rageur. Je regarde ma cheville gauche avec un air de rancune. Traîtresse. T'avais pas le droit de me lâcher. Tu vas voir ce que tu vas prendre. Je suis tentée de lui répondre oui, un coup sec et sans ménagement, mais je me déballonne au moment où j'ouvre la bouche. Euh... Plutôt doucement, je préfère... Je cale mon pied droit contre un rocher plus petit, plaque les mains sur la surface rocheuse et je me prépare à crier après ma mère. Façon de parler. Si je lui criais après, en admettant qu'elle vive toujours, ce serait pour l'injurier de m'avoir donné cette foutue vie qui aboutit ici à ce qu'un ennemi d'hier et d'aujourd'hui se prépare à me faire mal pour mon bien. C'est pas permis que le monde soit aussi dingue. Je proteste. Même si tout le monde s'en fout. Tu parles d'une question facile... Rien de tel qu'un petit grognement pour vous donner du coeur au ventre. Je t'en prie. Et fais-moi bien mal, j'adore ça... Je rigole. Mais j'ai jamais serré les dents aussi fort. Allez ma vieille cette fois tu vas essayer de rester digne, d'accord ?
  15. Je ne baisse pas les yeux, quand il parle de la dague. Je ne m'excuse pas non plus... Ca n'aurait aucun sens. Par contre, je glisse la main droite sous mon genou, pour sortir l'autre dague, geste calme et lent, sans équivoque. Et je la lui tends, manche en avant. Voilà. Inoffensive, maintenant... Je baisse le bras. La marque... Je sais qu'il l'a regardée aussi. Comme moi. Puis je tâte mon pied à travers la botte, et je grimace un peu. C'est engourdi... Mais quelque chose me dit que je ne vais pas rigoler quand il s'agira de retirer cette botte... Autre grimace. Je réfléchis quelques secondes, je regarde autour de moi, j'écoute... Oui, c'est bien ça. Le ruisseau est proche, je l'entends faiblement. J'ai du tourner en rond dans ma fuite... Soupir. Eh ben y'a plus qu'à. Je relève le nez, bref élancement derrière l'oeil... Je le fixe à nouveau, calmement. Un maigre sourire... On fait une belle paire d'éclopés... Grimace à nouveau. Les yeux dans le flou, un instant... Ca ne sert à rien de tergiverser. Je te propose un marché. Aide-moi à aller jusqu'au ruisseau pour que j'y mette cette cheville au frais. Et tu pourras poser toutes les questions que tu veux. Je ne sais pas si j'ai toutes les réponses, mais j'essaierai. Tes questions et les miennes... Une notamment, qui commence à me faire peur. Comment continuer après ça ?...
  16. L'eau est fraiche... L'air frais aussi sur ma peau humide. Ca me dégouline un peu le long de la joue, ça fait mal, mais ça fait du bien, c'est quelque chose de réel, de tangible. J'ai relevé un tout petit peu la tête quand il a écarté la masse de cheveux qui m'était tombée devant le visage. Mais j'ai pas encore relevé les yeux... Pas le courage pour ça... J'arrive déjà pas à affronter mon propre jugement, pas encore. Alors le sien... Pas maintenant. Peut-être jamais. Le contact du chiffon mouillé qui passe et repasse sur mon front... ça m'apaise... Je me souviens que je caressais comme ça la tête du loup quand il grondait les nuits de grand vent, quand ça hurlait dans les cavernes. Pour le rassurer lui. Et moi. Il se couchait et posait sa grande tête sur ses pattes, fermait à demi ses yeux dorés. Ca m'arrivait de m'endormir le nez dans sa fourrure, parfois. J'aimerais avoir un loup près de moi pour pouvoir me rouler en boule et dormir dans sa chaleur... Tellement fatiguée... Quelques mots neutres, prononcés à mi-voix... La tête dure... Est-ce qu'il parle du coup de racine dans le front ou du reste ? J'ai un maigre sourire, fugace. Les joues mouillées, pas seulement de l'eau du chiffon. Les yeux dans le vague... Je laisse les images passer et repasser comme son bras passe et repasse devant mes yeux. Les douces qui me font mal parce qu'elles sont perdues. Les horribles qui me font mal parce qu'elles sont horribles. Sur celles-là j'ai parfois la bouche qui se crispe, ou les paupières ou le front. Elles me possèdent, et moi je reprends possession d'elles. Mes images à moi... Les secondes s'écoulent... Je me laisse aller contre le tronc, la tête contre l'écorce, ferme les yeux un instant... Long soupir, très lent... Mal dans les côtes, mal au ventre, mal au coeur. Inspirer ça fait mal, expirer aussi. Vivre. Je voudrais être à nouveau toute petite et m'endormir entre les pattes du loup... Le chiffon passe et repasse, pourtant la blessure doit être propre à présent. Je rouvre les yeux. Son visage est tout proche, il est pâle, et ces yeux étranges qui lisent l'âme des gens... Je me demande ce qu'il lit de moi en ce moment. Ses mots durs me reviennent, il me provoquait pour que je lui réponde, pour que je lui dise où était cette 'Nea qu'il cherchait. Mais laquelle cherchait-il ? Il y a celle qui était seule et qui n'en souffrait plus, celle qui était au milieu d'elles et se sentait enfin complète, et puis celle de maintenant... Seule à nouveau. Et puis celle de ce matin-là. Folle de rage et de chagrin, folle à lier, à abattre. Juste assez consciente de ça pour me jeter dans le premier noeud de serpents venu, avant de risquer de trucider le passant lamba qui aurait l'infortune de croiser ma course frénétique... Et j'ai trouvé les serpents. Mais c'étaient des dragons... Et ils m'ont gardée dans leurs griffes. Je fixe le visage devant moi. Toute calme. Du reste pourquoi est-ce que je m'agiterais... Le tuer, c'est devenu complètement superflu. Et je n'en ai pas envie. M'enfuir, pour aller où, et surtout comment, avec cette cheville qui me lance. Mes démons sont en moi, je pourrais fuir n'importe où, ils me suivront. Ils ne m'ont jamais vraiment quittée. C'était idiot... Alors ce n'est plus vraiment la peine de continuer à l'éviter, non plus. Plus trop la peine de détourner les yeux... Pour lui cacher quoi de toute manière ?... Pour me protéger de quoi ?... Tout est joué, le mal est fait. Ou le bien. Ou peu importe. Je ne jouerai pas à imaginer que ça pouvait durer indéfiniment... Merci... Ca va mieux. C'est pas tout à fait vrai. Le filet de voix cassée en témoigne. Mais ça finira par être vrai un jour... Occupe-toi de ton bras, plutôt. Tu saignes. Tiens, je redeviens bourrue. Déjà ?
  17. ...oui... Sert plus à rien de faire semblant... Faire comme si c'était pas moi, comme si je ne me rappelais pas, comme si ça ne me détruisait pas... Plus la peine de jouer à celle qui serait capable de lui tenir tête et même de l'éloigner. Celle qui est forte et qui se fout de tout, même de la souffrance. La tête qui pend en avant, le bras tombé comme un chiffon. Immobile, inerte, pesante. Je me souviens. Depuis le premier regards d'améthyste qui se détourne de moi, jusqu'aux yeux sombres d'un nécromant qui me regarde mourir. Tout. On dit qu'une blessure mal nettoyée se referme trop vite et s'infecte. Quand on crève l'abcès, c'est trop tard, ça sent la charogne. Cette dernière blessure-là... Elle n'échappe pas à la règle. Rouverte à présent, elle suinte en moi ses fluides ignobles et empoisonnés. Et si la douleur est plus sourde que celle que j'ai sentie ce jour-là, c'est parce que la chair autour a commencé à mourir. Parce que j'ai crevé de mal, ce jour-là, hurlé de mal, pleuré comme j'avais plus pleuré depuis l'enfance. Mais pas assez... J'ai serré les dents beaucoup trop vite. Fermé la blessure, cachée sous la violence et la rage. Couverte d'oubli bien épais... Juste assez de forces pour essayer de tenir tout ça à distance encore un petit instant, juste le temps de me préparer à plonger le scalpel bien profond. Trifouiller la chair et enlever ce qui pue. Trouver le vif, faire saigner un bon coup. La seule solution. Inspire, bloque. Et laisse venir. Imbécile. Si t'en crèves maintenant c'est uniquement de ta faute. Parce que tu savais que c'était dangereux de t'attacher à elle. Aimer c'est toujours prendre le risque d'être abandonné, oublié, trahi. Tu le savais. Tu leur as fait confiance et tu t'es trompée... Le matin où tu es revenue tu as récolté ce que tu as semé, rien de plus. Une preuve de ton propre échec, de ta propre naïveté. Comment as-tu pu croire, 'Nea, comment as-tu pu croire qu'elles étaient sincères... Et tu ne comprends toujours pas pourquoi. Ni pourquoi elles sont parties, ni pourquoi elles t'ont acceptée si longtemps auprès d'elles. Tu n'auras jamais la réponse. Accepte ça et creuse. Leur amitié et leurs sourires étaient faux, comment pourrait-il en être autrement, alors qu'elles ont quitté les lieux sans même un regard ou un mot, sans se préoccuper le moins du monde de ceux qu'elles laissaient en arrière. Il y avait d'autres Roses, éparpillées maintenant aux quatre vents... Oubliés comme toi. Mais tu les as oubliés toi-même, plongée jusqu'au nez dans ta propre douleur, dans ta propre colère, tu les as oubliés. Tu ne vaux pas mieux qu'elles. Accepte ça et creuse. Parce c'est comme ça depuis le début, 'Nea. Depuis le début de ta vie maudite. Tu le sais depuis que tu sais pourquoi ils ne te parlaient pas comme aux autres, ne te souriaient pas comme aux autres. Là où les enfants étaient des cadeaux des Dieux, tu n'étais qu'une aberration, une chose vaguement menaçante, vaguement dégoûtante, la disgrâce pour ta mère, repoussée si longtemps par les siens. Elle est rentrée en grâce au bout de quelques années, ils avaient trop besoin d'elle. Mais pas toi. Personne n'a jamais eu besoin de toi. Tes amies les Roses... un joli rêve d'enfant, une soif de toute une vie, enfin étanchée, tu y as cru, Yllanea la bâtarde, tu as cru à leurs sourires, tu voulais tellement y croire... Tu as baissé ta garde, ouvert les bras. Tu serais morte pour elles. Tu meurs, oui. Et c'est de ta faute. Accepte ça et creuse. Regarde-toi, maintenant. Un tas pitoyable et tremblant, saignant de partout, intérieur et extérieur. Une chose informe qui ne se débat même plus. Dépassée, vaincue. Vide et déserte, juste l'écho lointain d'un môme qui pleure parce que sa mère ne l'aime pas. Tu avais oublié comment on pleure ?... De ça aussi tu te souviens maintenant. Une longue expiration. Irrégulière, entrecoupée. Garde la tête penchée, laisse passer le flux, laisse saigner, laisse couler... Ca finira bien par faire moins mal à un moment... Il y a une main autour de mon bras... Il y a quelqu'un devant moi... Et ça te gêne ? Qu'est-ce que tu en as encore à foutre de ta dignité, 'Nea ? Qu'il voie, quelle importance ? Une tueuse qui se lamente. Une bête féroce clouée dans un piège et qui s'y enfonce au lieu de tenter de s'enfuir. Une lâche et une hyène qui préfère cacher sa propre douleur dans la souffrance des autres au lieu de se regarder dans le miroir et de porter le poids. Tu es pitoyable. Tu es pathétique. ... c'est moi... Et c'est vraiment pas une réussite.
  18. Trop lente. Trop molle. Trop... Le recul, c'est ça qui a tout fait foirer. J'aurais du porter tout mon poids en avant, et à la place, j'ai reculé. A cause des yeux. Et maintenant il sont plantés dans les miens, les yeux. Tout proches. Furieux, implacables, beaucoup plus tranchants que cette petite lame ridicule. Ils me clouent à l'arbre, plus violemment que le poids qu'il exerce sur moi. La tête qui fait mal, le dos aussi, plaqué sur l'écorce, le bras, il serre fort, le poignet tordu. Même en tortillant la main pour essayer de taillader plus profond, je ne me libèrerai pas. Cette lame n'ira pas plus loin. De toute manière je n'ai plus de force, presque plus. Tout s'écoule par les yeux. Ils m'aspirent. M'aspirent... Cette colère froide et rentrée... Et la voix coupante. Je me souviens d'avoir vu ces yeux me fixer, couleur chaude mais éclat glacé, et j'étais seule à les affronter, et j'avais tant de choses à défendre. Je me souviens de les avoir vu me fixer encore, et j'étais anxieuse et tendue, cette fois ils étaient doux, juste un peu perplexes. Je me souviens de les avoir vu me chercher. Je me souviens de lui. Je me souviens de tout. Je crois que je vais crever, Nadhir. La brèche dans la brume, je le savais que je devais te craindre. La brèche a été percée, et tout le passé s'engouffre. Les bonheurs perdus, et les souffrances qui restent. Tout. Lâcher la dague ? Et comment est-ce que je pourrais la tenir encore ? J'ai plus aucune force pour ça. Aucune force pour me tenir moi-même. Juste assez pour essayer de ne pas perdre totalement l'esprit. Et même pas sûre de réussir. Tout se rue sur moi, en moi, d'un seul bloc, tout, les sourires, les colères les rages et les larmes. Larmes d'enfant qui coulaient, larmes d'adultes qui ne coulaient plus jamais, jamais... Tout, c'est un peu trop, non ? Ca fait un peu trop peur. Un peu trop mal. J'en peux plus. Et j'arrive même pas à te sortir de mes yeux... Lâcher la dague ? Voilà. Lâche mes yeux alors. Pitié.
  19. Paroles emplies de doute, d'hésitation. Des mots qui en cachent d'autres, des mots de sollicitude, incongrus, m'aider, quelle drôle d'idée... M'aider... Et s'approcher pour ça. Maintenant. Il a posé une main au sol, un genou. Il a avancé l'épaule, la main... et la gorge. C'est le moment d'arrêter de penser, d'oublier remords et doutes. Le moment où le corps perçoit et réagit, où toute souffrance morale disparaît. Plus de peine, plus de manque, plus de peur. Plus que le mouvement, la lame. Plus que la cible. Mes doigts ont plongé sous le rebord de cuir, trouvé l'anneau de métal. La dague a glissé dans ma paume comme si elle n'attendait qu'une caresse pour jaillir. Et dans le même mouvement, large cercle, la lame a sifflé vers son cou. Etrange silence. Etrange impression que tout est ralenti. Du flou dans son mouvement qui s'interrompt, qui dévie. Ses yeux qui s'écarquillent. Ses yeux... Je ne voulais pas voir ses yeux. Je ne devais pas... Je n'aurais pas du... Trop tard.
  20. Eyleen

    Anim

    J'ose même pas sortir tellement ça doit être Sarajevo là dehors Bon, va falloir convoquer les maçons et faire venir 12 containers pour les gravats... Plus quelques tonnes de sable pour couvrir ces taches rouges dégueu Pfiouh ! Y'a du boulot ! Euuuuuh... Moi j'm'occupe des tulipes Nan, sans rire, le coup des balistes, c'était grand ! En plus ces cochonneries écrasaient les gens, c'était d'un gore Merci et bravo Et merci et bravo à la centaine de dingues qui ont été faire une mèlée là-dehors
  21. Les noms. Ils me percutent, comme des poings qu'on ne voit pas. Je n'ai pas de souvenir de ce dont il parle, mais les noms résonnent... J'aurais du frapper avant qu'il les dise. Avant... Il se réfère à un avant qui a disparu pour moi, qui dort dans la brume, qui dormait... Mais les noms éveillent les images, et j'entrevois à peine une image, même pas une image, un sentiment, colère, dégoût, amertume. A peine des visages, fermés et tristes. Deux femmes. Et cet homme. Les voix... Les voix filtrent à travers la brume. Les mêmes voix, les voix de femmes. Je ne comprends pas les mots. Il vocifère, il accuse, et moi je n'écoute pas vraiment, j'essaie d'oublier que je ne suis pas sourde à sa voix, et aux leurs. Il est facile de fermer les yeux, mais on ne peut pas s'empêcher d'entendre. Héritage... Et là les images changent, sombres, les visages aussi, plus sombres, plus froids. Mais ce qu'il dit... c'est faux. Ce qu'il croit est faux. Je le sais. Mais je ne sais plus. Je ne sais plus rien. Il crie maintenant. Et moi j'ai envie de rire. Le regarder, hein ? Plutôt crever. Il sait trop de choses, et il les croit trop fort. Un vent de tempête fait tourbillonner la brume, et j'ai trop besoin d'elle pour prendre le risque. Je garde les yeux baissés, férocement baissés, les dents serrées et les poings aussi. Il parle encore. Encore des noms, encore des images d'avant, et le son d'une grosse voix inhumaine, des bruits familiers, que je n'arrive pas à reconnaître, conversations, rires. Des rires... J'ai fermé les yeux, brièvement, au souvenir des rires. Je ne l'ai pas vu s'approcher, juste entendu le bruissement d'étoffe, tout près. Mon poing fermé est sur ma botte, un geste suffit. Le sang apaise la brume et la rend opaque et rouge. C'est toujours comme ça que ça a marché. Mais ça marchait parce que ce qui était derrière la brume était douloureux et sombre. Les rires... Est-ce que le sang suffirait, cette fois ? Est-ce qu'il est assez près, seulement ? Je rouvre les yeux, rivés au sol. Prudemment, je les fais glisser vers lui. Juste un peu trop loin pour que le geste soit assez rapide. Il risque de réussir à esquiver, et je ne crois pas que j'arriverais à le poursuivre. Il faut qu'il approche encore. Il faut qu'il oublie le danger, que le trouble dans sa voix soit plus fort. ... le trouble... La brume se tord violemment, une image trop nette, un bouquet d'arbre, et un homme assis qui me fixe. Je referme les yeux, vite, j'essaie de respirer lentement pour calmer la brume, recouvrir l'image, mais c'est de plus en plus difficile... Le son de la voix, la même voix, calme, sereine, tellement plus sereine que maintenant... Respire... Respire et ne pense à rien, juste au vide gris et rouge, pense au Juge et à sa face de cauchemar, pense à la mort du Juge, pense à la souffrance et aux sarcasmes, au mépris ricanant, du ricanement au gargouillis, au râle, imagine son regard qui s'éteint... La voix chaude et anxieuse, elle n'est pas couverte par le râle du Juge... Il faut qu'il se taise... Il le faut... Ma voix est mince comme une corde qui finit de s'effilocher. Mince et rugueuse et faible. Je ne sais pas de quoi tu parles. Ni de qui. Ni rien. Je ne porte aucun héritage, je n'ai pas de soeurs, et tu as raison de parler de confiance au passé. Je ne sais même pas ce que tu me veux, alors laisse-moi tranquille. Tais-toi et va-t-en. Ou approche. Mais dans ce dernier cas tu meurs.
  22. Charabia sarcastique auquel je ne comprends rien. Juste que j'ai senti son regard me glisser dessus comme s'il était matériel, et que ça m'a fait l'effet d'une longue griffe sur un tableau noir. A moins que ce ne soit ces allusions à des épines et à des roses, que je ne saisis pas, mais qui me ricochent douloureusement à travers la tête. Long frisson, appréhension, nervosité, colère. Encore un qui prétend savoir des choses sur moi que j'ignore. Encore un qui cherche à jouer sur je ne sais quelle corde sensible depuis longtemps rompue, mais dont les bouts effilochés me titillent de l'intérieur. Salaud. Les loups sont carnivores, crétin. Tes images me passent bien loin au-dessus, alors laisse tomber les jeux d'esprit, je suis pas d'humeur. Si tu as quelque chose d'intéressant à dire, dis-le. Sinon, merci de me foutre la paix. Même plus craché, presque grondé cette fois. Il s'enhardit, il parle plus longuement. Peut-être même qu'il va s'approcher d'un pas ou deux. Ma jambe repliée est tout près de ma main, je vois presque la dague à travers le cuir. Les yeux fixés sur ses pieds, sans dévier, je me prépare, je me tend. Respirer profondément, chasser la peur, la remplacer par la sourde vibration d'avant le combat. Ca marche toujours. Ici encore, ça marche. A merveille. J'ai presque envie qu'il s'approche à présent.
  23. Et voilà. Imbécile. C'était évident pourtant. Tu aurais dû croire ton collègue de l'Air. Il t'avait prévenu. Mais non, on fait son grand Mimile, effets de manches et incantations. Et puis on se transforme en petit tas rouge et jaune. Je regarde le nécromant, ou ce qu'il en reste. Il a l'air jeune et très surpris. C'était pas censé arriver, hein ? Voilà. La prochaine fois, tu réfléchiras peut-être... Ou pas. Essuyer la lame sur la robe jaune qui flotte mollement dans la brise. La seule chose mobile encore, semblant de vie. Je recule d'un pas, je n'aime pas devoir nettoyer mes bottes. Puis je relève les yeux sur le jeune rôdeur. Des yeux apaisés. Mais résignés. Voilà, VAL. Je ne sais pas si cette Eyleen que tu appelles aurait fait ça. Moi je l'ai fait. Je rengaine la lame, lent mouvement doux, lissé par l'habitude. Petit froissement du métal contre le métal, du cuir contre le cuir. C'est fini. J'ai baissé la tête. Puis tourné les talons, lentement. Le pas lourd, je remonte la rampe qui mène au campement des nomades. Je suis tellement fatiguée...
  24. Rencontre avec le sol, brutale, atténuée par les fougères, mais je courais vite. La douleur qui explose dans la cheville, et en plein front, là où il heurte une racine. Quelques secondes étoilées, lumières noires qui dansent... Quelques secondes d'hébétude. Beaucoup trop de secondes. Quand je reprends mes esprits, il est là. Tout proche. J'ai vu ses pieds à côté de moi, la panique m'a tordu le ventre, j'ai relevé les yeux, réflexe, mauvais réflexe. Le bas du visage, et les reflets d'or pâle sous le capuchon. Une résonnance au fond de mon cerveau, encore un visage que j'ai connu, mais pourquoi est-ce qu'il me terrorise à ce point ? Est-ce qu'il m'a tuée, est-ce qu'il a fait du mal à... à... à qui au fait ? Remous tournoyants de brume, non, non je ne veux pas voir... Il ne frappe pas. Il parle. Et c'est pire encore. Il dit le nom, encore ce nom, et puis il prononce cette courte syllabe... Personne ne sait. Personne ne connaît cela sauf elles. Elles... qui ? Vrille de souffrance qui entrouvre la brume, un souvenir, des voix de femmes, je grimace et je bronche comme un cheval qu'on cravache. Brusque flambée de colère, ce nom est à moi, à moi seule, plus personne ne le possède, que moi. Du sang qui coule dans mon oeil, ça pique, je l'essuie d'un revers de la main en me redressant sur un coude. Encore du rouge, encore du sang. Je croyais avoir vu assez de sang aujourd'hui. Les étoiles noires se dissippent enfin, je vois plus clairement la forme debout, mais je refuse de relever les yeux encore, c'était une erreur. Il ne frappe pas, tant mieux. Tant pis. Je roule sur le côté, me ramasse pour me relever, les dents serrées et les yeux obstinément rivés sur ses genoux. Ma tête résonne et ma cheville hurle. M'éloigner, au moins jusqu'au tronc. M'appuyer pour essayer de me lever. Essayer. Et retomber. Laisse tomber la fuite. Tu n'iras nulle part. Reste à te tenir prête, l'épée est restée dans la clairière, mais les deux fines dagues sont toujours logées dans les tiges de tes bottes. S'il approche, tue-le. Tant mieux s'il n'approche pas. Tant mieux aussi si il s'éloigne. Je halète. La course, et la douleur aussi. Et puis la trouille, maudite trouille rampante. Il ne frappe pas, il ne bouge pas. Il n'accuse même pas. Ses questions n'ont aucun sens. Ses questions... Elles font mal. Alors mordre. Partie par là, ta 'Nea. Le loup l'a chopée, mais si tu cours, tu trouveras peut-être encore les os. Laisse-moi. Crachés les mots. Entre deux halètements rauques.
  25. Elle n'a peut-être pas tout compris, mais elle l'a senti, le recul, la retraite. Elle a vu les murailles se reconstruire... Et la raison... lui a probablement échappé. Elle croit sûrement que c'est son contact que je rejette, et quelque part, c'est vrai. Je rejette ce qu'elle a vu, ce qu'elle a dit, et que je crains de devoir reconnaître. Ce n'est pas elle. Même si ce genre de contact est infiniment plus proche que tout ce que j'ai pu vivre, tout ce que j'ai pu imaginer. Profondément troublant, dérangeant, mais en même temps... riche. Là, à voir son visage fermé, à entendre le ton sec de sa voix, elle croit sans doute... Mais je ne peux pas empêcher ça. Je ne peux pas lui dire. Elle se prépare à partir et je ne sais pas quoi dire pour briser le froid qui est tombé entre nous. Même les mots qu'elle emploie sonnent comme des cailloux au fond d'un puits. Un sourire, mais pour cacher une grimace. Obligations... Je n'ai pas le sentiment d'avoir été contrainte à quoi que ce soit. (Vrai. Même ce contact étrange était accidentel. Pas imposé.) Je me lève pour l'accompagner vers l'entrée. Sois prudente avec les fleurs, Ana... C'est idiot de dire ça. Bien sûr qu'elle sera prudente. Je me mords la lèvre. On ne sait jamais sur qui tu pourrais tomber la prochaine fois... Certaines personnes ont sûrement des pensées encore plus tordues que les miennes. J'essaie le sourire, un peu penaud. On verra.
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