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Terre des Éléments

Uchronie


Guix
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Et si ...

 

Et si, tout avait changé ?

Et si, le vent n'avait pas soufflé ce soir là ?

Et si, vous vous étiez levé 5 minutes plus tôt ce matin là ?

Et si, vous aviez dis " Oui " à une autre personne ?

Et si, vous l'aviez épargné ?

 

Que seriez vous devenus ? Comment viveriez-vous dans ce monde parallèle, en tout point identique au notre, à la seule différence que vous avez changé ?

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  • 1 month later...

Et si Kaimi, au lieu de mourir, avait abandonné Sheelah ?

Partie 1.

 

(Ecrit à quatre mains, si je peux dire ça comme ça. La plupart des répliques viennent réellement de Kaimi.)

 

Une main se pose sur mon épaule, me sort du sommeil dans lequel je suis plongée. Je distingue une voix, mais j'ai du mal à me concentrer sur ce qu'elle dit, encore engourdie que je suis par la torpeur de la nuit. Je me laisse lentement tomber sur le dos, quittant ma position fœtale que je prends bien souvent la nuit.

 

Son visage, souriant, m'accueille. Ce visage que je prends comme une claque m'étourdit. Je me sens gourds, ne sais comment réagir. Ce n'est tout bonnement pas possible qu'elle soit là, devant moi, avec ce rose aux joues, ce regard pétillant. Elle a l'air si vivante...

 

D'une main tremblante, j'effleure son visage sur lequel passe un éclair d'étonnement. Parce que j'ose la toucher, ou parce que mes yeux sont remplis de larmes ?

 

-Tu es là Kaimi ?

 

A ma voix tremblotante me répond son rire. Ce rire... Depuis combien de temps ne l'ai-je pas entendu ?

 

-Bien sûr que je suis là, petite chose fragile...

 

-Ne m'appelle pas comme ça !

 

Je me redresse un peu sur mes coudes. Comme ce rêve m'a l'air réel. J'ai déjà rêvé d'elle, mais jamais avec tant de précision.

 

-Et comment veux-tu que je t'appelle ? Après tout, c'est bien ce que tu es... Une petite chose fragile qui s'endort n'importe où.

 

Son visage s'assombrit un instant.

 

-Et manque se faire tuer par des orques.

 

Mes sourcils se haussent d'étonnement. Rapidement, je me redresse tout à fait et observe les lieux. Je n'arrive pas à comprendre ce que je fais ici. Comment se fait-il que je me trouve près de la fontaine, dans la forêt d'Irliscia, alors que je me trouvais dans la forteresse des Sentinelles ?

 

Je porte une main tremblante à mon front, jette un regard éberlué à Kaimi. Je ne comprends pas... Je ne comprends pas... Je n'ai pourtant pas changé le traitement que je prends. Je n'ai pas ingéré de nouvelles plantes dont je ne connais pas encore les effets. Pourtant, il semblerait que je sois soumise à de graves hallucinations, et au somnambulisme aussi... Comment expliquer sinon que je me retrouve ici, sans me souvenir d'y être venu. Et que Kaimi soit devant moi, semblant tellement vivante ?

 

J'observe de nouveau les lieux, étonnée de voir les arbres si verts, tant de fleurs tout autour de nous. Pourtant, il me semblait...

 

Une main sur mon visage me fait sursauter et perturbe mes pensées. Kaimi me regarde, l'air préoccupée. Sa main est fraiche, m'apaise. Je ferme un instant les yeux, laisse échapper un soupir. Je ne comprends toujours pas ce qu'il se passe, mais elle est là, et c'est tout ce qui compte. Je n'ose pas la toucher de nouveau et me contente de rester là, tout près d'elle, suffisamment pour sentir la chaleur que son corps dégage.

 

Lentement, mon esprit se calme, accepte avec une facilité étonnante la présence de Kaimi. Kaimi qui approche son visage tout près du mien, vient murmurer à mon oreille des secrets qui ne sont qu'à nous. Des secrets qui me rassurent, me donnent un brin de courage.

 

Mes bras se tendent vers elle, l'entourent, la serre doucement, craintivement. Sa réaction ne se fait pas attendre. Je la sens se crisper contre moi, puis se relâcher, mais pas totalement. Mon visage se cache dans ses cheveux. Je les respire longuement. Puis, dans un murmure, je me mets à parler de nouveau.

 

-J'ai fait un rêve... Etrange.

 

Kaimi ne bouge pas, attend la suite. Elle a toujours attendu la suite de mes paroles, toujours entendu mes silences comme des appels au secours, et pas de la simple timidité. Je m'écarte un peu d'elle, l'observe m'observer. Je sens qu'elle attend que je lui parle, que je lui explique. Elle est comme ça. Toujours à vouloir me comprendre, à savoir ce qui me traverse l'esprit, ce que je ressens. Mais elle... Elle ne se dévoile presque jamais. Se rend-elle compte qu'elle me demande ce qu'elle ne peut m'offrir ?

 

-J'ai un peu de mal à m'en souvenir. C'est comme beaucoup de rêves, plus le temps passe, plus ils s'éloignent... Mais il y avait des gens. Des Sentinelles il me semble. Et... Et un cannibale.

 

Je marque une pause. Le regard de Kaimi s'est durci. Elle attend encore.

 

-Je crois que je l'appelais Elessar.

 

J'ai un petit rire de gorge, un brin gêné, consciente du ridicule de ce que je peux dire.

 

-J'étais avec eux, je faisais des choses... Je n'ai que de vagues images mais...

 

-Ce n'est qu'un rêve !

 

Le ton abrupt de Kaimi me coupe net. Je cherche le contact de ses yeux mais elle me soustrait son regard. Qu'ai-je bien pu dire pour qu'elle réagisse ainsi ? Comme d'habitude, je vais dans son sens, lui réponds que oui, bien sûr, ce n'est qu'un rêve, rien de bien important ! Son regard revient prendre le mien, mais son visage est toujours tiré, ennuyé. Mais bien vite un sourire revient illuminer le visage de Kaimi.

 

Comme si rien de tout cela ne s'était passé. Alors je souris aussi.

 

Nous nous relevons et, tandis que mon regard évite les orques morts, Kaimi m'entraine à sa suite à travers la forêt, qu'elle semble connaitre comme sa poche. Nous ne parlons pas, mais ce silence me convient. Je profite de la situation, de sentir ma main dans la sienne. J'ai parfois l'impression qu'elle me traite comme une enfant.

 

-Dans ton rêve, tu faisais quoi avec ce cannibale ?

 

Sa question me fait sortir de ma rêverie. J'ai tendance à m'échapper bien trop souvent, et à faire abstraction de ce qui m'entoure avec une facilité étonnante, mais bien souvent suicidaire. J'ai l'impression qu'elle a parlé assez durement, mais peut-être est-ce mon imagination qui s'emballe de nouveau.

 

-Pourquoi tu t'intéresses au cannibale ?

 

Je trouve ça étrange, qu'elle ait retenu cette partie de mon rêve. A ma question, elle s'arrête net, et je manque lui rentrer dedans. Bien que gardant ma main dans la sienne, elle ne se retourne pas. Je vois ses épaules monter, puis redescendre lentement tandis qu'elle soupire.

 

-Grande guerrière féroce n'aime pas quand petite chose fragile répond à des questions par des questions.

 

Grande guerrière féroce ? Je rigole légèrement, passe mes bras autour d'elle avec une vigueur nouvelle pour moi.

 

-Passe encore que tu me donnes du « petite chose fragile », mais toi ? Une grande guerrière féroce ?

 

Je secoue un peu la tête de droite à gauche, amusée. Je me demande parfois où elle va chercher tout ça.

 

-Fragile comme une fleur délicate dans ce cas ?

 

Mes bras la lâche. Je recule d'un pas, regarde d'un air absent les arbres. Je n'aime pas trop quand elle parle de moi comme ça. Je n'aime pas les comparaisons qu'elle emploi. Je n'aime pas qu'elle me voit comme une personne faible. Je n'aime pas, parce que je sais que je le suis.

Elle s'est tournée vers moi, continu de me parler.

 

-Tu es bienveillante, mais fragile, car tu manques de caractère.

 

Mes poings se serrent en l'entendant. Pourquoi est-elle parfois ainsi ?

 

-Et tu manques de courage. Mais je comprends néanmoins.

 

-Tu comprends ? Tu comprends quoi ?

 

-Avec un père comme le tien, si présent, si imposant, tu n'as jamais su trouver ta place. Il l'a choisi pour toi.

 

Je baisse la tête, me mords la lèvre. Je la déteste. Je la déteste. Ses mains se posent sur mes épaules, les pressent, comme pour me dire de la regarder, mais je n'en fais rien.

 

-Tu m'as abandonné.

 

-Mais je suis revenue.

 

-Tu m'abandonneras encore.

 

Son silence me répond. Parfois, je me rends compte que je ne sais absolument rien d'elle. Et à d'autres moments, je la devine si bien que ça me fait peur. D'un geste de la main, je me libère de sa poigne.

 

-Je peux me débrouiller seule !

 

Je relève le menton, en signe de défis.

 

-Je l'ai déjà fait, quand mon père est mort !

 

Un instant, elle se tait. Son regard est un peu triste sur moi.

 

-Tu ne t'es pas débrouillée... Tu t'es contentée de survivre, ce n'est pas pareil.

 

Je la déteste. Je la déteste. Je la déteste. Et je me détourne, je m'enfuis. Je cours dans ces bois. Pas assez vite pour ne pas entendre sa voix.

 

-Au revoir petit chat sauvage.

 

Je la déteste. 

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Partie 2.

 

L'amour est douleur.

Il me laisse clouée sur place, incapable d'agir.

Je ne sais pas agir.

Je me laisse porter.

Je ne sais pas m'imposer.

 

Et comment le pourrais-je ? Comment pourrais-je lui imposer mon amour, alors que je sais qu'elle ne n'aime pas ? Ou du moins, pas comme je l'aimerais.

 

J'aimerais lui hurler que je ne veux pas qu'elle prenne soin de moi comme ça, comme d'une enfant un peu récalcitrante. J'aimerais lui crier que je veux qu'elle m'aime. Que je veux être la première dans sa vie.

 

Je veux tout d'elle.

 

Absolument tout.

 

Et la force de mes sentiments me fait peur.

 

Est-ce ainsi l'amour ?

 

Cela doit-il réellement faire si mal ?

 

Tant de mal...

 

Mon cœur est douloureux.

 

Bien plus que lorsque mon père est mort.

 

Je regarde mes mains. Mes poignets, mes avants bras. Ils portent les stigmates de ma lutte pour sauver mon père.

 

Lutte inégale.

 

Que vaut une petite fille contre les éléments réunis ?

 

Contre les Dieux ?

 

Mais j'ai grandi.

 

Oui, j'ai grandi.

 

Mais au fond, je suis toujours une petite fille.

 

Je ne sais toujours pas lutter contre ces maudits dieux.

 

Pourquoi faut-il qu'elle croit tant en Fimine ?

 

Qu'elle ait tant besoin de cette Déesse ?

 

Elle ne devrait avoir besoin que de moi !

 

Comme moi je n'ai besoin que d'elle !

 

Qu'importe un Dieu que l'on ne pourra jamais toucher du doigt ?

 

Ne voit-elle pas que je pourrais lui donner bien plus que Fimine ?

 

Que connait-elle de l'amour, cette Déesse ? Elle donne aux plantes et aux animaux, mais aux Hommes, que leur donne-t-elle ?

 

Et à Kaimi, que lui donne-t-elle ?

 

Je n'arrive pas à comprendre.

 

Je cherche pourtant.

 

Encore et encore.

 

Et je me torture l'esprit.

 

Je me fais mal.

 

Mes crises sont plus rapprochées, me laissent pantelantes, à moitié détruite.

 

Fichue maladie. Maladie de la terre.

 

Je me retrouve enchainée.

 

KAIMI !

 

Je te veux Kaimi... Je te veux mon amour...

 

Et je murmure des mots doux que personne n'entend.

 

Personne...

 

Personne...

 

Et je pleure sur les mots qu'elle m'écrit.

 

« Sheelah, quand je dis quelque chose comme ça et que tu ne réagis pas, j'ai l'impression que tu subis ce que je te dis comme une fatalité, et que tu ne veux pas te prononcer, jugeant que c'est inutile. En fait, tu me dis rarement ce que tu ressens. »

 

Mais ne comprends-tu pas Kaimi ?

 

Ne comprends-tu pas...

 

J'ai l'impression que je n'ai pas de place dans la vie que tu te crées.

 

Je me sens si loin de toi, si loin de tout ça.

 

Et le monde est si vaste...

 

Je ne peux te chercher partout, pas dans l'état dans lequel je me trouve.

 

Je suis trop faible, trop désespérée.

 

Et toi tu m'échappes, encore et encore.

 

Tes mots se font de moins en moins nombreux.

 

Tu dis que tu veux me libérer, mais me libérer de quoi ?

 

Kaimi !

 

Je te veux toi !

 

Juste toi !

 

Je me fiche des Dieux !

 

Et le coup de massue tombe.

 

« C'est un peu dur de dire ça Sheelah, mais sans Fimine dans ma vie, on aurait sans doute pu vivre un beau truc. »

 

Et puis.

 

Le silence.

 

L'amertume.

 

La rage.

 

La douleur.

 

Trouver un coupable.

 

Rejeter toute la faute sur lui.

 

Car même abandonnée, je ne peux détester Kaimi.

 

Je l'ai trop aimé.

 

Je l'ai trop aimé...

 

Je ne sais même plus quand j'ai commencé à parler au passé.

 

Le coupable est tout trouvé.

 

Fimine.

 

La rage est là, bien ancrée en moi.

 

Elle me porte.

 

Je ne suis plus une petite chose fragile.

 

C'est moi à présent la guerrière féroce.

 

Et je ne ris plus de ce surnom.

 

Je ne sais même plus ce que sourire veut dire.

 

Je ne suis plus faible Kaimi.

 

T'aimer aura au moins servi à ça.

 

Mais qui s'en féliciterait ?

 

L'amour n'apporte rien de bon.

 

Rien de bon...

 

Et je ne peux pas faire payer Kaimi.

 

Jamais.

 

Bien que son silence soit un crève-cœur, ses mots, ses sourires dansent en moi.

 

Ce n'est pas de sa faute, elle a été abusée.

 

Elle était faible, elle aussi.

 

Mais je m'en suis sortie.

 

Je me suis libérée de ces Dieux perfides.

 

Et je dois libérer tous les autres.

 

Il faut qu'ils sachent, qu'ils voient la vérité.

 

Qu'ils s'en libèrent.

 

Nulle place en ce monde pour les aveugles.

 

Ainsi parlera le Dîn, cet Elessar rêvé quelques mois plus tôt, avant l'abandon de Kaimi.

 

Il aurait mieux fallut qu'elle meurt...

 

Car elle a fait de moi cet être sans cœur. 

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  • 2 weeks later...

[HRP]
Cette histoire est une variation sur un récit existant : Petites trahisons entre amis.

http://www.terre-des-elements.net/forum/index.php?showtopic=7553&p=68687
 
Les faits relatés dans le récit de base restent valables dans cette version, du moins ceux du prologue, des actes I et II, et du début du troisième acte - jusqu'à la fin de la rencontre de Suyvel avec Tapate.
La présente histoire débute donc peu après l'entrevue avec la régente.
[Fin HRP]
 
Et si... les fantômes du passé avaient été les plus forts ?
 

Acte IV - Guère épais
 
Gyu progressait sur les sentiers qui menaient en Irlisica, guidant la Garde de Melrath Zorac vers le site du monolithe, comme convenu avec Suyvel.
 
Cela faisait trois jours que l'elfe noire avait quitté son disciple, lui laissant pour instruction d'attendre que la régente ait fini de lever ses troupes, de les rassembler et de les préparer au mieux, puis de les conduire au portail de téléportation. Dans le même temps, elle accomplirait sa part du marché avec les elfes sylvains : supprimer Shin, le brillant général - humain - qui dirigeait la base avancée des orques. Une tentative risquée mais qui devait faciliter grandement l'assaut de la Garde. Gyu s'était élevé contre l'idée de laisser Suyvel y aller seule mais celle-ci s'était montrée intraitable sur ce point.
 
Trois jours sans nouvelles, à imaginer ce qui avait bien pu se passer...
 
Gyu se retourna pour jauger l'avance des troupes. Sous le soleil du matin, les casques, les boucliers et les fers de lance de la Garde rutilaient comme une rivière d'argent. Tapate avançait juste derrière lui, à la tête du premier régiment. Quatre autres suivaient, s'étirant dans le lointain, presque à perte de vue derrière eux. Cela pouvait sembler une forte troupe, mais ce n'était guère qu'un tiers des effectifs actuels de la Garde - étant donné le délai assez court, Tapate n'avait pu en réunir davantage. Et Gyu pressentait que toutes ces épées rassemblées sous la bannière de Melrath Zorac ne seraient pas de trop pour enlever d'assaut le puissant campement fortifié des orques.
 
Enfin, le monolithe de téléportation était en vue !
 
Gyu avança d'un pas rapide, cherchant du regard celle qui devait les attendre en ce lieu. Mais il n'y avait nulle trace de Suyvel. Le mage Aéride sentit ses appréhensions grandir. Etait-il arrivé malheur à l'elfe noire ?
 
Derrière lui, Tapate et le capitaine arrêtaient la marche du premier régiment et discutaient de la suite - comment positionner les hommes au mieux pour franchir le monolithe dès que celui-ci serait activé. Gyu tenta bien de suivre le débat, mais son esprit était sans cesse distrait par des considérations autres.
 
Finalement, ce furent les elfes sylvains qui se manifestèrent les premiers. Sous le commandement de Beliondel, protecteur du royaume sylvestre, un détachement de rôdeurs et de mages elfes vint se ranger aux côtés des humains. Beliondel se présenta à Tapate et l'assura que les termes de l'alliance seraient respectés : les elfes appuieraient l'assaut de la Garde.
 
Le cœur de Gyu bondi dans sa poitrine lorsqu'il aperçut au loin, à l'est, une minuscule silhouette qui se dirigeait vers eux. Il se rua à sa rencontre, et vit très vite qu'il ne s'était pas trompé : c'était bien celle qu'il espérait.
« Suyvel ! Enfin, vous voilà !
- Oui,
sourit l'elfe noire. Tu en doutais ?
- Oui... enfin, non... je veux dire... la tentative était vraiment très risquée, même pour vous... ça a marché ?
- Je suis là, devant toi, et tu vois d'où je viens, fit-elle en pointant du pouce, par-dessus son épaule, les fortifications orques au loin. Cela devrait suffire à répondre à ta question, tu ne crois pas ?
- Formidable ! Vous avez eu raison de Shin... Lui mort, notre offensive va pouvoir commencer, alors ?
- Le temps de saluer notre Régente, d'ouvrir le portail, et... oui, l'assaut pourra être donné. »

 
Et Suyvel, d'un geste de la main, répondit aux grands signes que lui adressait une Tapate enthousiaste, au risque de tomber des épaules du capitaine, où elle avait cru bon de se percher pour avoir une meilleure vue d'ensemble.
 
Comme en réponse, le son de tambours de guerre s'éleva des bois avoisinants. Et une immense clameur monta vers les cieux alors que les orques sortaient en masse des bosquets au nord de la position de la Garde. Celle-ci, bien que surprise par l'assaut, tenta de manœuvrer pour faire face à cette attaque sur son flanc gauche. Mais orques et gobelins, en une irrésistible vague géante, enfoncèrent les lignes des humains.
 
Suyvel, en toute hâte, rejoignit le groupe de commandement. Les ordres fusaient en tous sens, parfois contradictoires, ce qui augurait du chaos ambiant. Les elfes sylvains, postés au sud, tentèrent d'épauler la Garde au mieux. Mais la marée des peaux-vertes était partout, et déjà chacun se battait plus pour sa vie que pour maintenir une position. En dépit des efforts tactiques des officiers de la garde et des elfes. Suyvel finit par héler Beliondel.
 
« Commandant ! Les humains ne tiendront pas longtemps... Il faut mettre la Régente à l'abri des orques ! »
 
Beliondel y songea un instant.
« Ce serait sans doute plus sage... mais où ? demanda-t-il d'un ton songeur.
- Dans le seul endroit où les orques ne pourront pas vous suivre !
- Vous voulez dire... dans le royaume elfe ? Mais cela est interdit !
- Commandant ! Croyez-vous que ce soit vraiment le moment de penser au règlement ! Pouvez-vous faire franchir la barrière magique à la Régente ?
- Oui, c'est en mon pouvoir,
concéda-t-il, un peu à contrecœur. Mais je ne sais pas si je dois...
- Vous allez laisser la Régente aux griffes des orques ?!
- Je... Non, ce serait assurément une catastrophe si la Régente était capturée. Et un grave manquement à notre alliance si nous laissions ceci se produire sans rien tenter. »

 
Sur ces mots, Beliondel s'entretint brièvement de la marche à suivre avec les officiers de la Garde. Il fut convenu que les troupes humains se replieraient vers l'est puis le nord, en direction de Melrath Zorac, entraînant les peaux-vertes à leur suite, pendant que les elfes iraient au sud, jusqu'à leur royaume, avec Tapate.
 
Gyu se chargea d'entraîner la Régente à sa suite alors que le groupe s'enfonçait dans les profondeurs de la forêt. Tapate s'égosillait à demander à retourner jouer avec les orques. Suyvel lui répondit :
« Pas maintenant, Tapate. C'était nous qui devions donner l'assaut, pas l'inverse ! Il faut se mettre à l'abri... »
 
Elle s'interrompit, comme frappée d'une idée subite.
« Au fait, Beliondel, comment se fait-il que vos rôdeurs n'aient pas repéré les orques ?
- Nos ennemis sont venus du nord de la forêt,
répondit ce dernier d'un ton sombre. Avant tout, nous patrouillons autour de notre royaume, pas dans toute la forêt, et encore moins depuis que les orques ont établi leur base sur ces terres. Ils ont certainement manœuvré en restant en dehors du rayon d'action de nos patrouilles.
- Voilà un point que nous aurions dû évoquer plus tôt ! La Garde aurait su qu'elle n'était pas couverte par vos rôdeurs et qu'elle devait veiller à protéger son avancée... »

 
Ils gardèrent leur souffle pour courir. La tactique fonctionna plutôt bien, dans le sens que la Garde put effectivement faire mouvement, tant bien que mal, vers la ville, pendant que les elfes retournaient vers l'entrée de leur royaume. Mais les orques avaient manifestement senti la présence de leurs ennemis héréditaires, et ils ne les lâcheraient pas si facilement ! La marée verte se scinda en deux, et ce fut harcelé par les orques que le groupe de Beliondel atteignit enfin la barrière magique.
 
Les mages elfes s'activèrent en toute hâte à faire franchir la barrière à ceux qui n'étaient pas autorisés à entrer, et Tapate fut ainsi mise à l'abri, ainsi que Suyvel et Gyu. Pour autant, la situation n'était pas stabilisée. Car les orques, ayant constaté leur impuissance à franchir la barrière, étaient en train de faire intervenir leurs shamans, Ylessor à leur tête, pour tenter d'abattre le sortilège défensif.
 
Beliondel guida en toute hâte les humains vers le village forestier, aux constructions fréquemment perchées dans les arbres. Le regard de Suyvel fut momentanément attiré par l'une d'elles : parmi d'autres bâtisses se dressait un monolithe semblable à celui qu'elle avait découvert dans la forêt d'Irliscia. Les elfes sylvains ne lui en avaient pas parlé. Pour autant, elle n'en était pas surprise. Ses hôtes, outre leur méfiance naturelle envers ses semblables, n'avaient certainement aucune envie de mettre ce portail à disposition des projets de la magicienne. Et il lui avait bien semblé, lors de sa première venue, distinguer la silhouette si caractéristique d'un monolithe, par une ouverture de la pièce où elle se tenait. Elle revint à ce qui se passait autour d'elle. Beliondel sonnait le rassemblement en urgence de toutes les forces disponibles : il fallait défendre la barrière magique.
 
Des heures plus tard.
 
Presque épuisé, Gyu considérait la scène de l'affrontement. La barrière était encore debout mais, malgré les efforts des elfes pour repousser l'ennemi, les shamans orques étaient toujours à l'œuvre pour tenter d'abroger le puissant sortilège défensif. Les peaux-vertes avaient subi des pertes, mais pas assez conséquentes pour les faire renoncer. Il se demanda si Suyvel ne serait pas de bon conseil pour les tirer de cette impasse. Jetant un regard alentour, il remarqua alors l'absence de l'elfe noire. Il alla trouver Tapate, mais elle non plus ne savait pas où la magicienne se trouvait. Pris d'un doute, il choisit de rebrousser chemin vers le village des elfes. Une fois arrivé aux abords des premières bâtisses, il sentit sa peau fourmiller d'une énergie qui ne trompait pas : celle d'un puissant champ magique. Une lueur le guida vers le monolithe, qu'il eut la surprise de découvrir activé : une porte dimensionnelle béait sous son arche. Et ce fut alors que tous deux arrivèrent, surgissant de ce portail.
 
L'elfe noire... et un humain.
 
Suyvel s'adressait à l'homme en ces termes :
« Nous y sommes. Mais voyez plutôt par vous-même.
- Effectivement ! Une porte d'entrée au cœur des positions ennemies. Remarquable ! Et vous avez pu l'activer...
- Grâce aux efforts d'Ylessor et de son armée, je n'ai pas été dérangée une seule fois.
- Cela reste un beau tour de force. Une manœuvre d'une grande subtilité. Vous avez brillamment accompli votre part du marché !
- Alors tenez la vôtre, général Shin, et écrasez-moi ce nid de cloportes.
- Bien entendu... et avec le plus grand plaisir ! »

 
Une troupe orque, plus petite que celle qui assiégeait l'entrée du royaume sylvestre, mais composée d'unités de vétérans, commença à faire irruption dans le village via le monolithe. Gyu, la gorge nouée, considérait la scène avec une horreur croissante mêlée d'impuissance. Son regard finit par croiser celui de l'elfe noire : froid comme
 
la mort
 
une lame. Suyvel ne manifesta aucune expression, aucun sentiment. Ses lèvres finirent par former un mot en silence, que Gyu put déchiffrer :
 
Fuis.
 
Gyu aurait voulu faire quelque chose. Aller trouver la magicienne, l'empoigner par les épaules et la secouer pour lui faire reprendre ses esprits, ou bien lui faire entendre raison... mais l'horreur de la trahison de celle en qui il avait eu toute confiance le tétanisait. Et les orques pullulaient déjà autour d'elle. Alors, s'arrachant à la contemplation de cette scène de cauchemar, il tourna les talons et courut vers l'entrée du royaume sylvestre pour alerter les elfes. Les larmes aux yeux.

Modifié (le) par Suyvel
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Le lendemain soir.

 

La nuit était tombée sur le campement fortifié des orques en Irlisicia, mais il était le siège d'une activité bourdonnante. Il y régnait une effervescence inhabituelle, une atmosphère de fête. Partout, des feux avaient été allumés, et nombre de broches tournaient au-dessus, activées par les orques qui faisaient rôtir force gibiers divers. Et des tonneaux étaient mis en perce, à foison. Autant dire que l'ambiance était détendue, et même festive. Ca criait, ça riait, ça glapissait, ça chantait même à tue-tête - faux, mais ça chantait.

 

Le seul endroit où l'on ne s'amusait pas - où, à vrai dire, l'ambiance était franchement pesante - c'était du côté des cages. Enfermés là, on pouvait voir des humains et des elfes, dont certains en piteux état, qui tiraient des têtes de cent pieds de long. Tous ceux qui avaient été pris vivants durant la bataille. Soit relativement peu de monde, en fait. Ils attendaient leur sort en silence, et ils doutaient fort, connaissant les orques, qu'il leur soit clément.

 

Sous la tente de commandement se donnait une réception bien plus gaie. Autour d'une table siégeaient Shin, le général de la base, et une trentaine de meneurs orques, dont Ylessor et ses shamans. Le gratin de l'armée orque. Plus une elfe noire. Assise directement à la gauche de Shin, ce qui était bien évidemment une place d'honneur, Suyvel chipotait dans les nombreux plats aux proportions gargantuesques, y prélevait parfois une chiche portion qu'elle grignotait du bout des dents, se régalant davantage des vins fins provenant de la cave personnelle de Shin que des quartiers de viande trop saignante pour son goût. Les orques, eux, ripaillaient de bon cœur, engloutissaient des quantités hallucinantes de nourriture et trinquaient à tout-va. Il faut dire qu'il y avait matière à réjouissances.

 

La veille, l'offensive sur le royaume sylvestre avait été un succès complet. Dramatiquement impréparés à une invasion par le monolithe, ses défenseurs, dont bien peu étaient restés dans le village même, avaient été débordés et les renforts venus en toute hâte n'avaient pas pu inverser le cours de la bataille. Finalement, la barrière magique était tombée, ce qui avait permis à l'armée orque d'opérer sa jonction. Dès lors, les elfes n'avaient plus aucune chance de sauver leur royaume, et ils l'avaient vite compris. Tous ceux qui se battaient encore s'étaient enfuis dans la foret environnante, à la recherche d'un refuge au mieux précaire, pour ne pas dire illusoire. Les orques avaient exploité leur victoire en chassant les survivants toute la nuit, accroissant le nombre de victimes, et n'étaient rentrés à leur base qu'au matin. Et bien entendu, une fois les prisonniers dûment cadenassés et les plaies pansées, les orques n'avaient plus eu qu'une envie : célébrer la victoire qui les fuyait depuis leur arrivée sur ces terres. Certes, tous les elfes n'étaient pas morts, mais leur royaume n'existait plus. La régente de Melrath Zorac était restée introuvable, mais cela était accessoire. Rien n'assombrissait valablement le triomphe des peaux-vertes.

 

Autour de la table des chefs, le silence se fit alors que Shin levait son verre.

« Un ban ! A nous et à notre grande victoire ! »

 

Ylessor ajouta :

« Pour la gloire du Seigneur Rebom ! »

 

Et un concert d'exclamations braillardes y répondit. Eructation de joie générale.

 

Shin, se rasseyant, se tourna vers son hôte de la soirée et tendit son verre.

« Et à la brillante stratège qui nous a permis d'élaborer ce plan absolument parfait. »

 

Suyvel prit son verre pour répondre au salut du général.

« Trop d'honneur, messire. Nous l'élaborâmes de concert. Et Ylessor y a grandement contribué, en réussissant l'embuscade sur la garde de Melrath Zorac. »

 

Elle avait élevé la voix, et Ylessor put l'entendre. Un peu surpris, il regarda du côté de l'elfe noire, qui le gratifiait d'un sourire et levait son verre à son intention. Il bredouilla vaguement quelque chose, légèrement gêné, et finit par lever son verre en retour.

 

Shin souriait.

« Oui, j'étais certain qu'une approche par le nord nous permettrait d'éviter les patrouilles elfes. Et que la garde ne prendrait pas les mesures adaptées à son avancée en terrain hostile. Ce n'est pas une armée, à proprement parler, plutôt une force de maintien de l'ordre. Et leurs chefs ne sont pas de vrais généraux issus des champs de bataille.

- Une observation très pertinente, sourit Suyvel.

- Je reste admiratif devant votre capacité à berner les elfes sylvains, ma chère. J'avoue que je doutais de vos chances.

- J'étais leur prisonnière. Ils me croyaient impuissante et cela les a aveuglés. Il a suffi que je leur fasse miroiter le mirage de la sauvegarde de leur précieux royaume et ces benêts m'ont crue. L'espoir... voilà ce qui les a perdus.

- Et votre hypothèse de l'existence d'un monolithe de transport au sein même de leur royaume s'est avérée parfaitement fondée.

- C'était sans doute un pari de ma part, mais il était improbable qu'il en fût autrement. Ma première visite chez les elfes m'a permis de vérifier que j'avais raison. J'ai aperçu le monolithe. Comme j'ai obtenu le secret du rituel d'ouverture de la porte, mon plan était réalisable. Et le plus drôle... je devais revenir vous voir pour finaliser notre stratégie, et voilà que ces idiots me donnent un excellent prétexte à ma visite ici avant la bataille : ils me demandent de vous assassiner ! »

 

Shin partit d'un rire à gorge déployée.

« Ah, nos vies regorgent d'ironie ! Ces drôles ne pensaient pas faire ainsi votre jeu... leurs Dieux eux-mêmes se sont détournés d'eux. »

 

Et ils continuèrent à trinquer tout en devisant joyeusement et se congratulant mutuellement.

 

La fête déclinait doucement.

 

Autour de la table de Shin, l'ambiance se faisait plus feutrée. Les orques, solidement imbibés d'alcool, tenaient pour la plupart à peine assis sur leurs chaises. Quant à Ylessor, fin saoul, il s'était effondré sur la table et ronflait comme un bienheureux.

 

* * * * *

 

La nuit s'avançait.

 

La conversation entre Shin et Suyvel se poursuivait dans le calme revenu. Tous deux sirotaient un énième verre de vin. L'humain s'était renversé dans son fauteuil, et ses yeux mi-clos trahissaient une fatigue grandissante, à laquelle l'excès de spiritueux n'était pas étranger. L'elfe noire demanda :

« Alors, général, quels sont vos projets maintenant ?

- Guerre et paix. »

 

Bien que la tête lui tournât, Shin explicita son propos à son interlocutrice.

« La guerre, bien sûr, dans un premier temps. Nous allons exploiter notre victoire sur les elfes. Les habitants de Melrath Zorac ont perdu leurs alliés de la forêt ainsi qu'une partie de leur garde. La ville est désormais un fruit mûr, prêt à tomber. La région suivra. Nous allons faire main basse sur ces terres... Et la paix, ensuite. La paix du Seigneur Rebom. Il régnera d'une main de fer et tout fauteur de trouble sera exécuté. Très vite, les guerres qui ont déchiré ces terres ne seront plus que lointains souvenirs...

- La paix... douce utopie, en vérité. Je crains fort que l'avenir vous donne tort. La guerre perdurera.

- Ah ? Et quel augure vous inspire cette vision des choses ? fit Shin, vaguement contrarié.

- Les orques sont par nature trop querelleurs. Bien encadrés par des chefs respectés et craints, ils peuvent former une force puissante, mais toujours éphémère. La perte de leurs meneurs actuels les plongera dans des luttes intestines sans fin pour le pouvoir. Le temps que Rebom en soit informé et y mette bon ordre, les humains se seront réorganisés et feront face. Ils sont obstinés et quoi que vous en pensiez, ils ont encore les ressources pour résister indéfiniment.

- Humpf... je vois ce que vous voulez dire, mais vous partez sur une hypothèse fort improbable : que tous les chefs actuels disparaissent en peu de temps.

- Pas une hypothèse, général : un fait. Cela a déjà commencé.

- Hein ?! »

 

Jetant un regard dubitatif autour de la table, Shin ne vit que les chefs orques tous plus ou moins ivres et assoupis. Mais un élément précis sembla le dessouler quelque peu : toujours vautré sur la table, Ylessor paraissait endormi... mais ne respirait plus.

Shin articula d'un ton hébété :

 

« Mais enfin, que se passe-t-il ici ?

- Poison », répondit laconiquement Suyvel.

 

L'humain sentit une sueur glacée lui couler le long de l'échine.

 

« Un empoisonnement ? Mais qui -

- Moi, bien entendu. Qui d'autre ? fit Suyvel d'un ton sardonique. Poudre de fleur de lotus noir mélangée à de la grande ciguë. Un mélange insipide et inodore, presque indétectable. Cela sape les forces de la victime jusqu'à la plonger dans un profond sommeil, qui peut être confondu avec un état éthylique avancé. Un sommeil dont on ne se réveille jamais, étant donné que l'on cesse de respirer assez vite. Pourquoi croyez-vous que j'ai tant fait honneur à votre vin et si peu à vos mets ?

- Maudite traîtresse !

- Pour être traîtresse à votre cause, encore aurait-il fallu que je l'embrasse ne serait-ce qu'un instant. »

 

Shin se saisit vivement de la dague qui ne quittait jamais son côté et voulut se jeter sur l'elfe noire pour l'embrocher, mais ses forces lui firent défaut. Ses jambes flageolèrent, une douleur lui déchira les entrailles, et il tomba de tout son long sur le sol. Sa dague lui échappa. Lorsque, péniblement, il tendit le bras pour tenter de la saisir de nouveau, la botte de Suyvel vint se poser sur ses doigts, lui arrachant un grognement de douleur.

 

« Trop tard pour cette option, mon cher. Si vous vouliez vraiment la victoire, je vais vous dire ce que vous auriez dû faire : aussitôt le portail ouvert, me trancher la gorge, puisque je ne vous servais plus à rien ! Mais non, il a fallu que vous vous sentiez reconnaissant pour ce que j'avais fait... La reconnaissance ! Quelle ineptie ! Je me suis servie de vous et des orques pour rayer le royaume elfe de la carte, c'est tout.

- Pourquoi trahir notre alliance ? coassa Shin dans une grimace haineuse.

- Pourquoi ? Vous le demandez sérieusement ? Je ne suis pas d'ici, certes, mais je considère ces terres comme mon pays, désormais. Si j'ai pris la peine d'en chasser les elfes, croyez-vous que ce soit pour laisser des orques puants le raser ? Le détruire de fond en comble ? Vous déraisonnez ! Une fois les elfes vaincus, l'armée orque représentait une menace trop grande. Il fallait bien que j'agisse pour rétablir la balance...

- En faveur de qui ? Des humains ? Mais c'est futile ! Vous avez trahi leurs alliés, ils doivent déjà le savoir et ne vous le pardonneront jamais ! Même la mort des chefs orques ne vous rachètera pas à leurs yeux...

- Contrairement à vous, mon cher, j'ignore la reconnaissance et n'en attends donc aucune - de qui que ce soit. Ce que j'ai fait, je l'ai fait pour moi. Pour moi et pour nul autre. Adieu, petit général. Tu as été un pantin entre mes doigts, certes, mais un pantin fort utile... »

 

Shin aurait voulu hurler, ameuter la garde et faire mettre l'elfe noire à mort devant lui avant de rendre l'âme lui-même. Mais il ne put qu'émettre un râle dépourvu de force. Son bourreau eut un sourire doucereux et attendit qu'il rende son dernier soupir.

 

Suyvel ferma sa cape et ajusta sa capuche sur la masse de ses cheveux blancs. Elle se glissa hors de la tente, ombre parmi les ombres. Peu d'orques étaient encore éveillés, et tous bien éméchés. De toute manière, pourquoi auraient-ils suspecté l'invité personnelle du général Shin ? Celle qui, de notoriété publique, les avait guidés vers la victoire sur les elfes ?

 

L'elfe noire put quitter le camp fortifié sans encombre et disparut dans la nuit. Littéralement.

 

A compter de ce moment, nul témoignage ne put affirmer avec certitude qu'elle hantait toujours la région, ou même qu'elle fût encore en vie.

Modifié (le) par Suyvel
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Epilogue

 

Telle une ruche, la caverne bourdonnait d'activité. On y construisait, on entassait des ressources diverses, on s'entraînait, on enseignait et on apprenait. Ou on présentait son rapport, comme les deux humains - un rôdeur et une magicienne - qui se tenaient devant le siège de la Matriarche. Que tous ici nommaient par ce titre, même si chacun connaissait son nom : Suyvel. Celle-ci, silencieuse, écoutait avec attention le compte-rendu de ses deux lieutenants.

 

Trois années s'étaient écoulées depuis le jour où le royaume sylvestre était tombé et où l'armée orque avait été décapitée. Trois années qui avaient apporté leur lot de changement.

 

Comme l'avait prophétisé Suyvel à Shin, les orques s'étaient enlisés dans des luttes de clans cherchant à s'arroger le commandement. Lorsqu'un nouvel envoyé de Rebom avait semble-t-il repris les choses en main, de l'eau avait coulé sous les ponts, et les diverses offensives des peaux-vertes se heurtèrent à la résistance acharnée des humains. Les elfes commençaient même à se rassembler et à reprendre la lutte contre l'envahisseur. Bref, les orques avaient laissé passer leur chance et se trouvaient à nouveau cantonnés à leur base fortifiée en Irliscia.

 

De son côté, Suyel tirait ses plans pour l'avenir. Oh, bien sûr, suite à ses exploits, elle avait jugé plus sage de disparaître. Elle se voyait mal reparaître comme si de rien n'était devant ses compagnons du Souffle : Gyu avait été le témoin de sa félonie et une certaine guerrière elfe devait désormais rêver de l'étriper... En trahissant les elfes, la drow savait à quoi elle s'engageait. Elle préféra donc se tenir loin de son ancienne faction et prit soin de ne jamais être vue en public à visage découvert, gardant l'incertitude sur son sort. Pour autant, Suyvel n'était pas restée inactive : elle recrutait en toute discrétion pour sa future faction. Elle choisit de s'appuyer sur les femmes insatisfaites de leur sort et de leur condition dans la société patriarcale humaine. Ce n'étaient pas les mécontentes qui manquaient ! Guerrières rejetées par leurs pairs trop phallocrates pour reconnaître leur valeur, jeunes femmes douées pour la magie mais qui ne trouvaient pas de maître acceptant de la leur enseigner, prêtresses novices reléguées à des tâches subalternes sans aucun espoir d'avancement... beaucoup prêtèrent une oreille attentive au discours de l'elfe noire qui leur soufflait des idées de révolte. Qui expliquait que, si les hommes tenaient les femmes dans l'ignorance, c'était pour qu'elles ne se rendent pas compte qu'elles leur étaient supérieures en tout. Qui leur promettait l'avènement d'une nouvelle société dont elles tiendraient les rênes.

 

Ainsi naquit, dans le plus grand secret, l'Ordre des Veuves Noires. Une faction cachée qui tissait sa toile en toute discrétion, dans toute la contrée, dans toutes les organisations, dans toutes les strates de la société. Car les femmes étaient partout, et les mécontentes également. Celles qui rejoignaient l'Ordre avaient pour instruction de ne jamais en mentionner l'existence et recevaient, comme signe d'appartenance, un pendentif en forme d'araignée, qui leur permettait de s'identifier entre adeptes.

 

 

 

Spoiler

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Son discours eut des échos si favorables que Suyvel fut bientôt à la tête d'un vaste réseau de contacts et même d'espions. Elle dut le segmenter et déléguer une partie de son autorité. Et c'était le rapport de deux chefs de réseau qu'elle écoutait présentement. Le rôdeur et la magicienne lui disaient sensiblement la même chose : dans toute la région, la tension était palpable entre partisans de Quen et ceux de Niue.

 

Suyvel sourit.

 

Elle avait elle-même ordonné d'attiser les dissensions entre les deux cultes. La guerre de religion qui allait bientôt éclater balaierait l'ordre établi, et affaiblirait tout le monde. Tout le monde, sauf l'Ordre des Veuves Noires, qui se tiendrait sagement en retrait... et qui serait ensuite en mesure de prendre le pouvoir. Les idiots qui perdaient leur temps à bêler le nom de Quen ou de Niue comprendraient alors qu'il existait une troisième force plus puissante, mais il serait trop tard, bien trop tard. Quen et Niue n'auraient bientôt nul droit de cité dans la région.

 

Car l'Ordre des Veuves Noires ne rendait hommage ni à l'un, ni à l'autre.

 

Dieux de pacotille, patriarches à l'image des hommes qui dirigeaient cette société, ils seraient balayés comme fétus de paille par la tempête qui approchait. La Révolte des Femmes, comme on l'appellerait un jour, brandirait la bannière non pas d'un dieu, mais d'une déesse : Lloth.

 

Lloth, qui savait la dure réalité de la condition féminine.

 

Lloth, qui enseignait le modèle matriarcal.

 

Lloth, qui encourageait les femmes à régner sur les hommes.

 

Suyvel sourit sombrement. Il lui avait fallu longtemps pour comprendre... Elle avait abandonné la culte de la Reine Araignée, croyant que la tyrannie et la malveillance de son peuple lui étaient imputables. C'était peut-être vrai, du moins en partie, mais c'était un mal nécessaire pour en combattre un autre plus grand : la phallocratie.

 

Car partout où les hommes dominaient, les femmes étaient tenues dans l'ignorance la plus crasse et réduites aux rôles de poules pondeuses et de domestiques. Même au sein de la société drow, réputée si dure avec les hommes, elle n'avait vu ce genre de choses. Les hommes y étaient instruits dans tous les savoirs, y compris le combat et la magie. Seule la prêtrise leur était interdite, Lloth ne tolérant nul mâle dans son clergé. Et si les femmes dirigeaient, elles n'empêchaient pas les hommes de se hisser aux plus hauts niveaux de responsabilité, tant que ceux-ci reconnaissaient leur prééminence.

 

Suyvel avait eu la révélation de cet état de choses lorsqu'elle avait été présentée devant le Haut Conseil des elfes sylvains. D'abord, leur mépris et leur ton hautain envers elle, elfe noire, lui avaient déplu. Elle avait réalisé que, bien qu'ils ne fussent que les descendants lointains de ceux qui avaient condamné son peuple à l'exil, ils en avaient gardé la morgue et l'hostilité envers les drows. Et elle ne s'éteindrait jamais. Ensuite... il n'y avait pas de femmes dans le Haut Conseil. Pas une seule. Humains ou elfes, les hommes semblaient être partout les mêmes, à s'arroger arbitrairement le pouvoir au détriment des femmes.

 

Alors à quoi bon les sauver des orques ? avait-elle pensé à ce moment-là. Qu'ils meurent donc !

 

Une fois son forfait accompli, Suyvel s'était livrée à des rituels de divination pour savoir quels dieux pourraient encore lui être favorables. Elle n'avait rien vu de bon. Elle ne s'était jamais sentie proche de Quen ou de Niue et désormais, même Eolia se détournait d'elle, n'approuvant pas sa conduite. La surprise était venue de Lloth : Suyvel avait découvert avec étonnement qu'elle n'était plus en disgrâce auprès d'elle malgré sa fuite et son reniement. Le massacre des elfes sylvains avait ravi la Reine Araignée, qui lui accordait à nouveau sa faveur.

 

Lloth, la redoutable protectrice de son peuple.

 

Lloth, l'unique défenseur de la condition féminine.

 

Pour le combat que Suyvel envisageait, elle était le seul choix logique. Aussi avait-elle renouvelé ses vœux auprès de la noire déesse, et œuvré à constituer un cercle clérical voué à la Reine Araignée. Une nouvelle prêtrise était en train de voir le jour sur ces terres. Bientôt, les premiers chants liturgiques résonnèrent dans les profondeurs du monde, dans les grottes aux araignées situées juste sous le fortin du Souffle d'Eolia. Suyvel, avec une ironie non dissimulée, avait établi son quartier général presque sous le nez de son ancienne faction, qui ignorait tout de sa présence.

 

Et Lloth répondit favorablement à l'appel.

 

L'Ordre des Veuves Noires montait en puissance et préparait le règne de la Reine Araignée. Et alors, ses fidèles suivantes régenteraient le pays en Son Nom.

 

Le rôdeur terminait son rapport.

 

« ... il serait judicieux de regrouper les réseaux de Melrath Zorac et d'IssCaNak. Suyvel, je me porte volontaire pour -

 

ZZZZAAAAKKKK !!!

 

Un éclair noir foudroya le rôdeur et l'envoya bouler au pied des marches. Il ne s'agissait certes pas d'un sortilège de destruction, mais il causait un choc assez rude et surtout une douleur crucifiante. Un sort de magie noire, bien entendu. Suyvel avait également renoncé à la magie blanche pour revenir à celle de son peuple, la seule qu'enseignait Lloth. Elle se leva en furie et fut sur le rôdeur en un instant. Elle l'empoigna par le col et le releva avec une facilité déconcertante pour lui hurler en plein visage.

 

« Mon titre ! Lorsque tu t'adresses à moi, emploie toujours mon titre !!! »

 

Lorsqu'elle le lâcha, l'homme manifestement confus et terrifié tomba à genoux puis s'aplatit devant elle, le nez presque sur le sol.

 

« Pardon, Honorée Matriarche ! Je... j'ai oublié de... »

 

Devant tant d'humilité et de repentir, la colère de Suyvel redescendit de plusieurs degrés.

 

« C'est bon, je passe l'éponge pour cette fois... mais sois plus attentif à ta langue à l'avenir ! »

 

Suyvel avait confiance dans les capacités du rôdeur, c'est pourquoi elle l'avait mise à la tête d'un réseau d'agents liés à l'Ordre des Veuves Noires. Mais c'était aussi un homme, et il avait du mal à se souvenir des règles. Sans compter que l'ambition lui faisait parfois oublier sa condition. On n'effaçait pas si facilement une éternité de patriarcat.

 

De temps à autre, il a besoin qu'on le rappelle à l'ordre. Qu'il apprenne à rester à sa place.

 

Les hommes étaient de plus en plus nombreux à rejoindre l'Ordre. Tous ceux que les femmes adeptes de l'Ordre avaient su soumettre, d'une façon ou d'une autre... Il fallait bien leur enseigner les préceptes de l'Ordre, la réalité de leur nouvelle condition d'être inférieur et la nécessaire discipline qui allait avec. Ils étaient utiles, il n'était pas question de se passer d'eux. Mais leur éducation était parfois difficile.

 

La magicienne la tira de ses pensées.

 

« Matriarche... quand allons-nous faire le premier mouvement ? Quand allons-nous enfin abattre le pouvoir en place ? Quand allumerons-nous les feux de la guerre ? »

 

Suyvel eut un sourire évocateur.

 

« Bientôt, bientôt... Pour l'heure, tu peux disposer. Je me retire dans mes quartiers. »

 

Ce qu'elle fit. En entrant dans sa loge, Suyvel vit son reflet dans un miroir et y prêta brièvement attention. En trois ans, elle aussi avait changé.

 

 

 

Spoiler

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Elle se demanda fugitivement si ses anciens camarades la reconnaîtraient encore.

 

Aucun intérêt.

 

L'elfe noire en revint à son grand projet. Comme elle l'avait dit à la magicienne, leur plan serait prochainement mis en œuvre. Ils étaient presque prêts. Presque. Dès que les adeptes de Niue et de Quen se seraient entretués, la région serait comme un fruit mûr : prête à tomber.

 

L'avènement de Lloth était proche.

 

* * * FIN * * *

Modifié (le) par Suyvel
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