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Terre des Éléments

Louves sans espoir


Rhapsody
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Je la sens revenir. Irrésistible, elle ne veut plus me laisser en paix... Plus de douce nuit possible, plus de repos envisageable. Lancinante, elle cherche à m'atteindre, chaque fois avec plus d'intensité, sans me laisser la possibilité même d'espérer lui échapper. Sans répit, elle m'accule, me hante, me guette. Elle me traque, apparaissant quand je m'y attends le moins, m'aiguillonnant de ses tentatrices propositions.

Je ne veux pas. Je veux fuir. Je veux me perdre loin de tout ça. Je refuse de lui céder, de lui confier mon corps. Destructrice comme elle est, elle parviendrait à réduire en charpie tout ce à quoi je tiens, et cela, il n'en est pas question. Depuis que j'ai réussi à la confiner de nouveau, à l'enfermer dans la cage qu'elle n'aurait du quitter, je n'ai plus eu un seul instant de soulagement. Je veille sans cesse, je refuse de m'abandonner plus d'une seconde à l'oubli.

Heure après heure, je demeure consciente de ses tentatives infructueuses pour reprendre le dessus. Sa force me mine. Hagarde, éperdue, je fuis toute présence, craignant à chaque instant commettre le faux pas, me laisser aller un centième de trop, lui laissant suffisamment de latence pour se libérer. Je la sens pulser dans sa prison de verre. Je peux la voir, se fracassant contre la paroi en continu dans l'espoir de créer la moindre petite fissure...

Cette nécromancie va me rendre folle !

Plus qu'ombre de moi-même... Recroquevillée sans cesse, fuyant tout contact, frissonnant sous le moindre geste un tant soit peu large. Beaucoup plus farouche qu'auparavant si cela est possible... Je ne dois plus voir personne, je dois m'exiler, source de tant de dangers pour ceux que j'aime... Pourquoi se méfieraient-ils de moi ? Pourquoi se méfierait-il de moi ? Tant de jours que nous ne nous sommes pas vus... Je n'ai pas écrit cette fichue lettre finalement. Il n'est pas question qu'il me voit dans cet état ! Il n'est pas question que je le mette en danger.

En prenant conscience de cette possibilité qui se fermait à moi, mon ressenti a grandi, facilitant d'autant plus la voie à la magie noire... Aigrie d'un espoir qui s'étiole. Tant de foi réduite à néant d'un simple claquement de doigts. Que je bascule, et j'emmènerai mon aimé avec moi... Ce qui n'est nullement envisageable. Plutôt mourir que de commettre un tel acte ! Pourtant... je me sais incapable de mettre fin à mes jours. Ridicule et risible... Elle en profiterait je suis certaine... Elle pénètrerait ma raison au moment de l'agonie, et sa puissance deviendrait sans égale. Elle est bien plus forte que moi, plus que je ne peux l'imaginer. Même la mort m'est interdite...

Un seul choix demeure. Je ne supporterai pas éternellement fuir. Je sens déjà les limites de mon corps, si proches, trop proches... Fimine me vienne en aide, déesse de la Terre... Ses bois giboyeux ont seuls pu m'éviter jusqu'à présent le dépérissement total. La louve, ma sœur, ma compagne, m'a chassé de quoi me sustenter. Le mal être qui m'habite lui est perceptible pourtant. Elle sent le mal qui me ronge, et plusieurs fois, alors que j'étais à deux doigts de mettre fin à la lutte pour laisser à la noiraude le dessus, une violente morsure m'a remise sur le droit chemin. Elle a peur de moi désormais je le crois, mais le lien qui nous unit la dépasse. Nous sommes indéfectiblement unies. La Mère veille sur moi...

Son enfant égarée... Se pourrait-il que ?

Nouvel assaut impitoyable. Une douleur fulgurante broie mes tempes. Je m'affaisse, je plante mes doigts dans la terre meuble. J'hurle de démence. Une truffe froide se pose sur ma joue, mais je n'en ai que faire. Le menton relevé, le regard vitreux, je crie ma souffrance dans un son désarticulé. Les tentacules fébriles de la peur reviennent enserrer mon cœur. Les parois vacillent, tremblent, se craquellent. Je résiste, je tente de faire barrière, mais me voilà trainée dans la poussière, réduite en charpie. Une morsure violente dans mon avant bras fait refluer un instant la folie. Fuir encore ! Il faut lutter !

Mon corps se convulse de douleur, mes doigts se crispent dans le pelage de la bête, mon visage s'enfouit dans sa chaleur tandis que ses jappements se font affolés. Sa présence réconfortante, la douceur de la Terre, mes propres réticences, mon amour... Confrontation violente, impression de me déchirer de l'intérieur, sensation foudroyante... Blême et affolée, il me faut m'abreuver à sa vue une dernière fois... C'est une certitude alors que je prends conscience du destin qui se trace devant moi. Fimine l'a compris depuis plus longtemps que moi. Je ne pourrai jamais gagner cette lutte, je ne serai pas assez forte. Un seul choix, une seule alternative pour dénuer toute emprise à la magie.

Une vie différente, un niveau de conscience autre...

Forte de cette nouvelle résolution, je me relève, une main toujours perdue dans le pelage de la louve. Barricadée de nouveau pour un temps la magie, même si je la sens plus proche que jamais. Le regard perdu dans les braises de ma compagne, je lui transmets ce que je recherche. A deux, nous partons...

Furtives et rapides, nous glissant dans les ombres, enjambant de sauts graciles les obstacles, évitant les habitations, nous courrons. Elle me devance, mais je la suis, tandis que je sens déjà l'emprise de Fimine se refermer sur moi. Des changements se produisent, intérieurs, mais je lutte pour conserver encore un peu ma conscience. Double combat désormais, écartant la nécromancie, écartant la magie sylvestre, je défie des puissances supérieures pour une dernière image, nécessaire à apaiser mes tourments. Que je disparaisse sur une touche plus heureuse... Pour peu que l'heur soit possible ici.

La louve s'arrête, la truffe au vent, m'observe. Nous sommes quelque part dans les rues de Melrath, la nuit tombe, parant les lieux d'une luminosité opalescente propre à tromper les yeux. Je m'avance dans l'ombre tandis que le canidé demeure dans le recoin des bâtiments. Sa présence assurément ne serait pas tolérée ici...

A l'autre bout de la ruelle, mon regard tombe sur l'objet de mes pensées. Il se tient, fier sous l'astre déclinant, observant une chose qui se dérobe à ma vue. Sa présence est altérée d'une aura funeste qui immédiatement me révulse, puisant trop loin dans le mal qui sourd en moi, mais mes sentiments demeurent inchangés... Ses cheveux argentés, son teint mat, la courbe de sa mâchoire. Ses pupilles d'émeraude me sont heureusement cachées... Pourtant, un élan m'étreint. Malgré la gêne constante qui demeure en arrière plan dans mon crâne, je suis désormais subjuguée. Mes doigts se lèvent, mon pied s'avance...

Une douleur fulgurante étreint ma cuisse, me faisant lâcher un cri de douleur. La louve a entrepris de me ramener à elle, de me tirer de ce qu'elle estime être dangereux. Ce bruit suffit pourtant a attiré l'attention de celui qui fut mon amant. Nos regards se croisent, mon cœur s'effondre, ma gorge se serre. Il me faut fuir immédiatement. Si je demeure, je ne pourrai plus prendre la décision qui s'impose. Avant qu'il n'ait eu le temps de bouger, mes mains fourragent dans ma besace, trouvent mon grimoire. Je n'ai pas grand-chose de précieux, une seule en réalité, et si je dois la confier, ce ne peut être qu'à lui. L'ouvrage est déposé au sol sans quitter mon bien aimé des yeux, le lui indiquant...

Le canidé a lâché prise. Je fais volte face. Sans plus de sentiment, sentant déjà sous le coup de l'émotion les risques qui me guettent, je me mets à courir. Mon sac s'écrase au sol, suivi un peu plus loin de ma cape. Mes bottes sont abandonnées dans la course. La louve me précède, m'ouvrant la voie tandis que je sens déjà les prémices de la métamorphose. Ma peau se hérisse, un duvet immaculé y apparait. Mon corps se modifie, la douleur me tire des grognements, mais je n'en ai que faire, je continue à fuir. Quand ai-je atterri à quatre pattes ? Je l'ignore. Le tissu de ma robe est retombé alors que je m'en échappais d'un saut gracieux. Ma conscience se perd elle aussi.

Peu à peu, je m'efface. Je me sens partir. Sensations s'amplifient quand raison s'affaisse. Le sol dur sous mes coussinets et mes griffes. Le vent frétillant dans ma truffe frémissante. L'équilibre apporté par une queue souple. Les couleurs se ternissent, les bruits se précisent. Encore quelques mètres.

Un arrêt. Le museau au vent, je tourne mes oreilles soyeuses vers l'arrière, tandis que mon regard s'y perd.

Fin d'une vie, début d'une autre...

Nous repartons avec ma compagne vers l'inconnu.

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Catins. Filles de mauvaise vie. Filles selon mon cœur. Voici des heures que nous rions et buvons dans ce boudoir privé. Salon de bordel aux bouquets fanés. Aux draperies lourdes, empourprées, salies.

Crasse baroque d'une soirée récréative. L'âpreté du vin a un goût de groseille, son tanin n'est que sucre a mes papilles.

Il est l'heure de partir. Pourtant. Car j'ai d'autres projets. Alors que j'abandonne ces femmes en location les gratifiant d'un sourire enjôleur, un cris déchire l'air.

Pas un cris d'humeur, ni de peur. C'est la douleur qui s'imprime dans ce ton. Une douleur surprise. Mon regard se porte immédiatement à sa source, rencontrant un visage autrefois chérit. Celle à qui j'ai promis. Celle que j'ai trahie. Délaissée...

Des mois se sont écoulés.

Une forme intruse vient s'ajouter au tableau. Un loup. Les crocs plantés dans sa chair, faisant couler de fines lignes de sang le long de sa jambe.

Immédiatement je me saisis de mon arme, prêt à abattre l'animal quand quelque chose vient troubler mes impressions.

Rhapsody accepte la morsure, n'y prête même pas attention. Sa peau si blême, ses joues creusées, ses yeux habités d'une tristesse déchirante s'insinuent en moi comme un message. Message destiné à l'homme que je suis, l'homme qui a espéré d'un possible a ses côtés. Elle me perce. M'aiguillonne. Reflux en moi culpabilité, attachement, sentiments ensevelis. Je ne veux comprendre sur l'instant. Besoin de me complaire d'une incertitude rassurante. Nécessité de ne pas croire a ce qu'elle semble vouloir me dire.

Son grimoire au sol, elle recule. Ma gorge se serre, étranglée par une sourde épouvante. Quelque chose ne va pas. Son comportement est anormal. Ce qu'elle dégage est inhabituel.

Elle se retourne et fuit, la bête à ses côtés. A toutes jambes elle s'échappe. Se dérobe à moi.

Mes yeux s'écarquillent, ma bouche s'entre ouvre. Une crainte immense me saisit. Un pas, puis deux, je me lance à sa poursuite. Dépasse le sac qu'elle a laissé tombé. Ses bottes. Sa silhouette s'amenuise. Opalescente. Elle me distance. Magie ? Ses traits se dissipent, elle s'évanouit à ma vue, déjà loin des remparts de Melrath. Je ralentis de moi-même avec la conviction de ne rien pouvoir changer a ce qui s'opère, et m'arrête devant sa robe étalée sur les pavés.

Abandonné.

Tout comme je l'ai abandonnée.

Et avec elle l'espoir d'être aimé et de pouvoir aimer en retour...

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Instinct. Divine étincelle de vie au creux des entrailles qui pousse en avant jusqu'à atteindre le point de non retour, la certitude de la vie. Qu'est-ce que la vie ? Des possibilités qui s'ouvrent et se ferment, des choix qui mènent à des chemins tous tracés, pourtant si fragiles, si évanescents... que le plus petit détail peut chambouler le travail d'années passées vers un seul but.

Une décision a été prise. Un choix a effectivement été fait, qui mène dans la situation actuelle. Des semaines, des mois de lutte contre la fatalité ont conduit à cet état des choses. Nulle possibilité d'y couper désormais, nulle échappatoire dans cette étrange nature. De toute façon, la conscience de la réalité est différente. Les préoccupations ne sont plus du tout les mêmes.

Pourquoi se contenter de survivre lorsqu'une telle offre est faite ? Une offre telle qu'elle peut changer une existence de certitudes. Une offre à même de permettre un destin plus palpitant et bien moins douloureux. Pourquoi faut-il après tout supporter ces souffrances ? Pourquoi tant de fois les cœurs doivent-ils se briser, les larmes fleurir, les croyances se tarir ? L'espoir...

Oui détestable espoir apte à conquérir même le plus puissant d'entre nous. L'acceptation des maux en échange de la conviction, non, de la probabilité, même faible, que le bonheur soit au bout de la route. Une fatalité que l'on refuse avec la certitude d'avoir une place à jouer dans le destin. Dompter le futur, lui passer la bride habile qui le rendra docile aux revendications afin que chacun, enfin, connaisse son propre instant de satisfaction et de plénitude.

Assez de ses sarabandes illusoires ! Le choix est fait, irrévocable. Même le plus habile ne pourrait y revenir, bien prétentieux celui qui croirait y parvenir. La truffe au vent, les oreilles dressées vers les bruits environnants, silencieuses louves. Le sang de leur repas tache encore leurs poitrails, mais elles n'en ont que faire. Qu'est-ce que la moralité pour de tels animaux ? Stupidité d'êtres pensants. On ne s'attache pas à de telles considérations lorsque l'on comprend qu'elle ne mène à rien de bon. S'ancrer dans une douleur omniprésente, bafouer ses propres intérêts au profit d'une collectivité anonyme qui n'a que faire de l'existence de chacun de ses membres que dans la mesure où ils continuent à l'alimenter.

Non il faut prendre ce que l'on veut. L'arracher sans remord, se l'accaparer afin de satisfaire ses propres besoins. La nature, la vraie vie ne donne pas la possibilité de s'apitoyer dans ces ridicules atermoiements sociaux. Seule la meute importe, et pour la combler, peu importe le prix à payer. Aussi, dans cet étrange rassemblement de deux louves, ce groupe insensé, les règles sont iniques. Elles n'ont que faire des conventions, pas plus l'originale que la nouvelle arrivée. Elles se sont détachées des critères des loups, elles se sont détachées des critères des hommes, toutes entières concentrées sur le seul but qui importe vraiment. La vie, supérieure à la survie.

Chacune a son fardeau à porter, mais aucune ne connait celui de l'autre. Elles ne s'y intéressent pas. Elles s'en moquent bien au fond. A quoi sert de savoir les causes pourvu qu'on perçoive les conséquences ? Chacune a ses propres blessures, enfouis, visibles, les deux parfois. Pourtant, la nécessité de la compagnie les rassemble. Elles se haïssent, reflet parfait de ce qu'elles abhorrent le plus, elles-mêmes... mais poursuivent leur route commune par intérêt. Isolées, elles sont faibles. Ensemble, elles sont dévastatrices.

Dans la forêt bien connue du couple, elles exercent désormais leur loi. Bien sûr, elles se méfient sans cesse des bipèdes dangereux qui la parcourent, mais savent comment les éviter. Les sens de ces êtres sont une véritable pitié, et les duper sur leur présence est d'une simplicité si enfantine que les bêtes ont perdu goût à ce qui leur est apparu dans un premier temps comme un jeu. La blanche a eu plus de mal à moins fréquenter les lieux. Irrésistiblement, les abords de l'horrible création des hommes l'attiraient, hantaient ses instincts... Pourtant, avec les heures les choses se sont avérées plus simples.

Les réminiscences d'un temps autre se sont estompées avec les habitudes regrettables jusqu'à ce qu'elle devienne pire encore que sa compagne dans l'administration de son territoire. La pitié ? Faiblesse ridicule des proies. Les prédateurs n'ont pas ces considérations. Les chasseurs tuent, parfois par simple jeu. Peu importe qu'il faille des raisons, ridicule croyance. Seule l'envie gouverne. Le plus fort prend ce qu'il désire, les autres se plient en espérant que l'orage passe loin d'eux cette fois encore.

Parfois, un instant de trouble. Une image gravée sur les rétines, une voix à l'oreille, et un mot qui revient, inlassablement. Rhapsody. Des douleurs dans le crâne tandis qu'un regard vert la transperce. En ces instants, une étrange amertume sur la langue, la gorge qui se serre, et un appel impossible à contrer vers cet être qui l'attire. Contré à chaque fois avec plus de force.

Les durées entre chaque manifestation s'espace. De minutes elles deviennent heures puis jours. Plus nul espoir de lui passer une laisse. La liberté l'appelle, la grise, la dompte. Conquise à la botte de celle-là même qui ne demande aucun compte... Plus de compromission, plus d'espoir aigri. Seulement la volonté, première, prépondérante. Qu'on ne cherche plus à attraper cette immaculée en sang... Les conséquences seraient terribles pour qui s'y risquerait !

Trop de plaisir dans la course effrénée contre le vent, dans la fragrance délicieuse de la peur qui chatouille les narines, fumet plus exquis qui soit. Trop de gratification dans le dernier souffle implorant de la créature trop faible lorsque le fluide vital s'échappe de sa carotide sectionnée de longs crocs acérés. Simplicité supérieure d'une vie aussi convenue où autrui n'oblige pas à revoir ses propres positions, où la voie que l'on trace ne dépend que de soi sans aucune compromission exigée.

Pourquoi voudrait-elle changer maintenant qu'elle est comblée ? Si la magie noire guette, si elle influe sur ses actions, seuls les plus insignifiants en pâtissent. Puisqu'elle n'est attachée à aucune autre source de vie, quelle importance ?

Cruelle. Dangereuse. Impitoyable.

La louve blanche domine les environs. Bien mal en prendrait à qui voudrait l'approcher...

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