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Terre des Éléments

Là où se cache la magie


Suyvel
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Suyvel lança un regard songeur vers l'écrin à demi ouvert, posé sur la table devant elle. A l'intérieur reposait son orbe envoûté, Cinq-Ents. Celui-ci bourdonnait faiblement, comme à son habitude, à cause du champ magique qu'il produisait.

 

Cinq-Ents était un symbole à lui seul : la représentation de la magie des objets, dont la magicienne avait fait sa spécialité.

 

Un choix déjà ancien, qui la ramenait trois années en arrière... juste à son arrivée sur la Terre des Eléments. Ou plus exactement, sa venue sur Aéris. C'était là qu'elle avait croisé les prêtres d'Eolia, qui lui avaient expliqués les fondements de la magie telle qu'elle est utilisée par les mages du pays. Bien entendu, l'éternelle dualité magie noire "“ magie blanche était de rigueur ici aussi. La voie de Suyvel, qui avait été formée par les sorcières de son peuple, était toute tracée. Et pourtant, après plusieurs échanges avec les prêtres, elle avait renoncé à la magie noire ancestrale de ses origines, pour se tourner vers celle qui lui était inconnue.

 

Pourquoi ce choix ? Ce n'était pas simple à expliquer. Suyvel elle-même ne pensait pas que cette décision était vraiment raisonnée. Ça avait été plutôt instinctif... Un désir de se détourner de la voie de mort et de destruction sur laquelle ses semblables s'étaient égarés. Comme elle était en rupture avec la société drow, comme elle rejetait son modèle et ses préceptes, il lui avait paru préférable de renoncer aussi à la magie telle qu'elle l'avait pratiquée jusqu'alors. Et puis il y avait eu la curiosité, dévorante. Si Suyvel n'avait jamais pratiqué la magie blanche, elle n'en avait pas moins lu des ouvrages sur le sujet. Loin de satisfaire sa soif de savoir, ils n'avaient fait que l'aiguiser. Sans compter que lire et faire sont deux choses bien différentes. Après avoir assimilé les théories générales, Suyvel avait eu envie de passer à la pratique. Enfin, l'elfe noire avait éprouvé le désir de prouver qu'elle en était parfaitement capable. Ses maîtres lui avaient répété à l'envi que la magie noire est la voie naturelle des drows, celle pour laquelle ils sont faits. Celle-là et nulle autre. En dépit de cet endoctrinement, Suyvel avait vite eu des doutes à ce sujet. Alors, puisque l'occasion lui en était donnée, elle voulait savoir. ître fixée une bonne fois pour toutes.

 

Elle n'avait jamais regretté ce choix.

 

De fait, son intuition s'était révélée juste : elle était parfaitement capable d'utiliser la magie blanche. Au bout de trois années de pratique intensive, elle était devenue une mage aussi accomplie que la sorcière qu'elle avait été. La contrepartie en était que ses pouvoirs obscurs, par manque de pratique, avaient décliné. Peu lui importait, d'ailleurs, vu qu'elle n'y avait plus guère recours.

Néanmoins, ce changement radical avait apporté son lot de doutes, qui avaient mis du temps à se dissiper. Et cela avait influencé son jugement lorsqu'il avait fallu faire un autre choix : magie des mots ou magie des objets ?

 

Cette seconde discipline consistait à puiser dans certains objets magiques l'apport en mana nécessaire pour la pratique de la magie. Cela avait paru sécurisant pour Suyvel : si elle s'était révélée incapable de contrôler correctement la magie blanche, ou si elle n'avait pu drainer à travers elle qu'un flux de magie trop faible, elle aurait pu s'appuyer sur les artéfacts spécifiques à la magie des objets, pour pallier ses éventuelles insuffisances.

 

Cinq-Ents était l'un d'entre eux.

 

Longtemps, son contact avait rassuré l'elfe noire. Il avait amplifié son pouvoir naturel, certes, mais il lui avait aussi apporté une certaine tranquillité d'esprit. Suyvel s'était convaincue que son orbe suppléerait à toute déficience de sa part. Elle lui avait accordé une confiance qu'elle ne s'était pas octroyée à elle-même. Et cela avait fonctionné. Non pas parce que Cinq-Ents avait rattrapé chaque faux pas de l'elfe noir, non : il lui avait juste permis de mettre ses doutes de côté, inconsciemment. Et libérée de ce fardeau, du moins en partie, la magicienne en elle avait été capable de se dévoiler et d'évoluer.

 

Jusqu'à aujourd'hui.

 

En un geste pensif, la drow laissa ses doigts effleurer les gemmes serties dans l'écrin de l'orbe envoûté. Comme à la recherche d'une confirmation.

 

Subitement, elle se leva. Puis elle appela une frappe céleste, qu'elle concentra sur la table de sa chambre. La lourde pièce de mobilier, en chêne massif, ne rompit pas, mais alla valdinguer contre le mur avec violence. Suyvel regarda sa main vide.

 

Un soupir.

 

C'était devenu une évidence à ses yeux : la source de son pouvoir ne provenait pas de son orbe, mais bien d'elle. Au début, peut-être avait-il été un auxiliaire efficace... mais désormais, il était comme une béquille pour son esprit : utile pour compenser un handicap "“ à condition que ce handicap ait une quelconque réalité. Sans cela, que pouvait-il bien lui apporter ?

 

Car l'autre aspect de sa présence aux côtés de la magicienne était qu'il avait développé chez elle une certaine paresse intellectuelle. A quoi bon s'appliquer à concentrer au mieux le flux de magie puisque Cinq-Ents lui conférait son pouvoir ? Pour apprendre à marcher, une béquille peut être utile si l'on doute de la force de ses jambes, mais lorsque l'on souhaite se mettre à courir, elle n'est qu'une gêne qui vous ralentit.

 

Et aujourd'hui, Suyvel n'avait plus besoin d'apprendre à maîtriser la magie, mais à développer cette maîtrise. Cinq-Ents ne faisait plus que la ralentir dans sa progression. A la lumière de ce constat, l'elfe noire comprit qu'elle aurait été plus avisée de croire en ses propres capacités. Sa main referma l'écrin d'un geste sec et définitif. La magicienne rangea Cinq-Ents au fond d'un tiroir. Il ne lui servirait plus désormais.

 

Suyvel s'empara de son grimoire, où elle avait consigné, mois après mois, le fruit de ses recherches académiques en magie. Tous les sortilèges qu'elle connaissait. Si elle souhaitait user de magie sans son orbe, il lui faudrait arpenter l'autre voie de la magie, celle des mots. Renoncer à certains de ses sorts et en apprendre d'autres adaptés à cette forme de magie. Cela ne lui faisait pas peur. Avec un peu de temps et d'efforts, elle y parviendrait sans souci. Elle s'en sentait capable. Elle le savait. Et sa décision était prise.

 

Tout comme elle avait abandonné la sorcellerie pour la magie blanche, elle délaisserait la magie des objets pour l'autre voie.

 

Le secret de la magie ne se cachait pas dans des artéfacts enchantés.

 

Sa puissance résidait dans sa source : les mots.

 

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