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Terre des Éléments

Happée par des vents pires...


Suyvel
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Cela fait combien de temps maintenant ?

 

Curieusement, la question paraissait presque dépourvue de sens. Ici, le temps semblait comme... figé. Bien que la vaste bâtisse du comte ne manquât pas de fenêtres, il n'y avait pas réellement d'alternance jour-nuit : la grisaille de la journée laissait simplement place à une obscurité plus épaisse, et voilà tout.

 

Des jours entiers... plus d'une semaine, je dirais.

 

Et encore, cela lui avait paru bien plus long. Certes, en tant que drow, la pénombre perpétuelle ne dérangeait nullement Suyvel, mais... il y avait quelque chose dans l'air qui la mettait mal à l'aise. Comme une aura qui pesait sur ses épaules telle une chape de plomb. Comme si les murs du manoir du comte lui hurlaient en permanence un avertissement silencieux.

 

Comme si ce lieu était maudit.

 

Ici, tous erraient comme des âmes en peine. Lorsqu'elle croisait un autre membre du Souffle d'Eolia, ils échangeaient les dernières nouvelles à voix basse, et chacun repartait de son côté. Suyvel avait même croisé des ennemis de sa faction... et chacun avait poursuivi sa route sans signe d'hostilité, comme si toute velléité offensive les avait quittés. C'était certes préférable ainsi, mais c'était anormal... et dérangeant. Voire franchement inquiétant.

 

Que se passera-t-il quand je serai en danger ?

 

La question valait d'être posée, et Suyvel ne tarda pas à s'en rendre compte. Le premier coup de semonce fut une alerte sans frais, mais se sentir impuissante devant une petite fille "“ fût-elle une vampire "“ n'augurait rien de bon pour la suite. L'elfe noire en fut quitte pour s'enfuir dans les couloirs et rester en permanence sur le qui-vive. Elle n'oubliait pas ce que la gamine lui avait promis : « si je te trouve , je te mords ! »

 

Non merci, sans façons !

 

La seconde alerte avait été bien plus périlleuse. Vlad, un cyclope employé comme bourreau par le comte, avait voulu exercer son art sur elle, et la découper en quartiers. Suyvel avait réagi en faisant face... et ses sortilèges s'étaient révélés inopérants ! Fort heureusement, la mince elfe noire s'était faufilée par un trou dans le mur que l'impressionnante carrure du cyclope lui avait interdit d'emprunter. Bref, elle s'en était tirée à bon compte mais elle savait désormais que sa situation était pour le moins précaire. Pour ne pas dire critique.

 

Que fais-je encore ici ?

 

Ca, c'était une bonne question. Une fichue bonne question !

 

Une fois résolue l'énigme à l'entrée du manoir, elle avait découvert qu'elle pouvait y entrer et en sortir librement. Elle n'était nullement prisonnière et pouvait donc à tout moment prendre ses cliques et ses claques, franchir une dernière fois la porte d'entrée et ne jamais revenir mettre ne serait-ce que la pointe d'un orteil en cet horrible endroit. Cependant, elle n'aimait pas rester sur un échec. Et puis une idée l'avait arrêtée.

 

Si personne n'arrête le comte, les attaques et les disparitions continueront.

 

Alors, envers et contre tout, elle était restée. Et ne l'avait pas tant regretté que ce qu'elle l'avait imaginé. Le manoir, petit à petit, lui avait livré ses secrets. Ses passages dérobés. Ses mécanismes dissimulés. Ses clés cachées. Et surtout, d'intéressantes informations provenant de deux invités du comte, deux malheureux croupissant dans ses geôles depuis belle lurette. Le comte Alucard était un puissant vampire, et elle tenait désormais la méthode d'un authentique chasseur de vampires pour en finir avec ce genre de créatures. Ce qui redressait la balance en sa faveur.

 

J'ai encore mes chances.

 

Pour autant, ce n'était pas gagné : elle avait dû s'employer à trouver tous les éléments nécessaires pour produire une arme capable de terrasser le monstre qui régnait sur ce manoir. Et lorsqu'elle s'était engagée dans le labyrinthe menant à la crypte du comte, elle serrait convulsivement entre ses doigts le pieu d'argent caché dans sa besace. Le manoir avait finalement révélé ses derniers secrets, Suyvel se trouvait en possession des emblèmes indispensables à l'ouverture de la crypte du comte.

 

Et ainsi se retrouvait-elle devant le tombeau du comte Alucard.

 

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Le cercueil du maître des lieux était constitué d'une matière que la magicienne n'identifia pas, mais qui présentait un aspect lisse comme un miroir, d'un noir laqué. Suyvel prit une bonne inspiration et saisit le couvercle entre ses mains. Il pivota lentement mais facilement, sans un bruit. Il était manifestement bien entretenu. Et elle put enfin poser les yeux sur la source de tous les maux qui frappaient actuellement la région.

 

Le comte était allongé dans le cercueil capitonné de pourpre et empli de terre. Seul son visage était apparent. Suyvel se rappela avoir lu quelque part la raison de ceci : un vampire ne peut se reposer que dans la terre qui l'a vu naître. Le comte avait certainement fait venir jusqu'ici des caisses entières remplies de terre de son pays natal. Elle sortit le pieu en argent et crispa ses doigts autour.

 

Finissons-en tout de suite.

 

Ce fut alors que son regard croisa deux yeux écarlates. Le comte avait les yeux ouverts. Suyvel en suffoqua presque de surprise.

 

Il ne dort pas !!!

 

Elle avait escompté profiter de son sommeil pour le terrasser. C'était raté. De plus, les yeux avaient une vertu presque hypnotique. L'elfe noire suspendit son geste, comme si elle avait été paralysée par le regard d'un serpent. En fait, de façon très troublante, elle avait oublié de frapper comme elle en avait eu l'intention. Ce ne fut que lorsque le vampire se redressa, écartant la terre, que Suyvel retrouva un peu de mobilité. Mais ce fut pour bondir en arrière et se mettre en posture défensive. Cela avait été un réflexe : elle s'était crue en danger.

 

Je n'ai jamais senti une présence aussi... hostile.

 

Alors elle réalisa qu'elle venait de laisser passer sa meilleure chance d'en finir avec le monstre. Pestant intérieurement, elle le regarda sortir de son cercueil, s'épousseter consciencieusement, et finalement tourner vers elle un regard condescendant.

 

« Tssss... sont-ce là des manières de traiter son hôte ? »

 

Comme Suyvel restait interdite, le comte poursuivit :

 

« Vous vous introduisez en ma demeure sans y être conviée, et vous tentez de vous en prendre à ma personne ? Et durant mon sommeil, de surcroît ? Je ne vous cache pas ma déception... j'espérais qu'une invitée de qualité saurait m'épargner l'indignité de pareils procédés.

- Indignité... ? répéta Suyvel, un peu estomaquée. Indignité ? Vous tenez à ce que l'on parle de vos méthodes ? Ou de celles de Vlad, votre bourreau ?

- Vlad est un rustre mais il m'est utile. Cela dit, ses manières sont plus franches que les vôtres, si vous tenez à vous engager sur ce terrain. Hmmm, je perçois de la colère dans vos paroles... de la colère contre vous-même, je dirais. Oh, peut-être pensez-vous avoir raté une occasion en or de me tuer ? »

 

Suyvel se sentit déjouée, démasquée, et ne trouva que répondre. Le comte se contenta d'écarter les bras.

 

« Je m'en voudrais d'être la cause de cette détestation. Alors je vais réparer cela, en vous offrant une seconde chance... Allez-y, frappez-moi. »

 

Les sourcils de Suyvel se levèrent de surprise.

 

« Quoi ?!

- Vous avez bien entendu. Frappez-moi. Allez-y, je vous promets de ne pas m'enfuir. Et je n'esquiverai pas votre attaque. Tuez-moi donc... si vous vous en pensez capable. »

 

Le fin sourire empreint de dérision qui étira les lèvres desséchées, craquelées du comte mirent les nerfs de l'elfe noire à rude épreuve, mais elle tint bon. Elle ne céda pas à la rage aveugle qui menaçait de balayer toute raison en elle. Pour autant, le comte ne bougea pas. Bras écartés, il attendait. Suyvel jaugea la situation, soupesant ses chances. L'assurance du comte était déconcertante "“ il semblait penser que rien de fâcheux ne pourrait lui arriver, comme s'il se croyait immunisé à toute attaque "“ mais que connaissait-il des atouts de son adversaire ? Savait-il seulement ce qu'était une elfe noire ? Avait-il conscience qu'elle tenait en outre une arme spécialement conçue pour le détruire ? Alors elle n'hésita plus.

 

Forte de la vivacité que lui conférait son sang drow, elle franchit d'un bond les trois mètres qui la séparaient du comte et darda le pieu vers son cœur. Elle frappa avec la vitesse d'un cobra qui se détend pour mordre sa proie. Et eut l'impression de heurter un mur.

 

Le comte n'avait pas bougé un pied. Lorsque Suyvel l'avait percuté, il n'avait pas même vacillé. Et lorsque la magicienne baissa les yeux sur son arme, elle vit que celle-ci n'avait pas atteint le comte. Ce dernier s'était saisi de son poignet et l'enfermait désormais dans une poigne d'acier.

 

Il a été plus rapide que moi... ?!

 

Suyvel n'en revenait pas ! Elle n'avait jamais rencontré d'humain capable de rivaliser avec elle sur ce terrain. Pire, elle avait beau peser sur le pieu de toute ses forces "“ les femmes de son peuple étaient capables d'une grande vigueur "“ elle n'arrivait pas à avancer d'un millimètre. Et le comte ne donnait pas l'impression de produire un effort démesuré pour la maîtriser. Le comte finit par se fendre d'un soupir.

 

« Fort bien, si c'est là tout ce dont vous êtes capable... vous voyez bien qu'il est inutile de vous fustiger de votre première occasion manquée. Car vous n'aviez aucune chance de me tuer. »

 

Il augmenta sa pression sur le poignet de Suyvel et le tordit jusque à ce que ses doigts se relâchent enfin et laissent tomber le pieu. Puis il écarta brusquement le bras qui tenait l'elfe noire, et celle-ci vola à travers le tombeau, pour finir par s'écraser contre le mur. Elle tomba au sol, puis se redressa en position assise, le dos contre la paroi, sa main gauche posée sur son épaule droite qui la faisait souffrir. Le comte, du bout du pied, balaya le pieu, l'envoyant rouler à l'autre bout de la pièce. Puis il fixa Suyvel , affectant un air peiné.

 

« Oui... pas la moindre chance. »

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La douleur était vive.

 

L'épaule droite de Suyvel la lançait furieusement, mais ce n'était rien en comparaison de sa souffrance morale "“ un sentiment horrible d'impuissance. Elle venait d'être balayée d'un revers de main, elle était surclassée tant sur le plan de la vélocité que de la puissance physique. Et depuis son entrée en ce lieu, les murs du manoir semblaient annihiler sa magie. Pour couronner le tout, elle venait de perdre son pieu d'argent, la seule arme capable de terrasser le comte. A ce moment précis, l'elfe noire n'aurait pas misé lourd sur ses chances de survie, encore moins sur ses chances de succès. Et pourtant, elle trouva en elle assez de ressources pour se révolter et invectiver son adversaire.

 

« Facile de parader lorsque l'on s'est assuré d'avoir désarmé son opposant avant même le début du combat ! Si j'avais encore mes pouvoirs, croyez bien que vous feriez moins le fier ! »

 

La pique sembla porter car le comte lâcha une exclamation de surprise et répliqua d'un ton outragé :

 

« Comment ?! Mais le fait même que vous ne puissiez recourir à votre magie ici est la preuve de votre insigne faiblesse ! La démonstration de la supériorité de mes pouvoirs ! »

 

Il parut ensuite recouvrer progressivement la maîtrise de lui-même et ajouta d'un ton songeur :

 

« Toutefois, je ne voudrais pas que vous croyiez que je vous ai interdit l'usage de vos pouvoirs par lâcheté... »

 

Le comte se lança dans une incantation complexe, psalmodiant dans une langue inconnue de la magicienne, aux accents rauques, tandis que ses doigts traçaient dans les airs des motifs occultes. Lorsqu'il eut fini, quelque chose dans la pièce avait changé. Suyvel le sentait. Elle percevait une vibration familière qui avait été absente jusqu'alors. Le comte énonça gravement :

 

« Voilà, j'ai levé temporairement la malédiction qui vous empêchait de recourir à vos pouvoirs "“ dans cette pièce uniquement. Ainsi, lorsque je vous écraserai, vous ne pourrez prétendre que je ne vous ai pas laissé toutes vos chances. »

 

La magie. La magie revient.

 

Cherchant confirmation tout en faisant œuvre utile, la magicienne lança un sort de guérison sur son épaule blessée. Et pour la première fois depuis qu'elle était entrée dans ce manoir, le sortilège opéra normalement. La douleur se dissipa et Suyvel se leva lentement. Tout en toisant le compte avec méfiance, elle accumula du mana en grande quantité dans son aura "“ autant qu'elle le pouvait, en fait, cherchant à déterminer si la limitation imposée par la malédiction du comte avait disparu ou était juste atténuée. Elle ne rencontra aucune difficulté à faire croître son aura jusqu'à son niveau usuel.

 

Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas d'entourloupe à craindre.

 

Suyvel murmura la formule d'un sort offensif mineur, qu'elle dirigea sur un mur. Le projectile magique alla s'y écraser en produisant un clac sonore, témoignant de sa puissance satisfaisante.

 

Non... pas d'interdiction des sorts offensifs. Je peux vraiment le frapper si je veux.

 

Elle le regarda dans les yeux. Les iris violets rencontrèrent ceux écarlates du comte. Améthystes contre rubis.

Un instant de bravade.

 

Suyvel choisit de prendre l'initiative. Elle appela un autre sortilège offensif, qu'elle n'enverrait pas dans le mur cette fois-ci ! Celui-ci réussit et elle dirigea la vague d'énergie magique vers le comte, qui n'était pas resté inactif : dès qu'il avait vu l'elfe noire incanter, il avait fait de même. Il leva la main droite comme pour parer la frappe de la magicienne... et un tourbillon obscur naquit de la paume de se main, qui vint à la rencontre du sort de Châtiment sacré et l'engloutit intégralement !

 

Suyvel en resta médusée.

 

Elle ne connaissait pas ce sort. Il relevait de la magie noire, certes, mais tout de même... Le comte n'avait nullement souffert de son attaque. Ce sort était visiblement puissant.

 

Puissant ? Jusqu'à quel point ?

 

Tous les sortilèges avaient leurs limites. Concentrant son aura au maximum, la magicienne appela cette fois un Faisceau de pureté sur le comte. Celui-ci ne changea pas de tactique et lança la main en avant, à la rencontre de l'énorme vague de puissance que venait de déchaîner l'elfe noire. Et à nouveau, l'attaque fut engloutie, purement et simplement, comme absorbée par un trou dans l'espace.

 

Sidérée, Suyvel fixa le noir maelstrom qui s'estompait. Le comte crut bon d'y aller de son commentaire :

 

« Mon vortex de ténèbres est comme un puits sans fond. Il s'agit d'un sortilège de négation, créé pour abolir tout rayonnement de nature magique. Frappez-moi tant qu'il vous plaira, vous n'arriverez à rien, si ce n'est à la révélation de votre insignifiance. »

 

L'elfe noire se tendit.

 

D'accord. Tu es puissant. Plus que moi. Mais ça, je le savais déjà. Depuis mon entrée dans ton manoir, je le pressentais.

 

Pour autant, elle ne s'avouait pas vaincue. Ce n'était pas obligatoirement le combattant le plus fort qui sortait vainqueur d'un combat.

 

Surtout d'un combat où tous les coups sont permis.

 

Néanmoins, si vraiment elle voulait s'imposer dans cette lutte, elle allait devoir faire preuve d'intelligence et de clairvoyance. De stratégie et de tactique. Ainsi que d'une bonne dose de fourberie.

 

Et dans cette matière, messire comte, tu ignores ce dont est capable une elfe noire...

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Suyvel saisit la poignée de son fouet et en déroula la lanière d'un geste ample, tout en murmurant une incantation. Le comte, sourcils froncés, observait l'elfe noire préparer son prochain mouvement, cherchant à en comprendre la nature exacte. Il ne prépara pas de sortilège.

 

Et soudain l'elfe noire frappa.

 

L'attaque fut vive et précise, tout humain normal n'aurait pas pu grand-chose pour y échapper. Le comte lui-même ne tenta pas d'esquiver le coup mais, au dernier moment, il leva l'avant-bras devant lui et la lanière vint s'y enrouler. Une parade efficace, qui le protégea d'un coup cinglant au visage. Baissant un peu son bras désormais captif, le comte laissa filer un sourire.

 

« Rapide mais pas encore aaaaaaaaaaaaaah ! »

 

La fin de sa phrase disparut dans un hurlement de douleur. Et pour cause ! Suyvel avait usé d'un sortilège sur son fouet, dont le simple contact créait désormais une douleur cuisante et permanente. Profitant de l'effet de surprise et de l'incapacité momentanée des on adversaire, l'elfe noire imprima une brusque traction sur son arme, déséquilibrant le comte. Alors qu'il essayait encore de restaurer son équilibre, elle fut sur lui. Sa main gauche tenait toujours le fouet, mais la droite dardait désormais son katar, son arme de poing favorite. Le comte n'était pas en mesure de se protéger efficacement et Suyvel vit avec satisfaction la lame s'enfoncer dans le flanc gauche de son ennemi. L'en retirant aussitôt, elle bondit en arrière, hors de portée, et déroula son fouet d'un geste circulaire. Elle connaissait la force du comte et ne voulait pas lui laisser la possibilité de le lui arracher "“ ou de la déséquilibrer à son tour.

 

Ce fut seulement alors qu'elle baissa les yeux sur son katar.

 

La lame n'était pas couverte de sang. Pas la moindre trace.

 

« Hum, une belle manœuvre, maugréa le comte, qui semblait au final peu affecté par la blessure. Bien menée mais futile... l'acier ne peut pas réellement me blesser. »

 

Suyvel eut une exclamation de colère et cingla à nouveau son adversaire de son fouet. Cette fois, son adversaire fit un vif pas de côté et esquiva le coup. La drow se rembrunit.

 

J'espérais juste le ralentir un peu par cette blessure... Pas évident que cela ait fonctionné.

 

Bon, si l'acier ne pouvait rien pour elle, elle avait d'autres ressources. Elle lança de nouveau son fouet en avant, forçant ainsi le comte à bouger et à détourner son attention de ce que faisait sa main droite. Plongeant dans sa besace, elle en ressortit une fiole de verre qu'elle projeta droit au visage du comte. Celui-ci, pris dans son élan consécutif à son esquive, n'était plus en position de se sortir de la trajectoire, mais il réussit à se pencher vivement en avant, sans tomber, et la fiole passa au-dessus de lui, pour finir sa course contre le mur, où elle se brisa. Suyvel ne put retenir une exclamation de déception et de frustration.

 

Ma potion de faiblesse totale... gâchée ! Hé bien, ce n'est pas encore avec cela que je vais le diminuer...

 

Elle était hermésiste de métier et avait décidé de recourir à ses préparations secrètes pour prendre l'avantage. Mais il lui faudrait toucher sa cible, bien évidemment.

 

Les deux antagonistes se tournèrent autour, lentement, en une danse funeste. Chacun évaluait l'autre, préparait son prochain mouvement, et essayait de prévoir celui de l'autre.

 

Suyvel reprit l'offensive en un éclair, par une succession rapide de coups de fouet. Alors que son adversaire, décidément impressionnant de rapidité, multipliait les esquives à l'envi, elle formula un nouveau sortilège. Lorsque ses attaques eurent mené le comte précisément à l'endroit qu'elle attendait, elle le relâcha.

 

La température chuta dans la pièce alors qu'une sphère d'énergie bleutée jaillit de la paume de sa main tendue. A cette courte distance, et privé à cet instant précis de tout appui au sol, Alucard ne put rien faire pour éviter la boule de givre. Il se protégea de son mieux alors que le projectile magique explosait sur lui, le couvrant d'une fine couche de glace et répandant un froid incapacitant à travers son corps.

 

Suyvel eut un cri de triomphe.

 

Là, je t'ai eu !

 

Et bien entendu, elle n'allait pas en rester là. Ce sortilège n'était guère destructeur, il ne terrasserait jamais un adversaire de la trempe du comte. Mais il allait le ralentir dans ses mouvements, et l'occasion était idéale pour enchaîner avec une autre attaque, qui le diminuerait encore davantage. Avec un peu de chance, elle mettrait même fin au combat.

 

L'elfe noire tira une autre fiole de sa besace, qu'elle jeta droit aux pieds du comte. Elle se brisa sur le sol sans qu'il ait pu s'écarter, trop engourdi pour réagir assez vite. La poudre d'un vert grisâtre qu'elle contenait se répandit aussitôt en un nuage délétère, dont le comte essaya de se protéger "“ trop tard.

 

Suyvel exultait et attendit de voir les effets de sa mixture sur le vampire.

 

Celui-ci avait fini par sortir du nuage, mais il se doutait bien qu'il avait été atteint par le produit qu'il contenait. Alors il revint vers la périphérie de la brume empoisonnée et l'huma avec circonspection. Puis il laissa filer un pâle sourire.

 

« Poudre de sommeil, hein ? »

 

Ce qui étonna Suyvel.

 

« Exact ! Vous connaissez ce genre de produits ?

- Bien entendu. Je suis moi-même féru d'hermésisme. On pourrait dire que je suis un maître, sans vouloir me flatter... »

 

Et il fouilla dans la poche intérieure de sa tunique, en ressortant un flacon qu'il ouvrit et vida d'une lampée. Après quoi, il lança négligemment le contenant à l'elfe noire, qui l'attrapa au vol. Le comte lui sourit.

 

« Devinez-vous ce que je viens de consommer... ? »

 

Prise d'un doute affreux, la drow porta le flacon à ses narines. L'odeur familière ne lui laissa aucun doute. Elle murmura d'un ton accablé :

 

« Potion stimulante... elle dissipe instantanément les effets de la fatigue. La meilleure façon de neutraliser ceux de la poudre de sommeil. »

 

Le comte lui adressa un sourire sarcastique.

 

« Exactement ! Et soyez assurée que, pour chacune des petites préparations que vous me cachez encore, je connais au moins deux ou trois antidotes valables. Je suis parfaitement au courant de toutes les recettes existantes. »

 

Les épaules de l'elfe noire s'affaissèrent. ître surclassée aussi sur ce terrain-là, elle ne s'y était pas attendue.

 

Le coup était rude.

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Le comte paraissait se délecter du désarroi de l'elfe noire. Il fit deux pas vers elle en énonçant, sur un ton doucereux qui voilait à peine la menace :

 

« Fort bien, si vous n'avez plus de tours dans votre besace...

- En fait, il m'en reste un. »

 

La magicienne avait recouvré sa détermination et ajouta d'une voix autoritaire :

 

« Vole ! »

 

Dans le coin de la pièce où il avait roulé, le pieu en argent frémit, puis s'éleva lentement dans les airs.

Le comte sentit la magie à l'œuvre et se retourna pour voir où elle se concentrait. Il haussa un sourcil en découvrant le pieu qui lévitait à plus d'un mètre du sol, puis tourna vers Suyvel un regard inquisiteur.

 

« Vous avez créé un enchantement sur cet objet ?

- Oui, un dweomer comme on l'appelle dans ma langue.

- Et il lui permet donc de planer ? Fascinant mais pas très utile... Certes, vous pouvez le retrouver plus aisément lorsque vous le perdez, mais cela ne vous mènera pas loin.

- En fait, il ne s'agit que de l'effet du premier dweomer, destiné à faciliter l'action du second. »

 

Le regard de Suyvel s'emplit d'une joie sauvage.

 

« Tue-le ! »

 

Et le pieu fila droit sur le comte tel une flèche d'argent. Surpris par l'attaque autant que par sa vélocité, Alucard fut presque pris au dépourvu. Mais une fois de plus, sa rapidité surnaturelle lui permit d'éviter une fin certaine. Le pieu passa devant lui sans le toucher.

 

Ce n'était qu'un début. Le pieu effectua un demi-tour immédiat et revint à la charge. S'ensuivit un ballet aérien non dénué de grâce durant lequel les deux danseurs semblaient se mêler sans jamais se toucher. Suyvel fut moyennement sensible à la beauté du spectacle, contrariée de voir ses attaques déjouées l'une après l'autre.

 

Il lui fallait prendre l'avantage pour porter le coup décisif. Elle eut soudain une idée lumineuse et prononça à voix basse une formule afin de lancer un sort au comte.

 

Cécité.

 

Il produisait un éclair aveuglant, et les vampires étaient particulièrement sensibles aux fortes lumières, étant donné qu'ils avaient des mœurs nocturnes. Alucard hurla de douleur en portant les mains à ses yeux. Suyvel sut que l'instant propice était arrivé.

 

Finissons-en !

 

Elle se concentra à nouveau sur le pieu d'argent pour le relancer sur sa cible désormais aveugle et donc incapable de l'éviter efficacement. Le comte essayait de réagir en recourant à un sort que la magicienne n'identifa pas... mais lorsque le pieu fila droit vers la poitrine d'Alucard, ce dernier disparut tout bonnement. Suyvel écarquilla les yeux.

 

Il s'est téléporté ?!

 

Puis elle repéra une chauve-souris qui voletait dans la pièce. Et elle comprit.

 

Un sortilège d'auto-métamorphose !

 

Le comte faisait montre une fois de plus de l'étendue de ses talents. Pour autant, il n'était pas sorti d'affaire : si une chauve-souris constituait une cible bien plus petite à atteindre, ce n'était pas vraiment un problème pour un missile guidé par la magie. En outre, le comte était certainement toujours sous le coup de la cécité, un changement de forme n'abrogeait pas un sort de ce genre... Suyvel se concentra et relança le pieu à l'attaque encore une fois.

 

La chauve-souris l'évita.

 

Contrariée, l'elfe noire récidiva... et le résultat fut identique. Ce fut alors qu'elle entendit la voix du comte, mais directement à l'intérieur de sa tête.

 

Bien tenté, ma chère, mais les chauves-souris n'ont pas besoin d'yeux... elles disposent d'un sens particulier, un sonar. Sous cette forme, vous ne pourrez m'atteindre.

 

Suyvel pesta et se jura le contraire, multipliant les attaques. Vint un moment où la chauve-souris, poursuivie par le pieu, fila droit vers Suyvel avant de virer brutalement sur le côté... et le pieu, entraîné par sa vitesse, alla se planter dans l'épaule de l'elfe noire. Elle ne put retenir un cri de douleur et tomba à genoux. La voix s'imprima à nouveau dans son esprit.

 

Poignardée par votre propre pieu, quelle ironie ! Vous m'excuserez de ne pas compatir à votre sort : après tout, c'était celui que vous me destiniez...

 

La chauve-souris voletait toujours sous le nez de Suyvel, presque à portée de main. Elle semblait se moquer ouvertement d'elle. En dépit de la douleur, l'elfe noire se força à réfléchir.

 

Un point faible, il doit bien avoir un point faible, sous cette forme...

 

Mais elle ne voyait pas lequel. Le sonar de la chauve-souris la mettait à l'abri de tout missile.

 

De tout missile matériel !!!

 

C'était évident : les sons émis par la créature devaient rencontrer des objets matériels pour se réverbérer et révéler un obstacle. Donc...

 

Suyvel prononça un nouveau sortilège.

 

De ses doigts tendus jaillirent des langues de feu qui fusionnèrent pour former une redoutable sphère incandescente, qu'elle projeta sur la chauve-souris. Celle-ci sentit la boule de feu, mais ne parvint pas à l'éviter.

 

L'explosion jeta l'elfe noire à terre. Les flammes rugissaient, illuminant le tombeau. Et au milieu, une petite forme embrasée voletait éperdument.

 

Le comte essayait de changer de forme, mais il était très ardu de lancer un sortilège lorsque l'on brûlait tout vif. Il finit par s'abattre au sol, où il gesticula frénétiquement quelques instants, avant de tomber en poussière.

 

C'était fini.

 

Suyvel se redressa lentement et s'autorisa à prendre une profonde inspiration, qu'elle relâcha ensuite avec délice.

 

Long soupir de soulagement.

Edited by Suyvel
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Suyvel empoigna le pieu et, serrant les dents, le sortit de sa chair. Après quoi elle se hâta de prononcer une formule de soin pour arrêter l'hémorragie et refermer la plaie.

 

Alors seulement, l'horrible douleur qui lui vrillait l'épaule consentit à se taire.

 

L'elfe noire se releva et prit la peine d'examiner le tombeau, maintenant qu'il était vide de tout occupant. Ce fut assez bref : en dehors du cercueil, il ne recelait rien de bien remarquable. Toutefois, la magicienne ne pouvait se défaire d'une impression curieuse, comme si...

 

... on m'observe ?

 

Et puis il y avait l'aura de magie noire du lieu. Avec la mort du comte, l'elfe noire avait pensé qu'elle se dissiperait. Elle avait même craint que l'antique demeure ne tombât en ruines sans autre forme de procès, l'ensevelissant au passage ! Pour l'heure, rien de tel ne semblait devoir se produire. Les sortilèges qui hantait l'endroit étaient toujours actifs.

 

Suyvel se retourna d'un mouvement vif. Elle avait cru sentir la naissance d'un nouveau sortilège. Tout près d'elle. Dans le tombeau même.

 

Y aurait-il un autre sorcier que le comte, ici ?

 

Des flammes vertes et surnaturelles s'élevèrent du sol. Elles ne dégageaient aucune chaleur. Et dans ce foyer spectral se dessina une haute silhouette.

 

Pensiez-vous en avoir fini avec moi, ma chère ?

 

La voix terriblement familière s'imprimait dans l'esprit de l'elfe noire, qui sentit la panique la gagner.

 

Non... non ! Ce n'est pas possible ! Tu es mort ! Je t'ai détruit !!!

 

Et le comte émergea des flammes, apparemment sain et sauf.

 

« Vous avez détruit ma forme physique, certes... un bel effort, je l'admets volontiers ! Mais vous ne m'avez pas tué. Un vampire ne peut mourir de la sorte. Je pensais que vous l'aviez compris... Mon esprit est demeuré bien vivant, je vous l'assure. Et il m'a suffi de faire appel à ma sorcellerie pour reconstituer mon corps. »

 

Il sourit d'un air satisfait.

 

« J'ai déjoué la Mort elle-même. Telle est ma puissance. Pensez-vous pouvoir faire mieux que la Grande Faucheuse ? »

 

Suyvel essaya de rassembler ses esprits.

 

Si la magie ne peut pas le terrasser plus de quelques minutes...

 

Ce fut alors qu'elle s'en souvint.

 

Le pieu en argent !

 

Elle l'avait abandonné au sol après l'avoir extrait de sa blessure. Elle le chercha du regard, anxieusement. Alucard leva une main, semblant lui montrer quelque chose. Suyvel sentit son cœur s'arrêter de battre l'espace d'un instant. Il tenait le pieu !

 

« Est-ce cela que vous cherchez ? Vous n'auriez pas dû le négliger ainsi... c'était manifestement la seule arme efficace contre ma personne que vous possédiez. Pour vous éviter de l'égarer de nouveau, je vais le ranger en lieu sûr... »

 

Le comte fit quelques gestes avec les mains, enserrant le pieu tout en prononçant une brève formule. Et lorsqu'il les ouvrit à nouveau, il n'y avait plus de pieu. Plus rien. Le vampire la gratifia d'un sourire sarcastique.

 

« Vous avez tenté votre chance... et vous avez perdu. »

 

Il fit un pas en avant.

 

« Cette question étant réglée, passons donc à la remise du prix pour le vainqueur... J'ai ouï dire que le sang des elfes possédait un goût à nul autre pareil, et surtout des propriétés régénératives exceptionnelles pour mes semblables. Je n'y ai jamais goûté et je vous avoue toute ma curiosité... »

 

Un nouveau sourire. Carnassier. Sinistre.

 

« ... sans compter que notre petit affrontement a encore accru ma soif. »

 

Suyvel émit un petit cri de rage à demi étranglé et prononça un sortilège offensif. Le comte para l'attaque par un vortex de ténèbres, comme il l'avait déjà fait auparavant. Il clama sur un ton péremptoire :

 

« Foin de ces jeux futiles ! Je vois que vous n'avez plus de nouveau tour à me servir. Votre sac à malices est vide, magicienne. Capitulez ! Vous vous faciliterez la vie. »

 

Et le comte se jeta sur elle. Suyvel sortit son katar et le darda vivement vers le cœur du comte, mais cela ne suffit pas. Alucard lui saisit le poignet avant que le coup ne porte et envoya l'elfe noire valser contre le cercueil. Elle s'y cogna durement et lâcha son arme. En un instant, le comte fut sur elle. Sa force était toujours aussi énorme et il la maîtrisa sans réel effort. Suyvel, désespérée, entama néanmoins une nouvelle incantation.

 

Qui se transforma en un cri aigu lorsque les crocs du vampire pénétrèrent dans sa gorge.

 

Alucard s'abreuva longuement au cou de l'elfe noire.

 

Il n'avait pas menti : sa soif était grande.

 

Et lorsqu'il mit fin à son repas, ce fut pour ronronner d'une voix comblée :

 

« Délicieux... et tellement exotique... »

 

Suyvel, très affaiblie, voulut parler, mais n'émit que quelques sons dépourvus de sens. Le vampire passa deux doigts sur la plaie au cou de l'elfe noire, et celle-ci se referma comme si elle n'avait jamais existé. Le comte reprit d'une voix suave :

 

« Tranquillisez-vous, je ne vais pas vous tuer. Les elfes noirs sont si rares par ici... Considérez-vous comme mon invitée permanente. Mes serviteurs seront aux petits soins pour vous, je veillerai à ce que vous receviez le meilleur traitement... Oui, en vérité, je vous réserve une place d'honneur. Dans mon garde-manger ! »

 

Et les échos du rire triomphant d'Alucard rebondirent durement sur les murs du tombeau.

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Le rire du comte dégénéra en quinte de toux. Il porta sa main à sa gorge, émit un léger râle et parut s'étrangler légèrement. Son teint, déjà blême, devint franchement livide. Alucard paraissait indisposé, à la limite du malaise. Il fit un pas de côté et vacilla, sur le point de perdre l'équilibre. Son regard finit par croiser celui de Suyvel, qui l'observait avec attention.

 

L'elfe noire articula doucement :

 

« Surprise ! Un petit cadeau à votre intention, cher comte... »

 

Le vampire la fixa avec incrédulité :

 

« C'est vous qui... ? Mais que m'avez-vous fait ?! »

 

Suyvel eut un sourire non dénué d'ironie.

 

« La réponse est simple, pourtant, et un expert en hermésisme comme vous saura l'apprécier à sa juste valeur. Elle tient en deux mots : seleniae metallum. »

 

Les traits du comte se déformèrent en une expression de surprise et d'horreur mêlées.

 

« L'élixir argentique... ?

- Oui. Destiné à permettre au sang de capter et retenir une solution d'argent.

- Mais cette recette n'a jamais abouti ! Je le sais ! Elle est hautement toxique pour son utilisateur. Tous ceux qui ont tenté de la boire sont morts empoisonnés !

- Vous voulez dire tous les humains... ? »

 

Le comte resta silencieux, prenant conscience qu'il avait négligé ce détail. Suyvel poursuivit :

 

« Il semble que ceux de ma race supportent mieux cette préparation... Oh, pas bien longtemps, je vous l'accorde. Elle reste fatale à brève échéance. Toutefois, j'ai retravaillé sa formule, et ai pu atténuer un peu sa toxicité, ou du moins la retarder, et j'y ai associé un élixir de résistance au poison pour mieux la supporter.

- Quand ? Quand l'avez-vous absorbée... ?

- Avant de pénétrer dans votre tombeau, cher comte. J'ignorais si vous n'alliez pas me sauter dessus et me mordre avant que j'aie pu faire quoi que ce soit. Ou si vous n'aviez pas préparé des pièges pour neutraliser tout intrus. Face à cette inconnue, j'ai pris mes dispositions... »

 

Une sueur froide perlait sur le front de l'elfe noire, signe de fièvre. Elle leva une main agitée de légers tremblements, dans lesquels la fatigue n'était pour rien, et sortit de sa tunique une flasque qu'elle ouvrit. Suyvel la but avidement et leva le récipient vide vers les yeux du comte.

 

« Et voici l'antidote. Il va libérer les particules d'argent de mon sang et les lier sous une forme que mon organisme pourra éliminer. Ce qui mettra fin à mon empoisonnement en un délai très bref...

- L'antidote... Il n'en existe aucun... aucun !

- Correction : il n'en existait aucun. Logique vu que cette formule a été abandonnée depuis longtemps. Mais j'y ai planché et j'ai pu survivre assez longtemps aux effets de ma préparation pour finir de mettre l'antidote au point. Cela reste un souvenir pénible mais compensé par le succès final...

- Vous avez réussi à le... ? Il m'en faut un ! Vendez-le-moi. Votre prix sera le mien. Tout ce que vous voudrez.

- Tout ce que je veux... ? Hum, voyons... votre vie ? »

 

Suyvel gratifia son interlocuteur d'un sourire venimeux.

 

« De toute manière, pour éviter que vous ne vous en empariez de force, je n'ai pris qu'une seule fiole d'antidote avec moi. Je n'ai plus rien à vous vendre.

- Alors... c'était un piège qui m'était destiné ? Depuis le début ? Avant même que vous n'entriez ici ?

- Je crois l'avoir déjà dit, non ?

- Mais alors, pourquoi avoir tant combattu ? Alors que votre piège était tendu dès le début ?

- Voyons, cher comte, que vouliez-vous que je fasse ? Que je vienne vous trouver avec un écriteau autour du cou, inscrit "˜mordez-moi' ? Je m'en serais voulu de faire ainsi insulte à votre intelligence. Je pense que vous auriez trouvé cela un peu gros et que vous vous seriez méfié. N'est-ce pas ?

- J'aurais dû... sentir l'argent. Mais vous avez détourné mon attention en vous battant jusqu'au bout !

- En fait, c'était un peu plus subtil que cela. Il fallait que vous fussiez persuadé que j'avais épuisé toutes mes ressources. Que vous m'aviez vaincue. Que vous maîtrisiez totalement la situation. Alors ce sentiment de supériorité vous a conduit à me sous-estimer et à baisser votre garde. Vous m'avez donc mordue sans prendre aucune précaution. Vous avez été négligent, mon cher. Trop sûr de vous.

- Maudite garce !

- Venant de vous, très cher, je le prends comme un compliment. »

 

Suyvel prit un air satisfait.

 

« Oh, il y avait d'autres raisons à ma résistance acharnée... Le peu d'envie de me faire mordre par un vampire, déjà. Et puis j'avais imaginé un certain nombre de moyens pour vous détruire. J'étais curieuse de les tester, histoire de trouver chez vos semblables d'éventuelles faiblesses inconnues jusqu'ici, mais qui pourraient être exploitées à l'avenir. Félicitations, cher comte : de tous les stratagèmes que j'avais préparés, vous avez succombé au dernier. Si vous aviez déjoué celui-là, je n'avais plus rien à vous opposer.

- Parce que vous vous imaginez que vous avez gagné ? » grinça le comte.

 

La magicienne fronça les sourcils.

 

« Vous voici bien mauvais perdant, à cette heure.

- Ah ! L'argent me pose certes un problème, mais il n'est pas insurmontable pour une personne de ma qualité... Ce n'est que combiné à une puissance magique supérieure à la mienne qu'il pourrait m'être fatal. Comme ce pieu d'argent béni, par exemple. Mais celui que vous m'avez fait ingérer... mes pouvoirs me permettront d'en venir à bout et de me régénérer entièrement. Alors, nous aurons un nouvel entretien... Je vous le promets. Je ne vous dis pas adieu, mais à bientôt ! »

 

Et le comte claudiqua jusqu'à son cercueil, s'y allongea et en referma le couvercle dans un claquement sec. Suyvel devinait ce qu'il avait en tête.

 

Il va user des pouvoirs de régénération liés à sa terre natale pour vaincre l'empoisonnement.

 

Elle se redressa un peu pour dire aussi fort qu'elle put :

 

« Skelderane, maintenant ! »

 

Et le nécromant sortit de sa cachette dans un recoin du tombeau, se hâtant vers le cercueil, qu'il entreprit de sceller avec un sort de magie noire. Il était temps : un cri perçant leur vrilla les oreilles, et le cercueil lui-même s'agita de violents soubresauts, alors que des coups sourds résonnaient à l'intérieur. L'Igné se concentra sur son sortilège, afin qu'il ne soit pas rompu par la violence de l'assaut désespéré que menait Alucard. Par l'interstice du couvercle jaillissaient de courtes flammèches bleues, manifestement surnaturelles.

 

Un nouveau hurlement, de rage et d'agonie, emplit le tombeau.

 

Il ne devait pas y en avoir d'autres.

 

Le silence retomba alors que le cercueil retrouvait son immobilité première. Les flammes avaient disparu. Skelderane relâcha son sort et usa d'un autre, détection de la magie. Puis il secoua lentement la tête.

 

« Fini. Plus rien. Il a eu son compte. Tu crois que c'est l'eau bénite que j'ai versée dans son cercueil qu'il n'a pas aimé ? »

 

Le nécromant affichait un petit sourire en coin. Suyvel s'en amusa.

 

« Probablement, oui. Il parait que cela leur fait le même effet que nous ferait un bain d'acide...

- Brrr... répugnant. Tu veux que j'ouvre pour voir ?

- Non merci, sans façons. »

 

Skelderane eut un rire franc.

 

« J'ai beaucoup aimé quand le comte a dit que tu avais oublié quelque chose, à propos d'une puissance magique supérieure.

- Oui, il a supposé que l'eau bénite lui serait infligée en même temps que l'argent. Comme avec le pieu béni. Mais vu ma façon d'opérer, ça n'était pas possible. Heureusement, on pouvait l'administrer de façon indépendante.

- Et il s'est lui-même jeté dedans, c'est cela qui est beau !

- N'est-ce pas ? Mais tu as été bien long à venir verser l'eau bénite... J'ai eu peur qu'il me morde avant que tu n'aies opéré.

- C'est que j'ai trouvé une pièce secrète remplie de caisses de terre. Cela devait provenir de son pays natal. Je me suis dit qu'il pourrait s'en servir et j'ai préféré prendre le temps de tout arroser à l'eau bénite, pour assurer notre succès. J'ai failli me trouver à court, d'ailleurs. On a été bien inspiré d'en prendre toute une outre avec nous ! Et tu as tellement occupé le comte qu'il n'y a vu que du feu.

- Je crois qu'il n'a jamais soupçonné ta présence, en effet, et cela valait mieux pour nos plans !

- Sans aucun doute. Par contre, tu n'as pas l'air bien vaillante...

- Entre la ponction de sang qui vient de m'être faite et mon empoisonnement à l'argent, tu me voudras bien me dispenser de danse de la victoire. Mais ça va passer... l'antidote fait déjà effet, je le sens.

- Alors repose-toi un moment. Je veillerai sur toi. »

 

Suyvel s'épargna l'effort de parler en répondant d'un clin d'œil complice. Elle ne doutait pas que le nécromant monterait une garde vigilante. Et puis, une fois le comte mort, qui oserait ici venir s'en prendre à ses vainqueurs ? Les risques étaient minimes. Et leur tâche était achevée. Un vague sourire ironique vint flotter sur les lèvres de l'elfe noire.

 

« Adieu, cher comte. Pour de bon, quoi que vous en pensiez. »

 

Alors, satisfaite de ce qui avait été accompli, elle s'autorisa à s'évanouir.

 

 

* * * FIN * * *

Edited by Suyvel
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