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Terre des Éléments

Une nouvelle ère.


Guest Orus
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La veille,

Attablée en la taverne du Marais, Salaha savourait une tisane de plantovor en relisant pour la troisième fois le parchemin qu'elle avait récemment emprunté à l'église d'IssCanak. Le texte, intitulé « De l'origine de la terre des éléments », traitait de la création du monde. La magicienne connaissait parfaitement cette légende, elle aurait presque pu la réciter à la virgule près. Pourtant, un point semblait l'intriguer. Si seulement elle parvenait à mettre le doigt dessus...


Une ombre vint lui cacher la lumière. Devant elle se tenait un garçon d'une douzaine d'année. Frêle, le visage noirci, les cheveux poussiéreux, et les bottes crottées, il ne payait pas de mine. Pourtant, elle sourit en le voyant.


« - Et bien Tiny, qu'est-ce qui t'amène de ce côté-ci des Cîmes ?
- Z'avez dit d'venir vous voir si y'avait du nouveau...
- Oui ?
- Et qu'y aurait une récompense...
- Tout dépend de ce que tu as à me dire.
- Y a des pêcheurs de néon en ville.
- Du poisson à Melrath Zorac ?
- Non... euh... des pécheurs dénoués...
- Cela n'a toujours pas de sens. »


Elle but une gorgée pendant que le garçon réfléchissait.


« - Ah, ça me revient. Des prêcheurs de Niue !
- Quoi !? »


Elle manqua recracher sa tisane en entendant la nouvelle. Tiny se frotta les mains devant pareille réaction. C'était toujours synonyme de récompense.


« - Alors, ça vaut de l'or ce nouveau là ?
- Des prêcheurs de Niue, tu es sûr ?
- Voui m'dame.
- A Melrath Zorac ?
- Voui m'dame.
- Tu les as vus ?
- Euh... non m'dame. Mais c'est p'tit Ubert qui m'l'a dit. Même que gros Gilbert l'a dit pareil après. Et...
- C'est bon, c'est bon. Tiens voilà pour toi. »


Elle lui tendit une dizaine de pièces d'or, puis rassembla ses affaires. Elle s'apprêtait à s'éloigner quand le garçon la retint.


« - M'dame ?
- Autre chose d'important ?
- Ben...
- Fais vite, j'ai une prêche à entendre.
- Finissez pas votre boisson ?
- Non... »


Elle s'éloigna en s'efforçant de ne pas penser à la raison de cette question. L'hiver avait été rude. La pauvreté avait gagné la capitale du désert. Les orphelins couraient les rues à la recherche d'un travail. Tiny n'était pas un mauvais bougre, mais une victime de plus de la guerre. Cette guerre qui avait fait rage pendant les périodes chaudes. Cette guerre qui avait dévasté la côte irliscienne, et causé tant de morts déjà. Oui, l'hiver avait été rude, mais il avait été calme aussi. Alors qu'elle marchait vers les mines, Salaha sentait que cette tranquillité touchait à sa fin.

 



Aux alentours de midi,

Elle était arrivée à Melrath Zorac au milieu de la nuit. Les rues étaient alors désertes, et la taverne vide. Difficile de recueillir des informations dans ces conditions. Elle était parvenue à prendre une chambre après de longues minutes de discussion avec l'aubergiste. Quand elle avait enfin gagné son lit, les quatre soleils étaient proches du réveil. Aussi c'est tard dans la matinée qu'elle avait émergé. Elle était sortie sans attendre, pressée de voir ces maudits prêcheurs, se languissant de les ramener à la raison à grands coups de bourdon sur la tête !


Elle devait être déçue... les rues étaient désertes. Pas le moindre prêtre, pas le plus petit badaud. Quelques enfants de ci de là, un commerçant ou deux, rien de bien intéressant. Elle fit le tour de la ville, sans succès. Elle commençait à douter de son informateur, quand la voix retentit.


« Bien le bonjour peuple de Melrath... »


Elle résonna dans toute la ville, faisant vibrer les murs à l'unisson, attirant les regards des rares passants vers... le vide. A qui appartenait cette étrange voix ? Qui pouvait bien proférer pareil propos ? La magicienne tendit l'oreille.


« ...n'ayez pas de confiance particulière dans ceux qui sont censés vous gouverner, je vous libérerai de leur joug par la puissance de l'Unique. »


Était-ce Lui ? Elle le chercha des yeux, malgré elle. Elle n'avait aperçu sa sombre silhouette qu'une fois. Cela lui suffisait amplement. Elle ne souhaitait pour rien au monde croiser à nouveau ces yeux rougeoyants. Et son rire... à glacer un soleil.


« Néfastes et maléfiques ont toujours été considérés comme nuisibles par le peuple des hommes du sud. La voie de l'Unique est la votre, rejoignez celles et ceux qui ont choisi un futur libre. »


Le laïus se terminait enfin. Nulle ombre ne s'était montrée à l'horizon. Pourtant, Salaha n'avait pas rêvé. Les regards ahuris des quelques passants ne laissaient aucun doute sur l'existence du discours. Les jambes de la magicienne en tremblaient encore. Que le message parvienne jusqu'en ces murs avait de quoi en terrifier plus d'un. Voire même en soumettre quelques uns... Comme elle tentait de se redonner une contenance, l'aqueuse laissa échapper quelques mots :


« Quel beau parleur ce Rebom... par l'Unique, on y croirait presque. »


Elle sourit comme pour appuyer la désinvolture de sa remarque, ne manquant pas d'observer la réaction des présents. Ces mots ne pouvaient être sortis du néant. Tiny avait dit vrai, il y avait sans doute des prêcheurs en ville, des porte-parole de Rebom venus semer la pagaille. Si l'un d'eux était dans les parages, elle avait bien l'intention de mettre la main dessus !


C'est alors que la voix s'éleva à nouveau, sûre d'elle, puissante, ancienne... une voix d'outre-tombe.


« Quatre jours durant j'ai tutoyé l'Unique... »


La suite se perdit dans les méandres de la conscience de la magicienne qui n'était pas loin de perdre connaissance. Ce ne pouvait être que lui. Était-il puissant au point de s'immiscer dans les consciences des hommes ? Était-il si proche au point d'entendre chacune de leur parole ? Cette pensée lui glaça le sang. Si son pouvoir était si grand, ils étaient tous condamnés. Aujourd'hui ou demain, quitte à mourir autant que ce soit l'arme à la main. Bravache, elle se prit alors à lancer :


« Quatre malheureux jours au prix de centaines de vies, est-ce là ce que vous offrez au monde ? »


... avant de déguerpir aussi rapidement que son honneur le lui permettait. Elle rentra à l'auberge, comme si l'endroit pouvait être sûr. Après avoir verrouillé la porte, elle s'attabla et sortit son nécessaire d'écriture. Elle devait prévenir ses frères d'armes.


Rebom était bel et bien de retour.

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- Trois Heures et toujours rien ! Si on s'est payer ma tête, il y en aura qui vont voler !
 

Il y a deux jours, j'avais entendu dans l'une des tavernes de l'académie qu'il y avait quelques troubles à Melrath Zorac, sous la forme de prêcheurs. Intrigué, j'ai demandé au colporteur s'il en savait plus. Il m'avait répondu que non, vu que les gardes avaient emmené et emprisonné l'individu. Surpris par le comportement un peu exagéré des gardes, je suis descendu à l'ancienne caserne, là où ce trouve le terrain d'entrainement de la garde, ainsi qu'un ami qui pourrait me fournir plus de renseignement : Balt Serr, l'un des 4 tirs-au-flancs qui passent leurs temps à jouer au cartes.

 

Lui exposant le sujet de ma visite, il me confia ce qu'il savait :
 

« Ben, tous c'que j'sais, c'est qu'des prêcheurs venu dont-ne-sait-où on débarquer en ville et qui' ont commencé à brailler des tas d'paroles pas joli-joli, si tu vois c'que j'veux dire, mais bon, c'est pas qui leurs à valu un tour au trou, non. Ce qui nous à obliger à faire ça, c'est qui' ont parlé du Dieu Déchu, un certain Nouille, je crois...

- Niue !!!

- Voilà, c'est ça, Niue ! Le problème, c'est qu'on sait pas si y en a pas d'autre, alors on reste sur nos gardes, au cas où.

- Et tu pourrais me dire où ces prêcheurs sont apparu la première fois ?

- Oh facile, c'était sur la grande place de MZ, mais maintenant, toute la ville est sous surveillance, donc ça va pas être facile pour eux, mais j'pense pas qu'ils abandonnent comme ça.

- Merci du renseignement, je te revaudrais ça ».
 

Et voilà comment je me suis retrouvé à attendre, immobile, l'arriver des prêcheurs de Niue ! Le seul truc qu'il aurait manqué pour mon inconfort serait une fine pluie glaciale ...

J'attendais dans l'un des rares palmiers du lac de MZ, mon instinct me disant que les prêcheurs seraient ici et pas ailleurs. Une foule grandissante me le confirma.


 

Soudain, sans savoir pourquoi, toutes les têtes se tournèrent dans la même direction : 2 hommes encapuchonné venaient d'apparaître et l'un d'eux commença à récité :


 

 « Vous qui errez sur ces terres déchirées, écoutez la voix de l'Unique! Il vous promet la rédemption! Je vous le dit: bientôt une aube nouvelle va se lever sur un monde purifié de toute abomination. Ce sera l'avènement du Dieu Unique, et la destruction de tous les païens calomniateurs des soi-disantes divinités élémentaires. Continuez à espérer, peuple de ces Terres, car bientôt le bras armé et vengeur de Niue servira les desseins de l'Unique! Lui seul saura vous guider à travers les méandres de mensonges qui nous inondent jour après jour. Malheur à ceux qui colportent d'impures croyances. Ceux-là auront à subir Son courroux! Mais les vrais fidèles n'auront rien à craindre. Un temps nouveau débarrassé de tout ce qui n'est pas création de l'Unique vous attend! Rejoignez-nous, venez prier et espérer, car le progrès est en marche, et rien ne pourra arrêter Sa volonté! »


 

L'autre homme, ayant aperçu des personnes qui se dirigeaient vers l'attroupement, les apostropha :


 

« Holà étrangers, vous qui venez des Terres Elémentaires, vous qui marchez tout pétri de certitudes périmées, arrêtez vos pas un instant et écoutez mes mots ! Car le grand bouleversement arrive ! Oui, en vérité je vous le dis, des temps meilleurs s'annoncent. Oui, le seul véritable dieu, le Dieu Unique, va revenir en ce monde. Ce monde souillé et corrompu par ceux qu'il avait chargés de l'embellir, ceux qui ont ignoré Son Verbe, ceux qui l'ont oublié, ceux qui osent se faire appeler Dieux des Quatre Eléments !!! Mais ils en sont indignes, et bientôt le Jugement de l'Unique retentira pour Eux et tous ceux qui les ont suivis dans leurs desseins hérétiques. Et alors le Châtiment de l'Unique s'abattra sur leurs têtes et les renverra au néant dont Il les a jadis tirés.

 

Oui, le sable touche à sa fin dans le grand sablier du temps pour ceux dont le nom est Eolia, Fimine, Posicillon et Vulfume. Leur fin est proche ! Souhaitez-vous vous laisser entraîner dans leur chute ? Non ? Alors ouvrez votre cœur à la parole de l'Unique, et entendez la voix de Son Héraut, Son seul Messager : Niue ! Le seul fidèle de l'Unique, le seul qui ne se soit pas détourné de Sa Voie, telle qu'Il l'avait voulue pour ce monde, ce pauvre monde brisé...
 

Et voici le message que Niue vient nous remettre : renoncez ! Renoncez à vos vieilles idoles, vos cultes élémentaires dépassés, Niue vous en délivrera. Expiez ! Expiez vos fautes en combattant pour lui, pour l'Unique, pour un futur monde meilleur que celui-ci ! Et purifiez. Purifiez ce monde de l'infâme souillure des faux dieux, rasez leurs temples, brûlez leurs prêtres dévoyés, ceux qui resteront sourds à l'appel de Niue ne méritent rien d'autre.
 

Niue est grand ! Niue est fort ! Niue est pur ! Il nous sauvera !!!
 

Remercions l'Unique de nous envoyer Son Héraut. »
 

Ayant entendu ces... affabulations, je me dépêchai de quitter les lieux, espérant que la distance pourrait étouffer ma rage grandissante et mon désirs de faire couler le sang de ces imbéciles ignares, à moins qu'ils ne soient simplement fous.
 

J'aurais dû les signaler à la garde, histoires que ces 2 soi-disant prêcheurs moisissent un peu dans la vielle prison de la ville. J'aurais vraiment dû... Mais ce qu'il s'est passé avec Malicius m'en empêche.

 

Ayant mis plus d'une lieue entre moi et la ville, je m'autorisai une courte pause pour faire une rapide méditation et évacuer la rage qui aurais pu Le réveiller.

 

- Maudit soit-Il, avec ses plans, quel qu'ils soient ! J'espère seulement pour Lui que ses prêcheurs n'auront pas l'audace de s'aventurer seul trop loin de leur campement, sinon il ne Lui restera plus que des porcs épiques géants !
 

Sur ces bonnes paroles, je terminais le trajet qui menait aux marais, histoire de prévenir les miens des changements qui se profilait a l'horizon.

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Je suis habillé de jaune, j'ai toujours été proche d'Eolia, je l'ai même rencontré une fois en étant transporté au 7e ciel sur les nuages en face à face. Je n'ai jamais remis en question le bien fondé de mon attachement. 

 

Et un matin, je me lève et je rencontre un prêcheur habillé de gris. C'est étrange. Devant lui un petit attroupement se forme tant pour l'originalité de l'homme que grâce à sa voix étonnante. 

 

"HOMMES ET FEMMES DE MELRATH ZORAC ..."

 

Je n'arrive pas à écouter la teneur du discours tellement l'homme m'intrigue. Ce n'est pas naturel. Je suis magicien et je sais repérer la magie même lorsqu'elle est diluée. Et c'est bien le cas ! Mais je n'arrive pas à repérer si c'est une magie positive ou maléfique. L'homme est très doué, sous ses apparences humbles et frêle se cache un homme puissant. Il n'a pas peur, il sait qu'il risque mais il ne nourrit pas de crainte.

 

Je reste donc là à le contempler en me laissant troubler par un discours que je ne saisi pas mais qui installe le doute au plus profond du disciple de l'air que je suis. Je serre dans ma main mon amulette jaune et elle me semble plus froide que d'habitude.

 

Le discours se termine. Il n'est pas ennuyant, le public reste pendu à ses lèvres. Mais les paroles sont insistantes et convainquantes. Quelques personnes tombent à genoux et paniquent. Certains enlèvent leurs signes d'appartenance. Est-ce que les habitants de Melrath vont se laisser convaincre? Peut-on envisager un jour la fin des éléments?

Modifié (le) par lundi
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  • 4 weeks later...

La venue des adeptes de Niue n'était pas passée inaperçue dans Melrath Zorac.

 

Ils n'étaient pourtant pas les premiers du genre. Bien des hommes de foi traversaient le pays et en profitaient pour répandre la bonne parole sur leur passage. Mais ceux-là en particulier étaient différents des autres.

 

D'abord, ils semblaient vouloir rester dans la région. Ensuite, la garde de Melrath Zorac avait fini par leur interdire de prêcher entre les murs de la ville. Et enfin, des incidents avaient eu lieu. Des altercations, des rixes. Et bien que les missionnaires soient désormais tenus à l'écart, les troubles ne semblaient pas devoir se calmer. Bien au contraire, ils gagnaient en fréquence... et en violence.

 

Suyvel n'en avait cure.

 

L'elfe noire se tenait à l'écart de ce genre de considérations. Elle avait entendu quelques paroles prononcées par lesdits missionnaires et avait vite craint que leur message ne sème la discorde dans la région. Ces hommes tenaient les représentants des Eglises des Quatre Eléments pour responsables du déchirement de ce monde. Du point de vue de la drow, si cela n'était pas totalement dénué de sens "“ après tout, les Seigneurs Elémentaux étaient les architectes de ce monde, mandatés par l'Unique lui-même "“ les blâmer pour l'état actuel du monde semblait relever de l'abus manifeste, voire de la mauvaise foi. Quant à l'idée que l'Unique ait pu les renier, Suyvel en doutait fortement. L'Unique ne les avait-il pas choisi lui-même pour accomplir Sa Vision ? Les Quatre étaient Ses Elus. Les désavouer ne serait-il pas se désavouer Lui-même ?

 

De toute manière, depuis que l'elfe noire avait rejoint les rangs des adorateurs d'Eolia, elle avait trouvé une certaine sérénité. Elle croyait sincèrement en sa bienveillante déesse et comptait bien continuer à lui adresser ses prières, librement et avec sincérité. Personne ne lui dicterait sa foi. Surtout pas une poignée d'illuminés qui prônaient l'intolérance.

 

Il faut dire que cela rappelait de mauvais souvenirs à Suyvel. Tant qu'elle avait vécu parmi ses semblables, elle avait dû adopter leur religion officielle "“ le culte de Lloth. Et la Reine Araignée était une déesse jalouse. Dans la ville souterraine, aucun autre dieu n'avait droit de cité. Pas même les propres enfants de Lloth. Prononcer simplement le nom d'une autre déité que Lloth relevait du blasphème pur et simple. Et les prêtresses de Lloth avaient des oreilles partout. Les malheureux qui bravaient l'interdit risquaient de cruels châtiments, s'ils n'étaient pas tout bonnement offerts en sacrifice à la sombre déesse.

 

Les guerres de religion étaient une plaie sans nom. Si jamais les adeptes de Niue, par leur message, créaient des conflits entre les différentes paroisses de la région, Suyvel s'en tiendrait soigneusement à distance. Elle ne voulait pas finir sur un bûcher pour ses croyances. Déjà qu'on la regardait souvent de travers à cause de ses origines...

 

Mais aurait-elle seulement le choix ?

 

Ce jour-là, elle se rendait en ville, et venait de franchir la porte Ouest des remparts, lorsque son attention fut attirée par une agitation inhabituelle. Une bande d'excités semblait courir après un individu seul. Suyvel tira son capuchon sur son front et voulut continuer son chemin sans se soucier de la scène "“ éviter les ennuis ici lui semblait toujours préférable "“ lorsqu'un détail l'interpella. Elle connaissait la personne traquée : c'était en fait une jeune femme, Lani, qui résidait du côté du lac oriental. Du coup, l'elfe noire arrêta ses pas et prêta attention à la situation. Les poursuivants semblaient lui lancer des invectives au sujet de sa religion et de sa déesse. Or Suyvel était bien placée pour savoir à quoi s'en tenir à ce sujet : Lani était une fidèle d'Eolia. Elles partageaient une même foi et avaient toutes deux régulièrement échangé sur le sujet. De bien plaisants moments aux yeux de Suyvel. Allait-elle laisser Lani dans cette fâcheuse situation ? La laisser se faire... quoi au juste ? Rudoyer ? Battre comme plâtre ? Ou pire... lyncher ? Lapider ? Sans compter que ses poursuivants étaient des hommes. Et dans ce genre de circonstances, les mâles avaient tendance à tout confondre et à laisser parler leurs instincts bestiaux.

 

Suyvel hésita. Sa raison lui criait clairement qu'elle allait s'attirer de sérieux ennuis... mais sa foi en Eolia lui dictait de se porter au secours de la jeune femme. Et si c'était là une épreuve, placée sur sa route par la déesse elle-même ? Pouvait-elle prendre le risque de la décevoir ?

 

Assez tergiversé!

 

La magicienne s'élança entre les bâtisses, en suivant un chemin parallèle à celui de Lani et de ses poursuivants. La jeune femme essayait manifestement de les semer en multipliant les virages dans des ruelles tortueuses. Suyvel avait du mal à ne pas la perdre de vue, ses poursuivants, eux, étaient à la peine. Ils durent se diviser plus d'une fois pour ne pas la perdre complètement. L'elfe noire finit par espérer que la jeune femme s'en tire par ses propres moyens... mais peu après, elle vit qu'un petit groupe allait déboucher d'une rue perpendiculaire et couper la route de Lani un peu plus loin. La jeune femme serait prise entre deux feux. Suyvel n'hésita pas plus longtemps : un léger sifflet attira l'attention de l'humaine et elle découvrit dans un rue adjacente son amie drow qui lui faisait manifestement signe de la rejoindre. Elle n'hésita pas plus d'une seconde avant de se ruer à sa rencontre. Sitôt réunies, les deux femmes filèrent à toute allure dans une autre direction.

 

Pour autant, elles n'étaient pas sorties d'affaire.

 

De petits groupes les avaient repérées et des cris retentissaient régulièrement dans les ruelles, chaque fois que les deux femmes étaient repérées. A un moment, trois hommes surgirent devant elles et elles se crurent bloquées... mais Suyvel usa d'un souffle de magie blanche de faible puissance, non pour les blesser, juste pour les déséquilibrer et les écarter. Et les deux fuyardes reprirent leur course de plus belle.

 

Toujours talonnées par leurs poursuivants, elles finirent par s'engager dans une rue assez longue et dépourvue d'embranchement. Ce fut leur seule erreur. A l'autre bout, un groupe fit son apparition et se porta à leur rencontre. Elles surent presque instantanément qu'elles étaient piégées. Elles s'immobilisèrent, dos à dos, et attendirent l'inévitable.

 

Les hommes étaient nombreux mais à bout de souffle, tant et si bien qu'ils ne se jetèrent pas tout de suite sur les deux femmes. Ils se contentèrent de leur bloquer toute retraite et d'examiner la situation. La présence d'une elfe noire n'était pas prévue. Suyvel doutait que cela les arrête. Les commentaires réprobateurs sur ses origines et sa religion ne tardèrent pas à fuser, lui confirmant qu'elle avait vu juste. Elle allait devoir jouer serré.

 

Rejetant sa capuche et sa cape en arrière, elle incanta un sort qui produisit un bref coup de vent tourbillonnant autour d'elle, bousculant et repoussant les hommes. Elle mit toute son autorité naturelle dans les quelques mots qu'elle prononça.

 

« Arrière ! Je suis mage, alors ne tentez rien que vous regretteriez. Mon amie et moi-même allons partir d'ici en paix, et tout se passera au mieux pour chacun de nous. »

 

Il y eut un léger flottement dans les rangs des poursuivants... mais aux murmures désapprobateurs, Suyvel sut que la partie allait être tendue.

 

« ... saleté de drow... »

 

« ... finissons-en avec tous ces adorateurs des Elémentaires... »

 

« ... maudits hérétiques... »

 

« ... nous sommes les serviteurs de l'Unique, il nous protège... »

 

« ... Niue est avec nous, nul ne nous arrêtera ! »

 

Et lorsqu'elle s'avança, de l'allure la plus assurée qui soit, elle comprit que cela ne suffirait pas. Peu d'hommes s'écartèrent. Les autres se saisirent de toutes sortes d'objets, du genre lourd et contondant, et firent face.

 

Suyvel s'arrêta sur place. La confrontation était-elle inévitable ?

 

Ce qu'elle craignait finit par se produire : un des hommes leva brusquement un bâton de manière menaçante à son égard. L'elfe noire avait eu l'intention d'éviter soigneusement la violence et toute effusion de sang, afin de ne point envenimer les choses. Mais une menace directe sur sa personne changeait la donne. Si Suyvel n'était pas agressive, elle n'était pas du genre à se laisser tuer sur place. L'individu encaissa un direct à la mâchoire aussi foudroyant qu'imprévu, qui l'envoya plusieurs pas en arrière. Ce qui aurait dû suffire à dissuader les autres, mais vu leur avantage numérique écrasant, ils n'en avaient cure. Ils avancèrent sur les deux femmes, prêts à refermer leur cercle.

 

La magicienne chercha désespérément une solution à leur situation désormais critique... et un sortilège bien précis lui vint à l'esprit. Aussitôt, sans plus y réfléchir, elle laissa les mots de l'enchantement s'envoler de ses lèvres.

 

Châtiment de l'Unique.

 

C'était un pari osé, à plus d'un titre. D'abord, elle n'y avait encore jamais eu recours. Ensuite, c'était un sortilège de magie divine, qui recourait à la puissance de l'Unique. Comme Suyvel ne lui adressait pas ses prières, elle n'était pas sûre qu'il répondrait favorablement à sa requête. Et enfin, les individus sur lesquels l'elfe noire appelait le Châtiment de l'Unique se prétendaient les serviteurs du dieu. Soi-disant ses seuls authentiques serviteurs. Si c'était la vérité, l'Unique aurait certainement à cœur de les protéger, ou à tout le moins de ne pas contribuer à leur perte. Bref, pour toutes ces raisons, le choix de ce sortilège était pour le moins contestable.

 

Seulement, c'était la seule attaque avec un vaste effet de zone que connaissait la magicienne. Et puis, malgré le risque d'échec que cela représentait, elle voulait voir s'il fonctionnerait, ou si l'Unique protégeait ces hommes. Dans ce cas, la situation des deux femmes deviendrait sans doute désespérée... mais au moins seraient-elles fixées sur les forces en présence.

 

Tout en récitant la litanie, Suyvel distribua quelques coups de poing et de pied bien placés, de manière à tenir leurs agresseurs le plus en respect possible. Mais elle ne pouvait être partout et derrière elle, Lani, si elle se débattait tant qu'elle le pouvait, était déjà en sérieuse difficulté. Et surtout l'incantation restait sans réponse, ce qui augurait mal de leur avenir immédiat.

 

Un des agresseurs tenait une corde et la passa vivement autour du cou de l'elfe noire, puis il tira brutalement, tentant de la déséquilibrer. Celle-ci porta une main à la corde pour résister tant bien que mal et rester sur ses jambes. Suyvel ne voyait plus d'issue à la situation et se disait que la partie était jouée lorsqu'une flammèche s'alluma sur l'épaule de son agresseur. Ce dernier, surpris, prit peur et lâcha sa corde pour tenter d'éteindre la flamme. A ce moment, plusieurs cris s'élevèrent dans le groupe d'hommes... et tous finirent par lever les yeux au ciel.

 

Le firmament virait au cramoisi.

 

Des traits de feu en tombaient, droit sur le groupe.

 

pluie_10.jpg

 

Un vent de panique souffla sur les rangs des assaillants. Ceux-ci se dispersèrent en grand désordre, fuyant pour leur vie. La peur de finir brûlés vifs était bien plus puissante que l'animosité religieuse qui les animait. Certains, touchés par les flammes célestes, hurlaient de terreur ou se roulaient au sol, dans l'espoir de les éteindre. Suyvel, presque ébahie, contemplait la scène sans plus bouger.

 

Alors voilà le visage du Courroux de l'Unique !

 

C'était une chose de lire la description du sort Châtiment de l'Unique dans un grimoire, c'en était une autre d'en découvrir les effets sur le terrain. La scène était dantesque. Et la zone d'effet, un peu plus étendue que la magicienne le croyait. La pluie de feu atteignait quelques bâtiments de la rue, qui risquaient fort de s'embraser sous peu. Des cris d'alerte retentissaient déjà dans les rues avoisinantes.

 

Ce n'est pas le moment de prendre racine dans le coin !

 

Comme plus personne ne s'intéressait à elles pour l'instant, Suyvel se saisit du poignet de Lani et l'entraîna vivement le long de la rue provisoirement déserte. Elles purent franchir sans encombre la porte Est de la ville. De là, Lani pourrait rentrer chez elle sans encombre. Néanmoins, Suyvel aurait bien parié qu'elle n'était pas sortie définitivement d'affaire. Lani vivait seule, sa famille ayant été décimée par une épidémie de peste, il y a plusieurs années. Et sa demeure était connue des gens de la région. Ses agresseurs pouvaient fort bien la retrouver. L'elfe noire lui suggéra donc d'aller chercher refuge dans le seul endroit où sa foi ne lui vaudrait aucun ennui : au pays d'Aéris. Lani sembla d'abord réticente à quitter sa chaumière, puis finit par admettre que ce serait plus prudent. Elle remercia vivement son amie pour son aide. Les deux femmes se serrèrent dans les bras l'une de l'autre une dernière fois et se quittèrent.

 

Une fois qu'elle fut seule, Suyvel eut la possibilité de méditer à loisir ce qui venait de se passer. Châtiment de l'Unique lui avait été accordé, c'était donc que l'Unique ne reconnaissait pas particulièrement les individus qui l'avait agressé comme ses fidèles. Ou du moins qu'il ne les protégeait pas spécialement. Peut-être désapprouvait-il leurs actes ? L'elfe noire songea alors aux deux prêcheurs, les adeptes de Niue. Si elle appelait le Châtiment de l'Unique sur leurs têtes, lui serait-il accordé également ? Un instant, elle envisagea la possibilité de se livrer à cette expérience, au vu de tous. Car si la colère de l'Unique s'abattait sur eux, ce serait la preuve éclatante que ces missionnaires se fourvoyaient, voire trompaient tout le monde. Malheureusement, même dans ce cas, elle doutait que leurs suivants aient encore assez de lucidité pour s'en rendre compte. Tout ce qu'elle obtiendrait comme résultat, ce serait d'offrir deux martyrs à leur cause. Leurs fidèles y puiseraient la justification de leur message d'intolérance et n'en deviendraient que plus radicaux.

 

Et si par malheur la pluie de feu les épargnait, cela constituerait la preuve que les adeptes de Niue étaient les protégés de l'Unique. Ce serait leur accorder un statut reconnu, un prestige certain, et une aura auprès de la population locale, qui n'en serait que plus facile à convertir.

 

Non, décidément, c'était une mauvaise idée.

 

Suyvel reprit donc le chemin du village du Souffle d'Eolia. Ce périple fut sans histoire, et pourtant la magicienne ne se sentait guère sereine. Peut-être était-elle agitée par de sombres pensées sur les évènements à venir. Peut-être ne pouvait-elle pas s'empêcher de s'inquiéter pour l'avenir de ces terres...

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