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Terre des Éléments

Belette


Sheelah
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Un jour de Dea, année inconnue "“ il est de ces évènements qui marquent peu de vies et qui ne méritent pas d'être retenus.

Un cri dans la nuit, synonyme de vie, et pourtant, un cri qui dérange dans cette forêt, un cri que l'on n'entend que peu par ici.

 

Quelques heures plus tard, un oiseau de mauvais augure arrive. Cape noire, orbe à la main, l'oiseau frappe. Cette espèce là est du genre persévérant, quand d'autres ont compris que ça ne servait à rien.

 

La lourde porte de bois de la masure s'ouvre. Quelques raies de lumières arrivent à s'échapper, mais la plupart sont bloqués par la carrure de l'homme qui a ouvert. Il a la mine sombre, et la vue de l'oiseau n'arrange rien à l'affaire. Même un aveugle sentirait qu'il n'est pas content de la venue de la femme.  Seulement, elle, elle s'en moque. Elle est envoyé qu'elle dit, elle apporte la parole de la Déesse, elle a su par les arbres et la terre et le roc qu'un enfant était né.

 

L'homme fronce les sourcils. Il n'aime pas ce que la femme lui raconte. Il n'aime pas que l'on se mêle de choses qui ne regardent que lui et sa femme. Il n'aime pas cette vieille folle qui n'a toujours pas compris qu'il n'existait aucune Déesse à ses yeux.

 

-Ce serait pas plutôt le ventre arrondi de ma femme qui vous aurez dit qu'un enfant allait venir au monde ?

Croyez pas que je vous ai pas vu, oiseau de malheur ! Vous tournez autour de chez moi depuis des semaines maintenant, à attendre qu'elle accouche ! Alors vos cailloux, vous les laissez là où ils sont, et vous nous foutez la paix !

On n'a pas besoin de vous par ici !

 

Et il va pour fermer la porte, avec rage.

Mais la vieille ne s'avoue pas vaincue. C'est sa destinée, elle le sent, depuis que le ventre s'arrondit, elle doit être là, elle doit sauver le petit à naître, ne pas le laisser dans cette famille d'hérétique. Elle se sent investit d'une mission, et cette idée là la renforce.

 

D'une main, elle retient la porte "“ son poignet se fait douloureux mais qu'importe. L'homme est surpris, il rouvre la porte, la toise "“ pas bien difficile au vu de sa taille.

 

-Je ne partirais pas sans l'avoir vu et l'avoir béni.

 

Elle hausse le menton, le regard ferme, sûre de son bon droit.

 

Mais elle n'a pas affaire avec n'importe qui. Ils semblent aussi butés l'un que l'autre.

 

L'homme se met alors à grogner, et la sorcière est prise de tremblements. On l'avait prévenu, au village, on lui avait dit de le laisser tranquille, lui et sa femme. Bien sûr qu'on sait qu'il est étrange, pas comme les autres. Bien sûr qu'on sait qu'il ne croit pas en Fimine, juste en l'Unique, et que quand on le taquine avec ça, ça finit forcément en bagarre. Qu'est-ce qu'elle croit la vieille ? On le connait depuis plus longtemps qu'elle au village. On sait d'où il vient, pourquoi il est comme ça. Et on sait surtout qu'on le changera pas, et que tant qu'on le laisse tranquille, il ennuie personne avec ses histoires.

Mais elle n'a rien voulu entendre. C'est sa destinée.

 

Alors elle se redresse autant qu'elle le peut et le fixe d'un air décidé. Elle n'aura pas peur, elle ne partira pas. Il peut grogner tant qu'il veut. Elle s'en moque.

Et le voilà qui se baisse et, sans qu'elle ne s'en rende compte, elle rentre la tête dans les épaules.

 

-Elle est née au mois de Dea, elle est déjà bénie, sorcière. Le neuvième mois, et le mois de l'Unique. Elle a pas besoin d'autre chose comme bénédiction. 

 

La voix de l'homme est forte, directe. Et la porte se ferme tout aussi strictement. 

 

 

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Boulay et Oyoyel arrivèrent ensemble à la taverne, comme de coutume. Ils n'étaient pas frères ni n'appartenaient à la même famille, et pourtant on ne les voyait jamais l'un sans l'autre. Ce soir là, ils s'installèrent non loin de la table de la Belette et de son père. C'était un peu leur divertissement, les soirs où ils étaient là. Boulay trouvait que c'était une famille de dingue, mais une dent en moins lui avait appris à ne pas le dire devant le père.

 

Selon Boulay, le père prenait la mouche pour rien, ou plutôt pour tout, ce qui expliquait le problème de dent qu'il avait. En fait, Boulay avait carrément une théorie sur le père, selon laquelle il venait ici se battre pour ne pas taper sa fille à la place. Un genre d'exutoire. Mais les gens à qui il en avait parlé n'avaient pas semblé apprécier de trop cette histoire.

 

De toute façon, les gens fermaient toujours gueules et yeux dans ce genre de situation. Il en savait quelque chose, jamais personne avait rien dit "“ lui le premier, quand son père cognait sa sœur.

C'était peut-être un rituel Tellurique, un genre de coutume pour rendre les filles bien dures comme la terre. Ou les mecs, disait Oyoyel quand Boulay marmonnait ce genre de choses. Dans ces moments-là, Boulay ne comprenait pas trop la lueur goguenarde qu'il lisait dans les yeux de son pote.

 

-Taper un mec, c'est pas pareil Oyoyel, qu'il lui répondait.

 

Quand il emmerdait trop Oyoyel avec ses histoires, ce dernier lui répondait invariablement la même chose :

 

-Si ton père avait cogné moins fort, tu comprendrais p't'être mieux tout ça, et on t'appelerait pas Boulay.

 

Cette réponse suscitait toujours une totale incompréhension de la part de Boulay. Oyoyel tapotait alors son épaule avant de commander une autre pinte. C'est qu'à force de se faire appeler comme ça, Boulay avait cru que c'était véritablement son prénom. Même son père avait oublié celui qu'il avait pu lui donner un jour.

 

Ce soir-là, Boulay arrivait pas à quitter des yeux la Belette "“ pour elle aussi il pensait que c'était son véritable prénom. Oyoyel lui avait bien conseillé de rester discret, mais c'était plus fort que lui, il y avait quelque chose chez cette fille qui l'attirait. Et puis, en dehors d'Oyoyel, elle était la seule personne à ne s'être jamais moquée de lui et qui se comportait aimablement avec lui. Oyoyel pensait que cette gentillesse à son égard participait grandement à l'attention de Boulay pour la Belette. Une autre grande partie venait de ce que Boulay appelait « les tours de Belette ». A chaque fois que la Belette le voyait, elle lui faisait un petit tour de magie. Il ne lui fallait pas grand-chose pour être heureux, au Boulay.

 

Boulay ne quittait donc pas la Belette des yeux, attendant avec impatience son tour du soir. Il espérait que personne ne parlerait de Quen, ou de tout autre sujet provoquant fatalement l'énervement du père, avant que sa fille n'ait accompli son tour.

 

Un simple tour d'horizon de la taverne ce soir-là lui fit comprendre qu'il n'était pas le seul à attendre. Dans ce coin reculé de Terra, les gars voyaient soit la mine, soit le travail du bois, alors ils avaient vite compris que le père là, il leur offrait un peu de distraction en amenant sa fille. Oh, non pas qu'elle fut la seule distraction du coin. Dehors, un peu plus loin, attendaient d'autres types de filles "“ ou d'hommes, mais la distraction proposée n'avait rien à voir.

 

Boulay n'arrivait pas à déterminer l'âge de la Belette. Plus jeune que lui, mais de combien...

Ils ont fini de manger, la serveuse ramasse les écuelles et, en passant, adresse un clin d'œil à Boulay. Ça lui plaisait bien que sa sœur bosse ici. Bon, il ne pouvait pas avoir ses bières gratuites comme il se l'était imaginé, mais au moins, elle était plus dépendante de leur père.

 

Sa sœur, elle n'était pas devenue toute dure à force de se faire frapper. Elle était restée toute tendre. C'est ça qui lui faisait penser que la Belette pouvait bien se faire frapper aussi. Oyoyel n'était pas de son avis.

 

-La belette, faut te méfier, elle est pas si tendre que ça, qu'il lui disait. T'as eu de la chance, c'tout, qu'elle soit comme ça direct avec toi. Mais les autres c'pas pareils. T'as trop d'gravats dans les yeux pour le voir c'est tout.

 

C'pas parce que la fourrure des belettes est douce que la douleur des griffes s'atténue.

 

Mais Boulay s'en moquait et lui répondait que, vu où ils vivaient tous, valait mieux pour une femme savoir se défendre.

 

Le père de la Belette a sorti de sa poche une sorte de graine, qu'il a donné à sa fille. Son air toujours renfrogné participait à la légende du personnage dans le coin, et seule sa fille savait le dérider. C'est quand le père regardait la Belette que Boulay retrouvait des similitudes entre eux.

 

Tout son visage se détendait alors, et ses yeux prenaient la même teinte noisette que ceux de sa fille. D'après les anciens, ceux qui se souvenaient de sa mère, la jeune femme avait hérité d'elle ses cheveux châtains, mais Boulay ne se souvenait pas assez d'elle pour en être certain. La Belette les laissait détachés, ou alors elle les nattait. Ou les tressait. Boulay n'avait jamais trop compris la différence. La seule fois où il l'avait vu en robe, c'était pour la fête de l'Unique. Elle avait mis une robe toute blanche, dans laquelle Boulay l'avait trouvé vraiment jolie.

 

Le reste du temps, comme ce soir, elle était en pantalon-chemise, comme son père. Bottée ou nue pied, elle allait et venait, la plupart du temps seule. Elle était par contre bien plus petite que son père.

 

Ce soir, les cheveux de la Belette étaient détachés, ils bougeaient légèrement, comme si le vent venait les soulever. Boulay ne savait pas, des mains ou de son visage, quoi regarder. Ces dernières étaient au dessus de la table, un peu écartées l'une de l'autre. Entre elles, soutenue par rien semblait-il, flottait l'étrange graine. Elle avait la taille d'un œuf de caille, et émettait une faible lueur.

 

Rapidement, Boulay jeta un coup d'œil dans la salle. Les conversations s'étaient tues.

 

Lorsqu'il reposa ses yeux sur la graine, celle-ci avait doublé voire triplé de volume et les mains de la Belette s'étaient écartées, comme pour lui laisser la place de grandir. De ses mains semblait partir de fines lumières vertes. La voix de la Belette s'éleva alors, le faisant sursauter.

 

-Ainsi fut le commencement. L'Unique, Lumière de vie, créa Fimine, Déesse de la Terre.

 

La graine grossit encore, et devint verte. A son sommet, elle sembla s'ouvrir avec lenteur. La coque verte devint feuilles larges et rondes tandis qu'apparaissait en leur centre un bourgeon rose.

 

-Du don que donna l'Unique a Fimine naquit une nouvelle sorte de vie.

 

Lentement, au rythme de ses mots, les pétales roses s'ouvrirent.

Le nénuphar, flottant toujours dans les airs, était à présent éclos. Nulle lueur cependant ne provenait plus de lui.

 

-Les Hommes ne virent là que la beauté de Fimine...

 

Les feuilles du nénuphar les premières perdirent de leur vigueur, de leur beauté, se flétrirent. Un « oh » de déception parcouru la salle en voyant que les pétales suivaient.

 

-Cependant, certains Hommes n'oubliaient pas ce qu'il en était vraiment.

 

D'entre les pétales, une vive lueur apparut et, tandis que la plante se flétrissait totalement, une boule de lumière en sorti. Elle resta là, à flotter, tandis que la plante devenait poussière. Et, sous l'oeil approbateur de son père, la Belette termina :

 

-Les Dieux et Déesses passent, seul l'Unique reste.

 

Elle rapprocha ensuite ses mains, prenant la lumière au creux de ses paumes, avant de l'éteindre doucement.

 

Un long silence s'ensuivit. Les gens étaient à la fois épaté par le sort, et étourdit par les paroles. C'était bien la première fois qu'on l'entendait parler comme son père. Boulay ne savait pas quoi en penser non plus. Sans la quitter des yeux, il se pencha vers Oyoyel et lui dit, d'une voix qui se fit un peu trop forte :

 

-Ce serait pas du genre de ce que l'autre avait dit là, Niue ou je sai...

 

Il ne put finir sa phrase, Oyoyel avait vivement plaqué sa main sur sa bouche. Certains l'ayant entendu s'étaient tournés vers lui, la mine mécontente. Du côté de la Belette et de son père, rien ne laissait voir qu'ils avaient entendu Boulay. Oyoyel lui murmura alors :

 

-Prononce pas c'nom là Boulay, prononce pas. Va pas lui mettre en tête des idées qui pourraient trop lui plaire, ça serait bon pour personne. Et de rajouter, pour être sûr de bien se faire comprendre : surtout pour la Belette Boulay, surtout pour la Belette.

 

La vieille folle, l'oiseau de malheur, avait quant à elle tout entendu. Trop occupés à regarder le tour, personne ne s'était soucié d'elle. Même le père, dont la fierté en écoutant sa fille se lisait sur le visage. Ça lui dégoulinait à la face, et la vieille en avait été choquée. Pendant quelques temps, elle avait cru avoir réussi à détourner la fille des croyances de son père. La petite avait même dépassé ses espérances en se mettant à prier à tout va les quatre dieux élémentaires. Mais, et la vieille s'en apercevait maintenant, ça n'avait été que la curiosité d'une jeune fille pour de la nouveauté, et une fois cet attrait disparu, une fois sa curiosité rassasiée, elle avait repris ses anciennes croyances.

 

Ça faisait quelques temps qu'elle voulait agir, ça ne pouvait plus attendre... Discrètement, elle sorti de la taverne, et alla, comme cette nuit de Dea, chez le père de la Belette.

 

[...]

 

Sheelah se tient debout, devant la maison dans laquelle elle habite depuis sa naissance. Elle a cessé de s'agiter, de crier à l'aide, de chercher à arrêter le feu. Elle ne peut rien faire, même pas espérer une quelconque aide, qu'elle n'appelle plus depuis qu'elle a compris. Elle ne prie pas ces Dieux élémentaires non plus, dont elle voit l'existence ce soir-là.

 

Vulfume semble rire dans les craquements du bois en feu.

Eolia chante de son vent qui attise les flammes.

Posicillon la nargue de ses nuages lourds dont nulle goutte ne semblait vouloir s'échapper.

Et Fimine... Fimine brille par son incapacité à faire quoi que se soit pour sauver son père.

 

Bientôt ne subsiste plus que le craquement du feu. Même les oiseaux s'étaient tus.

La voix de sa mère s'élève alors, comme si elle se trouvait ici, à ses côté, bien vivante. Elle semblait avoir suivi les pensées de sa fille.

 

-Tu n'as pas besoin de tous ces dieux pour devenir celle que tu dois être.

 

Du cœur du brasier lui vient celle de son père :

 

 

-Vois l'œuvre de Quen ma fille, vois les dieux œuvrer ensemble, comme Il le souhaite.

Ainsi est la voix de Quen.

A toi de décider si tu veux la suivre...

 

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