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Terre des Éléments

De pierre et de cendre


Ethiale Sine Nomine
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Musique.

Rien, il n'y a plus rien, seulement ces flammes et ces braises.

Ces souvenirs au goût amer qui s'éparpillent et s'élèvent au ciel.

Le vent les balayera et répandra leur couleur maussade.

Moi, je m'en vais, je ne me retournerais pas, je pars une fois encore, seul, cette fois.

Les yeux brûlés par la chaleur des flammes, je pleure sur les souvenirs que le feu emporte et broie entre ses flambeaux.

L'orage crache ses salives sur la bâtisse en feu, il déferle sa rage comme je vomis la mienne qui s'étouffe au fond de ma gorge, cette colère que je ne retiens plus, que plus personne ne peut plus retenir.

Ma sœur, qui retiendra ma folie !

J'ai mal, d'un dernier espoir, d'une ombre entre les flammes, je crois te voir, apercevoir ta silhouette fine et sensuelle.

Mais, il n'y a rien, plus rien qu'y ne vaille la peine, quelques ombres assassines, quelques flammèches qui entourent le revers de ce qui fut.

Je contemple mon œuvre, ce manoir où nous aurions pu être heureux.

Toi, je sais que tu aurais pu l'être. Moi... je ne suis pas né sous les couleurs de la joie, le blason des rires et des chants n'a jamais brillé dans mon regard.

Les flammes brisent les fenêtres, maintenant, elles flirtent avec les murs et lèchent la toiture humide. Bientôt, le bois cédera, les poutres s'inclineront devant la grandeur du feu, le festin de l'enfer qui dévore sans pitié les restes d'un temps, ces souvenirs qui gisent sur les planchers cramés.

Demain, il ne restera rien.

Un amas de pierre et de cendre.

Mes mains sans foyer, tremblantes, s'enfoncent dans la boue et l'orage mouille mon visage et noie mes larmes. Je suis perdu sans toi, sans ta main sur mon bras, sans ce doigt que tu posais sur mes lèvres pour y dessiner des mots sourires, ces petites choses qui donnent chaud au ventre et rassurent les tempes.

Je frappe violemment le sol, la boue éclabousse mes vêtements, cet habit que tu recousais parce que tu aimais me voir dedans, tu disais que j'étais un prince et moi... moi, je riais un peu sans y croire, parce que les princes, ça ne porte pas d'habit rapiécé, ça se tient le menton en avant et le cou raide comme un piquet.

Où es-tu, Zalyanni...

Je t'ai cherché partout, j'ai interrogé tous ceux qui nous connaissaient, il y en a si peu.

Nous étions deux, toi et moi, sœur et frère, jumeaux d'âmes, pour eux des inconnus, quelque chose qu'ils n'ont jamais compris.

Rien, personne ne t'a vu.

Tu as disparu, tu m'as laissé ici, seul.

Il est temps, temps de tourner le dos au feu, à ce manoir qui a accueilli ton sourire et que je viens de détruire.

Pardon, ma sœur.

J'entends encore ton rire, ces éclats qui illuminaient les couloirs silencieux et sombres.

Ces graines de bonheur que tu semais partout sur ton passage, il y en avait dans chaque pièce, dans les coins sombres, ceux que j'aimais, mes refuges pour un instant, mes cachettes pour ne pas être vu. Je n'ai jamais aimé qu'on me regarde, j'ai toujours été méfiant, toujours caché et prêt, oui, prêt à sortir un poignard et surgir pour l'enfoncer dans la gorge de celui qui voudrait te faire mal.

Zalyanni...ton sourire me manque.

Ce sourire que je te volais un peu, je suis si maladroit avec le bonheur.

Encore une fois, je dois partir, laisser derrière moi tout ce que j'ai pas su construire.

Cette fois, je pars seul.

(...)

Chut, petite fille, n'ai plus peur, je suis là...

Viens, prends ma main, prend cette main que je tends.

Regarde ! Regarde, elle n'est pas mauvaise, elle ne mord pas, pas comme eux, pas comme les corbeaux, ces pourritures qui dévorent les corps, dehors.

N'ai plus peur, petite fille, n'ai plus peur...

Je te protégerai d'eux, je ne laisserai personne te faire de mal, viens, vite !

Accroche ton corps à mes bras, enfouie ton visage dans ma poitrine, écoute mon cœur battre et donner le ton, celui de la vie, loin des morts et des cadavres dépecés, loin de ce monde où la peste dévore tout, sans pitié, sans lever un regard de larme, sans jamais arrêter, sans s'offrir le temps de la peine... viens !

Viens, petite fille, viens !

Il ne faut plus rester ici, il n'y a plus rien, plus personne.

Dehors, Ils sont tous morts.

(...)

N'ai plus peur Zalyanni, où que tu sois, je te retrouverai.

Je crèverai celui qui t'a blessé.

Je trancherai la chair de celui qui nous a séparés.

Et je cracherai sur son visage, parce qu'il t'a regardé.

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J'avance et je hurle, je crie, je n'ai plus que ces maux pour accompagner ma route, ce chemin de pierre et de cendre, ce chemin sur lequel je pèse mes pas, l'un après l'autre, lourds comme s'ils s'enfonçaient dans les chairs du chemin, lourds et pesants, âpres, je me traine comme un vieux fardeau. Je ne sais pas où chercher, je sais ce que mon cœur me raconte, ma boussole à moi, ton regard sur le cadran, tes yeux dans l'aiguille.

Le jour se lève, quelle importance.

Je n'y vois pas plus, maintenant que la lumière fouette dans les talus.

Zalyanni !

Pourquoi...

J'arrache chaque pas à la chair du chemin, plus lourd, comme si la terre m'attirait plus que le vide, plus que la chute, plus que le rien. La terre...

J'imagine des scenarios, des histoires au gout amer, des histoires que je voudrais belles et qui se terminent heureuses, toi et moi, ensemble à nouveau, ça n'aurait jamais du être autrement.

Mais... j'y vois le noir, la fin, le sang, les... les oiseaux.

La mort qui rode et qui guette, qui se planque là, derrière un muret ou ce vieil arbre qui penche d'avoir trop ombragé.

Elle est chienne, elle est la hyène de ces histoires que je m'invente, triste et moche, sombre et glauque, malheureuse et qui grince des dents, parce que je ne sais pas faire autrement, parce qu'on ne m'a pas appris à voir le beau, parce que la vie m'a frappé si violemment qu'aujourd'hui, je ne peux voir ce qui brille.

J'ai mal dans ma tête, ça frappe la aussi, la tempe, mauvaise migraine pour un chemin de torture, de rêves indigestes qui hantent mon éveil.

Je te vois, je vois ton visage et tes yeux qui ne regardent plus, comme j'ai vu les yeux de cette femme, morte.

Foutue peste.

Comme ces oiseaux qui lui ont bouffé les yeux, un à un, l'un après l'autre, méticuleusement orbite après orbite, vidé de la vue.

Je hais les corbeaux !

Cette femme que j'ai pris pour ma mère... pourquoi pas ! Elle ou une autre, ça change quoi, quand on a pas de mère.

On peut s'imaginer son reflet dans l'œil, ce doux regard de la mère qui chauffe là où rien ne réchauffe.

J'ai cru l'apercevoir dans ses yeux, je m'y suis accroché, j'ai voulu... j'ai voulu y croire si fort, tellement fort que ça faisait mal dans le ventre, dans la tète et c'était beau ! Tellement beau, tellement là, si prés de moi. Maman... ne t'en va pas...

Et puis, elle est morte.

La peste a dévoré sa chair, elle, la femme, a pourri de l'intérieur et son regard s'est envolé avec mon reflet.

J'ai voulu la retenir, j'ai voulu arrêter la peste, je me suis pris pour un dieu, ce farceur qu'on dit tout puissant, au-delà de la bonté, et qui laisse crever les vivants sans sourciller.

J'ai voulu si fort...

J'ai arraché ses habits, j'ai vu son corsage, et j'ai frictionné son corps avec de l'alcool, des heures à frotter sa peau, à m'acharner sur ce corps nu, à vouloir le réchauffer et chasser le démon de ses chairs. J'avais mal dans chacun de mes muscles, et chaque geste se tétanisait à force...

Mais, je ne suis pas un dieu.

Au matin, elle était morte.

Les corbeaux étaient déjà sur son corps à la dépecer, lambeau après lambeau, un travail d'orfèvre avec la précision pervers des hommes de foi ; ils ont bu la liqueur de ses yeux et avalé le reflet de l'enfant, mon berceau pour une fois.

Moi, je m'étais endormi, épuisé d'avoir voulu.

Zalyanni... qui empêchera ma folie, maintenant !

Qui retiendra mon bras, ma lame qui s'enfonce dans le regard pour y voler le reflet de l'enfant.

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Au bout du chemin, ce village, ces personnes que je connais pas et ces murs que je rase, l'ombre, je la cherche, le recoin, mon endroit, ma cachette.

Je marche entre ces gens que je ne veux pas connaître, je regarde mes pieds, j'avance et je me fous d'eux, de leurs quêtes, de leurs blasons aux effigies stupides.

A les voir, à les lire, ils veulent tous être des rois perchés plus hauts que les rois voisins. Ils se disent plus grand que tous, plus fort que la terre, plus fort que le vent et pourtant, ils ferment les yeux si la bourrasque égratigne leur joue.

J'ai presque envie de rire, mais c'est si pathétique au fond.

Et celui là, il se dit possédé par une magie, la magie suprême, celle qui fera trembler la terre et les hommes. Pourtant, si je marche derrière lui, si je souffle sur son épaule, si près, il me confond avec le vent ou la mouche du coche, cette petite taquine qui vient le chatouiller là où ça pourrait faire mal.

Cet autre, un guerrier. Lui, raconte la fin des temps, il s'annonce comme l'instigateur, le bras de la mort qui se lève et détruit les vivants, nous, petits humains fragiles et crédules. Pourtant, je regarde autour de moi et je ne vois pas la mort, encore moins la désolation, tout juste un rat qui passe, bien dodu pour un affamé de la fin des temps.

Quel est donc cet endroit où tous s'annoncent en roi, prophète, divinité et autres grandiloquences de comptoir.

Zalyanni, où me conduis-tu, quel est ce monde de présomptueux ?

Je n'aime pas les rois, les reines, ceux qui se hissent si haut, trop haut qu'on ne peut plus les saluer sans croiser leurs chaussures.

Je n'aime pas les prédicateurs de la fin des temps, il faudrait être stupide pour y croire et sarcastique pour aimer voir un monde vidé de sa vie. A quoi bon régner sur personne, c'est pourtant l'essence du règne que d'avoir des sujets à brimer.

Je me croyais malade, fou, un petit peu dérangé comme dirait Zalyanni, et je me retrouve dans un asile, une cour des miracles pour saltimbanques émancipés.

Je quitte cet endroit rempli de démons sanguinaires aux mains soignées, de rois sans trônes ou si lointains que j'aurais du mal à les trouver, je fuis cette magie si puissante et qui me frappe... non, le vent, rien que le vent dans les arbres.

Zalyanni, je te connais, tu n'es pas restée ici, tu n'aimes pas le cirque ni ses acteurs.

Je vais regagner la forêt, continuer hors des sentiers battus, au moins je ne risquerais pas de croiser l'annonciateur de la fin des temps ou ce mage aux pouvoirs si puissants que j'en tremble encore, à moins que ça ne soit le vent qui s'est rafraîchi.

(...)

« Morveux ! Fils de rien ! »

Autant dire, fils de la chienne.

Oui mon père, crache ta bave, je m'en fous ! Ça fait un bail que je me fous de tout.

Je te ris au nez, je glousse sous ta barbe et ton nez tordu, je me bidonne en tapant sur les genoux.

Oui mon père, saint des saints, apôtre d'un dieu que je ne connais pas, celui-la ne m'aura jamais tendu la main, des coups de baguette sur le bout des doigts et des coups de pieds au cul, ça oui, j'en aurais récolté et c'est pas ça qui aura recollé ma foi.

Celle-la aussi, je l'ai laissé bien au chaud étendue dans les draps râpeux de l'orphelinat, ces draps qui puent la naphtaline et qui écorchent la peau..

Serviteur aveugle d'un dieu chimérique, sert ta foi, n'oublie pas, et frappe !

Oui, frappe mes doigts

Oui..

Plus fort.

Ça soulage.

Je te filerais pas ce plaisir des larmes, je me les garde pour moi, pour ce soir quand j'aurais fui le dortoir en grimpant par la corniche, quand la nuit sera tombée, et que moi, la haut perché sur le toit, je serais enfin libre.

Mais, frappe donc petit curé stupide !

Plus fort...

Plus fort ! J'te dis.

Tu veux quand même pas que je le fasse à ta place ?

Tu as bien vieilli, je t'ai connu plus féroce, ou bien j'ai grandi.

Allez, frappe !

Plus fort !

Faut que ça saigne, petit curé, faut que ça saigne...

Depuis quand je suis ici ?

Je sais plus, le temps efface la mémoire surtout quand elle est jeune, l'age des poupées ou des guerres inventées. Le temps passe, la mémoire s'efface, oui, ça pourrait marcher comme ça, sauf que j'oublie pas, rien, je me souviendrai d'ici, j'oublierai pas de revenir pour te couper les doigts, briser cette baguette que tu uses sur moi, et je danserai des danses sataniques en montrant mon derrière sous ton nez de crapaud, je vomirai ma haine sur ton paillasson et je referai la décoration de ta chambre, je graverai l'antéchrist sur tes murs, petit curé, juste avant de t'ouvrir la gorge.

Ces larmes, je les ai gardés bien enfermées dans mon cœur, toute la journée j'ai gardé pour moi ce droit de lâcher ma colère. Et ce soir, tout la haut perché sur ce toit, les deux pieds sur le rebord, le vide juste d'un dix centimètres, je regarde le ciel sombre, les bras écartés en croix, comme la foi de ceux d'en bas.

Je mime le singe devant sa croix, le Beni oui-oui insupportable, ce mouton blanc trop blanc pour ma soif de vivre ailleurs, et qui dit oui, et qui dit jamais non, qui obéit sans rechigner, parce que les coups sur les doigts font bien trop mal quand ils sont assenés par la foi d'un autre.

Mais... moi, je refuse ça !

Et je lâche ma colère, ce cri qui déchire le ciel et sa nuit, la rage que je hurle comme le loup appelle à sa meute, sauf que moi, j'ai pas de meute, j'ai jamais eu de meute.

Et je hurle, je m'arrache les poumons comme un dément, je déverse ma rage et ma haine, la colère que l'on interdit de se dire, la rage qu'on ne veut pas lire dans le regard d'un enfant, la grâce qui n'a pas caressé sa chevelure en vrac et pourtant si douce, si tendre comme son regard qu'on a oublié de voir, pour y lire ce cri étouffé.

Et puis, et puis il y a ce vide, là, devant.

Un pas, et tout s'arrête.

Un pas, un tout petit pas et je m'envolerai comme l'oiseau, libre ! Libre ! Enfin.

C'est sur, j'aurais pas l'allure d'un aigle royal, j'aurais même pas le temps de battre des ailes.

Faut pas rêver, chaque soir, je fais le même rêve, je saute et je vole, je m'envole si haut que personne ne peut plus m'atteindre.

Et chaque soir, je baisse les bras comme un prince sans royaume, et je recule.

Demain, demain peut-être.

(...)

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Mais pourquoi est-ce que tu ne m'as pas entendue !

Je criais, pourtant, je te le jure, je criais à m'en arracher la gorge.

De toutes mes forces je hurlais, et tu n'entendais pas.

Et puis tu es parti, les épaules basses et le regard éteint... Et moi je me suis laissée glisser le long du mur froid, jusqu'à tomber en boule sur le sol, et j'ai pleuré des jours entiers...

Murée dans ma prison, ma prison solitaire... Si j'avais su, Ethiale... Si j'avais su...

C'était encore une de ces nuits où les nuages fuient devant la face de la lune, un vent acide qui secouait les branches noires et les faisait hululer. Il se glissait dans les interstices des vieilles pierres, et je n'arrivais pas à m'endormir.

Tu étais parti la veille, et pas encore revenu.

Je n'avais pas osé te suivre...

Je savais ce que tu allais faire, et...Pardon, tu sais que je t'aimerai toujours, quoi que tu fasses. Mais c'est plus dur à chaque fois de te voir ce regard-là, celui qui appelle le sang et le feu. Je n'en peux plus de te suivre, de te regarder choisir celle qui sera ta reine de quelques minutes, et puis ta victime à jamais. D'attendre que tu aies fini avec elle, et qu'elle soit finie tout court... Et puis de courir à ta suite, loin du feu. Le dégoût au ventre, entretissé de soulagement, que tu t'en sois tiré une fois encore.

Je sais que je t'ai déçu...

Tu préfères quand je t'accompagne...

Mais je ne pouvais pas, Ethiale, pas cette fois...

Le sommeil ne venait pas, alors je me suis levée, j'ai chaussé mes bottes et je suis partie rôder dans les escaliers et les couloirs, toute seule. Enfin si l'on peut dire, ils étaient là aux frontières de la vue et du son, nos compagnons éthérés. Ils me suivaient, et j'entendais de loin leurs jacassements ou leurs plaintes. J'ai ouvert toutes les portes des deux étages, me suis assise sur tous les lits moisis, ai testé chaque chaise pour voir ce que les souris en avaient laissé. J'ai regardé au fond des vases et ouvert tous les tiroirs. J'ai fait bouger mon flambeau pour attirer des reflets mourants sur les facettes des bibelots de cristal, de porcelaine et de laiton. J'ai laissé mes traces dans la poussière épaisse, là où nous n'étions jamais allés...

C'est dans l'une des pièces au fond d'une tour d'angle que j'ai trouvé le miroir. Il était tout pâmé et voilé de poussière et de toiles d'araignées. Sa monture de bronze à volutes m'a ravi le regard, j'ai souri. Et j'ai entrevu mon image à travers le voile, sourire dans le miroir. J'ai pris un bout de chiffon qui traînait et je l'ai essuyé. Il était magnifique... L'image qu'il rendait paraissait plus dorée que la vraie, les lumières étaient plus chaudes, les ombres plus douces. Je me trouvais belle dans ce miroir...

Sur la tablette de la coiffeuse où il était posé, il y avait un coffret entrouvert. Le vieux collier à l'intérieur était lourd, terni, l'or assombri, mais si somptueux encore... Le chiffon a éveillé les pierres. Des rubis. Je l'ai posé sur ma gorge, j'ai souri au miroir. La lumière était plus vive à chaque seconde, je n'ai pas réalisé tout de suite. J'étais trop ébahie par la fille dans le miroir. Elle était plus belle que toutes tes reines mortes. C'est à ce moment-là que tu m'as manqué si fort que ça m'a mordu le coeur. C'est pour ça sans doute que j'ai fermé le collier sur ma nuque en ravalant mes larmes. L'une d'elles est tombée sur une pierre rouge.

Je ne sais toujours pas si c'est le miroir, le collier ou la larme. Je sais juste que j'ai senti quelque chose. Comme un vertige à l'intérieur de moi. Un frisson qui m'a hérissé la peau, de la tête aux pieds. J'ai voulu retirer le collier et il n'y avait plus de fermoir. Et le miroir était clair. Il reflétait une salle ornée de riches tentures tombant jusqu'au sol, illuminée de dizaines de lampes. Et derrière moi, ils étaient tous debout. Tous les fantômes. Vivants et respirant. J'ai tourné la tête, et la pièce était sale et miteuse comme avant. Et j'étais seule.

J'ai mis plusieurs heures à comprendre. Je pouvais quitter la pièce, courir par tout le manoir de la cave aux greniers, sortir dans les jardins. Mais je ne pouvais passer la grande grille, ni aucune des plus petites. Nos compagnons passaient et repassaient devant moi, aussi incohérents que d'habitude, aussi étrangement charnels et immatériels à la fois. J'ai tâté mes bras, mes jambes. J'existais toujours.

Alors pourquoi ne m'as-tu pas vue quand tu es passé devant moi ?

Pourquoi n'as-tu pas entendu ma voix ?

Pourquoi n'as-tu pas senti mes mains et mes bras, qu'est-ce qui te coupait de moi, Ethiale ? J'espérais que tu m'expliquerais, que nous chercherions ensemble, mais minute après minute je te suivais en criant alors que tu m'appelais dans chaque pièce...

C'est fini, tu es parti. Je sais ce que tu vois. Une ruine fumante et noircie...

C'est ce que Ca veut que tu voies. Ca ne voulait pas que tu me trouves. Ca voulait t'éloigner de moi...

Parce que le Manoir est intact, Ethiale.

Enfin si on peut appeler intacte cette vieille baraque délabrée aux portes branlantes.

Rien n'a brûlé. Juste une image fabriquée pour toi...

Ca ne se serait pas laissé brûler si facilement...

Et depuis je t'attends...

J'erre d'une pièce à l'autre, seule celle au miroir me demeure interdite à présent.

Je tripote le vieux collier, maudissant ma vanité, ma jalousie et ma bêtise...

Et j'attends...

J'espère.

Que tu reviennes, que l'image soit dissipée.

Juste pouvoir te toucher et entendre ta voix me dire à nouveau les mots secrets.

Chut, petite fille. N'aies plus peur. Je suis là...

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Musique.

Dehors, tous tombaient, tous...

Dans l'orphelinat, les curés se croyaient à l'abri, ils ont refermé les portes sur le jardin des chagrins, et plus personne n'entrait, plus personne ne sortait.

« A l'intérieur, on sera mieux » qu'il disait le curé en chef, celui qui frappe entre deux prières adressées au saint suprême, son grand patron à lui, pas le mien. Moi, j'ai vite compris qu'on devait pas avoir le même bon dieu ou bien, il devait pas aimer les gosses.

Alors, quand tous les autres s'esquintaient les genoux sur le bois vermoulu pour faire leur prière, moi je partais dans mon paradis à moi, mon Eden loin de tous, loin de tout, loin d'eux et de toute cette merde.

Je me suis fais mon paradis sur mesure et y avait pas de curé, y avait pas de bon dieu non plus, mais des sourires sur tous les murs que j'ai dessiné dans mes rêves, ces murs dans lesquels j'ai gravé des noms d'ailleurs, des noms de toutes les couleurs et dans toutes les langues, même celles que je me suis inventées, et les murs dans mes prières, ils étaient si fragiles que je pouvais y découper des fenêtres et des portes, des tas de trous dans la prière des autres.

Sales petits curés enfermés derrière leurs murs.

Ils ont cru qu'en nous faisant boire de la prière à jeun et avant chaque repas, le mal ne passerait pas les murs.

Charité... la charité à tout va, la foi qui excuse et qui donne bonne conscience, on en a bouffé, mais ça les a pas empêché de laisser crever les gens derrière les murs, et quand les cris dans la nuit s'arrêtaient et qu'on voyait au loin les flammes des corps qui cramaient, eux, les curés, ils allaient se laver l'âme à l'eau bénite.

Moi, j'ai pas compté le nombre de fois où j'ai craché dedans.

Pas sur que ça leur ait lavé le visage.

J'ai pas oublié l'odeur de la chair brûlée, j'ai vomi sur les chaussures du bon dieu en regardant les brasiers, par-dessus les murs de la honte.

Et j'ai franchi le portail de mon enfance, bravant la foi et la sueur des bénitiers, le chapelet du curé enfoncé dans la poche pour ne pas oublier de revenir lui rendre, si la peste ne faisait pas le boulot à ma place.

J'ai couru, longtemps, j'ai couru dans la nuit noire, si noir que la peur m'a saisi les entrailles et j'ai vomi l'effroi des morts, le deuil de mon enfance et la rage de n'être rien, d'être un sans nom, Sine Nomine.

(...)

Chut...

N'ai plus peur, petite fille.

Là, oui... pose ton visage sur mon épaule.

Ferme les yeux petite fille.

Il ne faut plus que tu regardes, tu comprends ?

Dehors, tout est moche, tout est laid, et ça pu, ça sent la charogne.

Les corbeaux...

Ils... surtout, n'ouvre pas les yeux !

Les corbeaux te les boufferaient.

J'aime pas les corbeaux, ils ont volé le regard de ma maman.

Enfin... c'était pas vraiment ma maman.

Mais, elle aurait pu !

Elle était tout pareil, tu sais !

Toute façon, elle est morte.

Allez viens, lèves-toi petite fille et viens avec moi, je te protégerai des corbeaux.

Je sais où aller.

(...)

Zalyanni...

Où es-tu !

Je veux entendre sa voix, ta voix de perles et d'anges blancs, je veux voir ton regard coton qui me regarde, tes yeux qui s'illuminent et font ombrage à toutes les lumières, je veux sentir ton souffle caramel dans mes cheveux, tes lèvres mères qui se posent sur ma joue, je veux rougir encore de tes baisés sur le bout du nez.

Tu n'as jamais su que je rougissais.

Zalyanni !

Ecoute moi !

Ecoute ton cœur, regarde le ciel et voit !

Guide moi, guide mes pas, dit moi la route, le chemin, la rivière, le pont qui la chevauche et ses rives que je m'y attèle, raconte moi ses galets, les galets que je dois choisir pour la traverser, mais répond moi, Zalyanni !

Zalyanni...

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Est-ce que je vais oser faire ça ? Me glisser dans tes rêves... Et puis comment est-ce que je sais que je le peux ?

J'ai quitté le manoir, je sais que ma chair dort, affalée contre le montant de pierre d'une porte latérale. Je l'ai laissée là le temps de te retrouver. Il le fallait. Ca fait tellement bizarre de filer comme un nuage dans un vent de tempête, et tellement bizarre aussi de savoir très précisément où tu es...

Je ressens tout tellement plus fort... Le froid de la nuit, la clarté des étoiles, l'herbe humide que je ne touche pas des pieds, pourtant, le parfum des fleurs et les cris des oiseaux nocturnes. Même le froissement paresseux de la fourrure d'un animal qui remue en dormant. Tout...

Je sais où tu es endormi.

Je sais que tu as un peu froid, ton manteau est un peu trop léger pour la saison.

Je sais que tu as bu un peu plus que de raison.

Pourvu que tu me croies...

Tu as maigri, tes joues se sont creusées... Il s'est pourtant écoulé peu de temps... Et cette barbe d'une semaine qui te noircit le visage... Mon frère, tu te négliges... Est-ce que je t'ai donc tant contraint ? Mon coeur se serrerait s'il était ici... mais pour l'heure j'ai juste l'âme qui se serre...

Il le faut, pardon.

Je ne sais à quoi tu rêves, mais je dois le faire...

Je resterais bien encore un peu, vapeur impalpable flottant sur ta poitrine, mais il le faut...

Je te promets d'être aussi discrète que possible...

...

Que ta chair me paraît familière et étrangère à la fois...

Si dense et vaste, si... différente.

Mais j'ai promis, pas d'indiscrétions, je me concentre sur ton esprit. Il est ouvert au rêve, si vulnérable...

Si vulnérable...

Et pourtant je n'arrive pas à te parler.

Je parviens juste à te donner quelques images fugaces, et encore, j'y mets toute ma force mais ça m'épuise...

L'image du manoir encore debout, puis de la ruine que tu as cru voir, puis le manoir debout et moi qui hurle à la fenêtre.

Puis moi encore qui me bats avec les portes, qui renonce et qui pleure le front sur les genoux, dans l'angle d'un mur.

Puis moi enfin, moi la brume flottante penchée sur toi, ténue comme un souffle, mais c'est moi, c'est moi Ethiale, ouvre les yeux à présent et vois-moi, pour la fraction de seconde où je peux encore tenir, vois-moi, et souviens-toi du rêve quand j'aurai disparu...

Mon corps est tellement lourd, tellement faible.

Et j'ai si froid...

Je grelotte et je geins, mal partout, faim, fatiguée...

Sommeil...

Je me traîne jusqu'au banc de pierre, tout proche, j'y rampe et je m'y roule en boule, épuisée.

Je ne peux rien de plus...

...qu'espérer...

...attendre...

... dormir...

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Musique.

Ma sœur... Zalyanni...

Je peux enfin te voir et te sentir, ta peau, l'odeur de ton parfum sur ta peau, dans tes cheveux, et ce regard, ces yeux, tes yeux Zalyanni... noirs comme la nuit, noirs comme mon âme souillée.

Tu es là, devant moi et je te respire enfin.

Non !

Non....

Ne t'en vas pas, pas encore, reste ! Encore un tout petit peu, juste un tout petit peu, Zalyanni...

Mais, tu t'en vas déjà.

Tout se brouille, s'embrouille et se rature, cahier d'écolier usé par les mots qu'on dicte, la page se déchire et s'effiloche... ton visage dessiné à l'encre de chine disparaît noyé dans les traits infinis du néant.

Tu disparais emportée par un élan d'autrui, chassée, balayée par...

Je sursaute et ouvre les yeux.

Il fait nuit, noir comme tes yeux.

Je me suis endormi sur le bord d'un chemin, allongé sous un chêne majestueux, épuisé de te chercher.

J'ai rêvé de toi, Zalyanni.

J'ai vu ton regard qui me souriait à nouveau, je t'ai vu dans notre manoir.

Je... il a brûlé.

je perds la raison...

Soudain... une ombre.

Elle glisse et se faufile entre les branches et puis s'éloigne pour se cacher derrière un buisson.

Là ! Elle est là, derrière cet autre chêne majesté d'une forêt.

Elle file à tout va, s'enfuit déjà, revient et repart, fait marche arrière et puis s'envole dans l'arbre, elle joue !

Je... qui est là !

Répondez !

Accroupi au pied du chêne, le dos appuyé fermement contre son écorce, sa peau rêche, je l'enlace entre mes bras, je m'y accroche comme un enfant à la cuisse de sa mère.

La trouille au ventre, je cherche dans la nuit cette ombre qui me nargue.

Personne ne répond, personne...

J'ai perdu la raison accroché a un arbre.

Ça pourrait être pire, j'aurai pu me retrouver dans un tas de fumier à pleurer comme un marmot et qui geint et qui pleure à chaudes larmes, des larmes qui suintent sur la joue rose de l'enfant égaré, éperdu de sa mère, son sein protecteur.

Je reste là, apeuré comme l'enfant qui n'ose plus bouger, figé par la solitude.

L'ombre a disparu dans la nuit, ou bien... tu me guettes...

Oui, tu m'attends au carrefour des quatre folies, prête à surgir et refaire ton manège d'artiste de foire. Je t'aime pas l'ombre, je te hais ! Tu me fais peur !

Je prends la voix d'un enfant... pourtant, je regarde mes mains et je vois celle d'un adulte, les miennes, je les reconnais malgré la nuit, malgré la lune qui se cache, cette garce qui joue les filles de l'air au lieu de faire son métier et d'éclairer les buissons, un peu, juste un peu.

C'est pas moi !

J'ai rien fait m'ssieur !

C'est l'autre, là, cui qui dit rien, cui qu'a les cheveux roux, même qu'il est méchant, même qu'il me tape quand j'fais pas ce qu'il veut.

Il est méchant vous savez.

Moi... moi, je l'aime pas, et pis... et pis, il sent pas bon !

Oh non, ça c'est sur, il sent pas bon.

C'est pas d'être sale, parce que nous, on est tous sales là d'ou on vit.

Les roux, ça sent pas bon !

Si !

C'est l'autre qui l'a dit, cui qui donne les ordres, cui qui prend nos sous.

Lui aussi, je l'aime pas.

Mais, il sent bon ! Lui...

Il est pas roux, petète c'est ça, que les roux ça sent pas bon.

Mais moi, je m'en fous qu'il soit roux, je m'en fous que son visage soit couvert de taches rousses, non, ça je m'en fous. Moi... moi, c'que je voudrais c'est qu'il disparaisse, pis que cui qui donne les ordres, y soit plus là, lui non plus. Pis.. Je voudrais une maman !

M'ssieur, tu sais où je peux trouver une maman ?

N'importe laquelle ! Pourvu qu'elle soit douce.

Une qui sente bon le parfum des dames.

Moi, j'ai pas de maman, enfin je sais plus... J'ai pas d'nom vous savez ! Même que les autres y disent que je suis le fils de la chienne, mais c'est pour rire.

Mais moi, j'aime pas, même si c'est pour de rire, j'aime pas.

Quand je serai grand, je me trouverai un nom, je m'inventerai ce que les autres ont pas voulu me donner, pis j'aurai une maman, une vraie maman qui sent bon.

Parce que... la rue, c'est pas drôle et ça sent pas bon.

Je voudrais qu'elle soit douce... toute douce et pis, et pis... je me regarderai dans le miroir de ses yeux, là où on dit qu'on peut voir l'âme des gens. Parce que là où j'vis, y a pas de miroir, vous savez, non, y a pas de miroir...

Dites... zauriez pas une petite pièce ?

Rien qu'une pas chère.

Si j'rentre sans sous, le rouquin y va encore me dérouiller. J'aime pas qu'il me fasse mal.

Il est méchant vous savez !

Quand je serai grand, j'lui crèverai un œil.

Pourquoi vous me tirez...

Lâchez-moi !!!

Lâchez mon bras !

J'veux pas, non !!

Je veux pas aller là dedans, je veux pas, c'est plein de curés il a dit cui qu'est roux !

Lâchez-moi !

Lâchez-moi...

(...)

J'ai froid.

Je frisonne quand le soleil étend sa main sur mon visage, une main comme celle de ma sœur, Zalyanni. Tu as la peau douce d'une maman, tu sens pas le parfum pour dame, mais tu gardes mon reflet dans tes yeux, et c'est pas si mal.

Maintenant, je sais où te trouver.

Modifié (le) par Ethiale Sine Nomine
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