C'est la veille de noí«l et toutes les familles se sont réunies pour fêter cela.
Dans l'une des maisons de Melrath Zorac, on s'active à finir de préparer le réveillon : les femmes s'occupent du repas tandis que les hommes se chargent du bois pour alimenter la cheminée durant toute la veillée. Les enfants, tout excités, courent autour de la table, se glissant entre les jambes des adultes. Seule la grand-mère ne s'agite pas frénétiquement dans tous les sens. Assise au coin de l'âtre, dans une chaise à bascule, elle tricote silencieusement à la lumière du feu. Lorsque les adultes s'exaspèrent de la turbulence des enfants qui leur en font voir de toutes les couleurs, c'est cette aïeule qui décide de ramener le calme. D'un geste elle invite les petits de s'asseoir devant elle, en demi-cercle, et pose son tricot sur ses genoux.
« - Les enfants, et si je vous contais une histoire ?
- Oh oui, mamie "˜rène ! s'exclame un petit garçon
- Raconte nous celle des dragons, renchérit un autre
- Non, moi je préfère celle avec des animaux tout mignons, s'exclame sa sœur
- Et pourquoi pas avec de jolies princesses ? Ajoute une autre »
Les enfants recommençant à se chamailler : c'est à celui qui parle le plus fort, la grand-mère frappe alors dans ses mains pour ramener le calme :
" Vous ai-je déjà conté celle de l'Esprit d'hiver ? " demande t'elle
Les enfants secouent la tête en signe de négation et se réinstallent en silence afin de ne pas louper le début. La vieille femme leur sourit, satisfaite et commence son histoire.
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Il était une fois, il y a bien longtemps, au moment où notre bonne ville venait d'être construite, un petit garçon qui vivait avec sa mère dans une chaumière en fibres de palmiers. Ils n'étaient pas très riches et subvenaient tant bien que mal à leurs besoins en vendant les herbes médicinales que la jeune mère cultivait ou trouvait au-delà du désert. Le petit garçon aidait autant qu'il le pouvait, en chassant de petits animaux et en pêchant dans le lac à la sortie de la ville. Cela contribuait grandement à améliorer le repas du soir.
Un jour, alors que les nuits se rafraichissaient et que la fête de noí«l n'était plus qu'à quelques jours. Le garçonnet tomba sur un vieillard qui faisait la manche dans une rue délabrée. Il n'avait sur le dos qu'un vieux manteau mité dont la capuche lui mangeait la moitié du visage et un bout de bois qui lui servait de bâton. La paillasse sur laquelle il était assis avait connu des jours meilleurs et ne devait guère l'isoler du froid. Pelotonné contre un mur, pour se mettre à l'abri du vent, il patientait, immobile, qu'une âme charitable dépose quelques piécettes dans son bol en terre cuite.
L'enfant, un peu triste pour ce vieillard qui risquait de passer les fêtes dans la rue, alors que tant de gens allaient festoyer et s'amuser dans l'insouciance de ce qui se passait aux alentours, décida de lui donner le peu d'argent qu'il avait réussi à économiser depuis plusieurs jours pour faire un cadeau à sa mère. Il les laissa tomber dans l'écuelle et fila aussitôt jusque chez lui, avant que le vieil homme ne l'aperçoive, se disant que finalement il y avait plus mal loti que lui. Tandis qu'il s'enfuyait dans la nuit, le mendiant avait relevé la tête et suivait l'enfant de son regard gris. Cette nuit la le garçon avait pleuré en silence, sous sa couette, car il ne pourrait pas offrir la jolie pièce de tissu qu'il avait repéré pour sa mère.
Les jours suivants, Alan ne revit pas le vieil homme. Sa place était vide ; seule sa paillasse prouvait à l'enfant qu'il n'avait pas rêvé, ainsi que sa bourse vide.
La veille de noí«l, alors que la nuit était tombée et qu'ils s'apprêtaient à manger le repas du réveillon composé d'un coq à la bière et d'une bûche à l'orange que la maman d'Alan avait préparé avec amour pour faire plaisir à son fils, on frappa à la porte. Tous deux se levèrent d'un bond pour aller ouvrir, espérant qu'il s'agissait du père de famille disparu depuis des années, mais il ne s'agissait que du vieux mendiant qui avait frappé à toutes les portes, dans l'espoir de bénéficier d'une place au chaud en ce soir si spécial sans être accepté nul part. Un peu déçue mais ayant le cœur sur la main, la mère du petit Alan invita l'étranger à entrer et à prendre place à table. Malgré ce frugal repas, la soirée se passa dans la joie et la bonne humeur. Le vieux monsieur avait plein de choses extraordinaires à raconter au petit garçon qui l'écoutait, émerveillé. La mère oublia, durant quelques heures ses soucis et se prit elle aussi à rêver, jusqu'à ce que les bougies se consument une à une. Avant que la dernière ne s'éteigne, elle envoya son fils au lit et pria le vieil homme de rester pour la nuit. Elle lui installa une couverture au coin de la cheminée et, une fois que ce dernier fut allongé, elle parti à son tour se coucher.
Le lendemain, à leur réveil, le vieil homme n'était plus là. A la place, ils découvrirent sur la table une corbeille de provisions remplie de fruits frais, de petits pains encore chauds et de viandes fumées ainsi qu'une petite bourse de pièces d'or pour subvenir à leur besoin. Il y avait aussi un joli arc en bois avec un petit carquois en cuir tanné remplis de flèches et un joli livre d'histoires pour Alan. Sa maman, quant à elle, se voyait offrir de jolies fleurs en pot et une jolie robe pour remplacer la sienne usée par endroit. Tandis que mère et enfant pleuraient de joie dans les bras l'un de l'autre en remerciant les dieux qui leurs avaient offert toutes ces belles choses ; le vieil homme disparaissait à l'horizon, sous la neige qui tombait à gros flocons. C'était la première fois qu'il neigeait en plein désert.
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« Et savez-vous qui était ce vieux bonhomme à la longue barbe blanche ? Ce n'était rien d'autre que l'Esprit d'Hiver qui avait récompensé cette famille, touché par leur générosité malgré leurs faibles moyens. Depuis ce jour, tous les ans, lorsqu'arrive la période froide et que la course des soleils se fait plus courte, on dit que vous pourrez croiser, aux abords de la ville, une personne dont le visage ne vous dit rien. Il peut s'agir d'un voyageur égaré, d'un vieux mendiant, d'un enfant orphelin, d'une mère triste ou d'une grand-mère qui à besoin d'aide. Cette personne n'est autre que l'esprit d'hiver qui vient voir si les humains méritent sa bénédiction. Aussi n'hésitez pas à rendre service à ceux qui en ont besoin afin qu'un jour, lorsque l"˜esprit sera satisfait, nous auront peut être la chance qu'une jolie pluie de flocons de neige tombe sur Melrath Zorac, le jour de noí«l. Et vous pourriez commencez par aider vos mères en mettant la table. »
Les enfants se lèvent alors tous d'un même bond et posent couverts et assiettes sur la longue table espérant que l'Esprit d'Hiver les regardent, sous l'œil malicieux de la grand-mère qui reprend son ouvrage.