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Terre des Éléments

Sur le fil de ma serpe


Guest Nadhir
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La mort.

Pour certains, polyglottes floraux aux instincts poétiques, elle représente la déception amoureuse, la fin de la passion.

Pour d'autres, c'est l'équivalent végétal de la plus mortelle des araignées, la veuve...

Pour ma vieille grand mère, qui a essayé de m'enseigner jadis quelques rudiments d'herboristerie, c'est plus que celà, poison et contre-poison en même temps. Dommage que je ne l'ai pas écoutée à l'époque, ça m'aurait servi.

Et pour le recycleur d'âme, c'est devenu une monnaie d'échange.

La rose noire.

Je l'entends encore, à ma dernière visite... Frisonnement dans le dos, je n'aime pas y repenser.

Il avait un rictus un peu joueur aux lèvres, alors qu'il m'annonçait que ma prochaine résurection ne serait pas gratuite.

Une mort pour une vie, m'a-t-il dit.

Sans celà, plus de tunnel lumineux vers la Terre des Eléments, juste l'obscurité, même pas de scintillement d'étoiles.

Celà fait quelques semaines que j'ai cherché.

Cherché à ne pas mourrir, cherché ce qui pouvait me servir de passeport pour la vie, le cas échéant.

Jusqu'à présent, j'ai réussi, et finalement, j'ai trouvé.

La rose noire, symbole de la mort. Quel blagueur, ce recycleur. Mais les blagueurs avec le pouvoir de la renaissance, on ne rigole pas avec eux. Que me demandera-t-il d'autre, la prochaine fois?

J'espère qu'il n'y aura pas de prochaine fois.

Bref.

Parti du campement, rencontré Anamaya qui profitait de la nuit. Je l'aurai bien emmenée, pour continuer mes quelques cours d'herboristerie, plus académiques que ceux de ma grand-mère, peut-être pas aussi efficaces, mais c'est trop tard pour elle. L'aube est en train de poindre, là-bas, et elle ne risquera pas sa peau pour moi, évidemment.

Je me mets en chasse, ma serpe fraîchement aiguisée, vers les champs, au delà de Melrath Zorac.

Pas évident de trouver une rose noire avec si peu de luminosité, mais le jour, ce sont ses consoeurs claires qui tiennent le haut du pavé, et se gorgent de soleil en la cachant.

Je connais un coin, mes chances y sont faibles mais pas nulles. C'est mieux que rien.

C'est que ça ne pousse pas partout une rose comme ça. Ca se cache, ça se laisse désirer, ça cultive son indépendance et sa singularité.

Une étendue de fleurs sauvages, à l'orée d'un bois.

Surtout des tournesols, qui ressemblent plus à des saules-pleureurs à cette heure de la nuit.

Quelques points roses, parfois rouges. Beaucoup de vert.

Je cherche le clin d'oeil d'un regard de jais.

Le seul qui m'intéresse aujourd'hui.

Le seul qui puisse me sauver, si jamais...

Je secoue la tête, je chasse ces pensées.

Trouver une rose noire, c'est tout.

Une rose sauvage...

Mes pensées dérivent. Les roses sauvages. La guerre. Ces roses que j'ai plusieurs fois rencontrées, que j'aurai appréciées, et qui sont maintenants ennemies intimes des Constellations. Ces roses pour lesquelles j'ai fait voeu de ne jamais sortir ma serpe et en trancher la tige, comme une preuve que nous ne sommes pas ceux qu'elles croient.

Non, arrête, une rose noire, c'est tout, juste une, après, on rentre.

Au milieu des champs, un scintillement, comme une étoile, mais à l'envers. Un reflet d'obscurité.

Serait-ce?

Je m'approche, l'ombre de la forêt vient à ma rencontre.

Un doute. Quels dangers peuvent m'attendrent si proche de cette forêt?

Des animaux sauvages, des rôdeurs sanguinaires...?

Je m'arrête, j'écoute.

Une rose sombre à quelques pas, entre moi et les premiers arbres.

Un coup d'oeil dans mon dos, les champs sont déserts, mon regard porte loin, pas d'inquiétude.

Quelque chose pourtant attire mon attention dans ce bois, devant.

Quel danger...?

Un ennemi?

Je fais deux pas de plus, la rose presque à portée de serpe.

Juste me baisser, sortir ma lame, étendre le bras.

Mon regard sur les arbres, il pourrait en sortir quelque chose à n'importe quel moment, me prendre par surprise, ne me laisser aucune chance.

Je risque un regard vers la rose.

Mon coeur bondit.

Elle est noire, elle semble aspirer la luminosité naissante, c'est elle que je cherche.

Il ne me suffit que d'un coup de serpe.

Mes yeux sur les arbres, un étrange pressentiment.

Ma main gauche vient former une coupe sous les pétales de la fleur, pour la récolter quand elle ne sera plus dépendante de sa tige. La serpe, dans le prolongement de ma main droite, qui contourne les autres plantes, pour entourer cette tige.

Rien qu'un unique fil qui la retient à la vie.

Rien qu'un mouvement pour trancher, et m'offrir cette deuxième chance, plus tard.

Qu'est-ce que je dois voir, dans cette forêt, qui attire mon oeil?

Une rose sauvage, sous le fil de ma serpe.

Etrange symbole.

Qu'est-ce que tu ferais, Nadhir, avec le cou d'une rose sauvage sous ta serpe?

Une vie si facile à prendre.

Juste un mouvement du poignet, et plus de question.

...

Est-ce que j'en serais capable?

La solution de facilité.

Peut-être même pas une solution.

La rose noire, Nadhir, bon sang! Le recycleur!

les yeux fixes, dans le vague.

Je ne sais plus.

...

Tous nos actes ont un prix.

Toutes nos décisions aussi.

Il est de ces choix irrévocables qui forgent une vie.

Pas de rose sauvage sous le fil de ma serpe.

Jamais.

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Le soleil va poindre, bientôt.

Très bientôt.

Je suis en retard.

Il me reste quelques instants pour m'enfoncer dans la forêt et regagner le campement, grimper vers la falaise, trouver l'entrée de ma caverne et aller m'y réfugier... Comme souvent j'y arriverai alors que le soleil levant inondera la vallée, et malgré mes yeux douloureux, je trouverai ça grandiose... Quelques secondes de splendeur et deux heures de migraine. Le soleil du matin est le plus lumineux, le plus difficile à supporter. Mais je ne peux pas m'empêcher...

Et je m'attarde ici, pour les mêmes raisons. Le ciel est devenu gris pâle, puis rose. Les nuages s'ourlent d'or. Les fleurs attendent. Fermées, perlées d'eau, elles attendent leur caresse du matin, elles frémissent... Je les frôle du bout des doigts. Le soleil qui me vrille les yeux est leur seigneur et leur vie. Moi il est mon tourment. Pourtant je porte leur nom...

Un mouvement léger qui trouble la quiétude.

Je ne suis plus seule. Soupir d'agacement.

Je n'aime pas partager ces moments. Je me coule sous l'ombre des arbres, il était temps de toute façon que je m'en aille, je cède donc la place. A qui ?

Un regard par-dessus l'épaule, et je vois l'homme qui s'avance dans le champs de fleurs sauvages, cape longue et capuchon, souple et silencieux comme un fantôme. L'éclat de la serpe encore soyeux sans le soleil pour l'aviver. Il cherche.

Je connais son allure et ce que je vois de son visage. Curieuse, je me glisse à l'abri d'un buisson épais. Je vois bien, je vois loin, tant que l'astre du jour est absent. Je perce l'ombre du capuchon.

Nadhir.

Juste une confirmation...

Il ne me manquait que le nom de l'homme. Je savais déjà quand et où je l'avais vu pour la dernière fois.

La fois où j'avais dit, entre très peu de choses, que je préférais ne plus jamais le voir.

Pour ne pas avoir à tuer ou mourir.

Il cherche, et l'anxiété latente, je la lis comme sur la page d'un livre.

Que cherche-t-il, et pourquoi ? C'est important pour lui, capital. C'est évident.

Il lève les yeux, il fouille l'ombre du sous-bois, a-t-il senti ma présence ? Possible... Les dernières étoiles sont toujours là dans le ciel qui s'éclaire, peut-être lui disent-elle qu'une menace se cache non loin de lui.

Il a trouvé. Il se penche, glisse la main sous la corolle d'une fleur noire.

Une rose.

C'est idiot.

Ca ne devrait pas me serrer dans la poitrine...

Il lève la serpe, geste fluide, posé des milliers de fois, sans doute, il place la lame sous la corolle encore fermée.

Je serre les dents.

Et puis il reste immobile.

Un tremblement retenu dans sa main.

Ses dents, serrées comme les miennes.

Un combat dans le regard.

Pourquoi est-ce qu'il ne le fait pas ?

Vite et proprement.

C'est juste une fleur.

C'est la fleur qu'il est venu chercher malgré le danger.

Coupe cette fleur et qu'on n'en parle plus...

Le moment s'éternise.

La tension quitte ses épaules.

La serpe s'abaisse, imperceptiblement.

Ses yeux se sont fermés un moment, il a eu un sourire un peu amer.

Il ne le fait pas.

Il ne le fait pas...

Le noeud dans ma poitrine plus serré, douloureux.

Intolérable.

Je me redresse lentement.

Il ne me voit pas encore, s'il voit le mouvement.

J'avance de deux pas.

Là il doit me voir.

Deux pas de plus, j'ai quitté l'ombre du bois.

Le pas régulier, les bras ballants et les mains vides.

Je fixe l'ombre sous son capuchon, comme il fixe sans doute l'ombre sous la mienne.

Je suis à un pas de lui, je m'arrête.

Silencieuse, immobile.

Puis laissant la longue épée sommeiller dans mon dos, je sors lentement ma dague de son fourreau.

Sifflement ténu de l'acier sur le cuir.

Comme un serpent dans l'herbe.

Modifié (le) par Eileen
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Jamais...

Perdu dans mes pensées, je vois, avant de le remarquer, le mouvement puis la silhouette, dans mon champ de vision.

Pas de rose sauvage sous le fil de ma serpe.

Et puis mon cerveau enregistre, et décode.

Une silhouette encapuchonnée, calme, une certaine grâce, certainement fluide.

Je reconnais le pas, je me maudis une seconde fois pour ne pas l'avoir remarquée plus tôt, et m'être fait surprendre. Je devrais savoir, maintenant! Une tellurique au milieu de la forêt, inconnue qui plus est, je ne peux pas la repérer de loin.

Si elle avait été plus loin justement, j'aurai bondi, je me serais donné la certitude que la distance soit suffisante pour commencer mes mélopées magiques et défensives.

Mais là, la distance est trop courte. Il lui suffit d'un bond pour être sur moi. Contre une guerrière comme ça, je n'aurai pas l'avantage, sans même la dague qui m'était favorite, dans un passé pas si lointain. Calme, gagner du temps, parler, l'embobiner...

Et pourtant...

Calme, elle, on croirait pouvoir déceller chez elle l'approche de la tigresse, à pas feutrés, avant de chasser sa proie, dans une débauche de vitesse et de puissance.

Mais non, calme, pas d'aggressivité dans le peu de visage que j'arrive à voir sous sa capuche.

Si ç'avait été un homme, il y aurait eu ce rictus sardonique prémonitoire de la curée.

Il y aurait eu ce léger tremblement dans les mains, la bouffée d'adrénaline qui appelle le sang.

Mais rien de tout celà.

Et quand elle tire une dague, ce n'est pas un danger que je vois.

Je ne sais d'ailleurs pas encore ce que je vois...

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Et il n'a même pas esquissé un geste. Il s'est redressé, c'est tout.

Je suis tout près de lui, je sais qu'il suffirait d'un mouvement, peut-être...

Il a l'air souple et vif, mais je le suis aussi, moins sans doute, mais suffisamment.

Un seul mouvement, un arc de cercle rapide, bras tendu. Il ne sentirait rien.

Mais pourquoi ?

Parce que quelqu'un, quelque part a décrété que cet homme était mon ennemi ?

Alors qu'il ne m'a jamais causé de tort, ni à moi, ni à mes compagnes ?

Pourquoi, alors ? Et si je n'ai pas envie, moi, d'appeler ennemis des gens à qui je ne peux même pas reprocher d'être loyaux à leurs idées ou leurs croyances ? Même si je ne les partage pas...

Ce n'est pas pour ça que je me suis approchée.

Ce n'est pas pour ça que j'ai tiré ma lame, et il le sait.

Il n'a pas le maintien tendu de ceux qui attendent stoïquement le coup.

Il sait qu'il n'a aucun coup à attendre.

Le soleil ne tardera plus, et pourtant je reste encore immobile quelques secondes.

Etrange.

Il y a quelque chose qui flotte dans l'air ce matin, autre que le chant des oiseaux ou le parfum de la terre humide. Le noeud dans ma poitrine s'est dénoué tout seul, et je me sens bien, c'est très étrange. La sérénité qui filtre de sous le capuchon de sa cape... Une sorte de joie paisible. Il n'a pas bougé, pas incanté, pas fui. Il ne me craint pas. Il ne me hait pas. Ou alors pas assez pour que la violence déchire la beauté du matin. Une légèreté d'âme qui me donne un peu le tournis. Une sorte de transe agréable...

Je me courbe un peu, un petit geste sec. La rose commençait à s'ouvrir. J'ignore pourquoi il la lui fallait tellement... Je n'ai pas à le savoir. Je la lui tends dans ma main ouverte. Mon murmure est grave et bas, un peu étranglé peut-être.

C'est juste une fleur, Nadhir... Juste une fleur.

Elle m'a piquée, le sang perle à mon doigt. Je souris.

Juste une fleur qui s'est battue.

Une fleur qui a perdu.

Modifié (le) par Eileen
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Le temps qui se ralentit.

Deux êtres l'un en face de l'autre, une dague entre nous, une guerre déclarée, mais pas de sang.

Il n'y en aura pas.

L'un comme l'autre, nous nous sommes fait la promesse de ne pas être le premier, ni d'être le bras qui frappe.

C'est drôle, la dernière fois, son regard était dur, implacable, pour autant que je pouvais le distinguer sous la noirceur de sa capuche.

Aujourd'hui, son regard est plein de curiosité, de l'incompréhension aussi, un peu de douleur néanmoins... et puis il est violet.

C'est la première fois que je le vois, ce violet.

Elle se baisse, tranche la rose, et me la présente.

Juste une fleur, dit-elle, en m'empêchant de finir la ligne de pensée que j'avais commencée.

J'approche ma main de la sienne, sombre, la rose ne s'en détache presque pas.

Sauf.

Une goutte écarlate.

Du sang. Un pied-de-nez à mes certitudes précédentes? Le destin a l'air d'aimer se jouer de moi.

Je glisse mes doigts entre sa main et la corolle.

Un pétale frôle la goutte au passage, et l'absorbe.

Mes doigts forment une cage autour de la fleur, pour ne pas la froisser, ne pas la laisser tomber.

Juste une fleur...

Merci... pour cette vie, Eyleen.

Son regard.

Ses yeux qui se plissent, pas de la colère. Plutôt...

Violet. Je ne l'avais pas remarqué avant, par manque de lumière.

Parce qu'aujourd'hui les rayons du soleil se permettent de filtrer sous sa capuche, et de révéler la couleur de ses yeux, son visage mat, ses cheveux qui contrastent.

Et la douleur dans ses yeux.

Ma main sur son poignet, ferme et pressant, et déjà mon élan vers la forêt, le couvert des arbres.

Elle bravait le soleil, alors qu'elle ne doit pas pouvoir le supporter.

J'ai déjà vu ces yeux, mais jamais au soleil.

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Premiers rayons qui percent l'air du matin. Ils m'arrivent en plein visage, horizontaux, par-dessous le rebord de la capuche, deux pointes de poignards, une dans chaque oeil. Luminosité pure et tranchante, comme chaque matin, douloureuse après la pénombre douce. Et comme chaque matin je cille, je plisse les paupières, je détourne un peu la tête...

Il a remarqué. J'ai vu ses yeux courir sur mon visage, il a vu, je crois, il a compris. La tension revient dans mes épaules. Je me prépare, je me durcis. La réaction est parfois violente. Et souvent douloureuse, plus encore que le soleil du matin dans les yeux. Dégoût, mépris, rejet. Plus rarement l'indifférence ou un vague intérêt.

Je me suis préparée, mais pas à ça. Sa main qui me saisit le poignet. Je sursaute violemment, mon premier geste, fuir, m'arracher à ce contact, reculer. Sa prise est ferme, et mon mouvement trop faible, retenu. Il faut croire que je n'y croyais pas tout à fait, à l'apparition d'une lame ou d'une lueur mortelle dans son autre main. J'ai du mal à l'admettre, mais il m'entraîne seulement vers les bois et les ombres qui persistent sous les feuillages. De la compassion.

Abasourdie, je reste plantée sur place comme une idiote. Son mouvement m'a néanmoins fait pivoter sur moi-même, je tourne le dos au soleil et c'est un soulagement. Une seconde, puis je me laisse entraîner... Quelques pas, et les arbres nous embrassent. L'ombre revient. Ma douleur s'estompe et j'essaie de remettre de l'ordre dans le tumulte qui m'encombre l'esprit. Revenir à sa dernière phrase... Point d'ancrage dans le flou où son attitude étrange m'a jettée. Une vie... Je souris. Il se trompe.

Non...

Je relève la tête, je m'arrête, j'attends qu'il se tourne vers moi.

Pas une vie, juste une fleur...

Tu n'as pas vu ?...

Deux autres boutons, sur la tige.

Elle va fleurir encore.

Je souris toujours.

C'est bien une fleur, juste une fleur...

Mais pas une vie.

Donner des cours de botanique à un herboriste... Présomption ? Peut-être.

En tout cas ça me fait rire, tout bas.

Ca aussi c'est anormal...

Quel drôle de matin...

Modifié (le) par Eileen
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J'imaginais sa résistance initiale, mais sans doute la fleur encore prisonnière de mon autre main rendait ma posture impossiblement pacifiste, malgré sa brusquerie.

Elle suit mon élan, jusqu'aux arbres. La pénombre nous enveloppe à nouveau, les feuilles sont comme un rideau de nuit à nouveau. Mais pas pour longtemps...

Je me retourne vers elle, ses yeux ont repris leur teinte habituelle, à l'ombre. Les ais-je vraiment vu violets? ou était-ce juste un reflet espiègle du soleil nouveau-né?

De sa posture, pourtant, je sens que je n'ai fait que précipiter ce qui était inévitable. Elle fuit le soleil, autant que faire se peut. C'est bizarre... moi qui ais toujours cherché la nuit, l'obscurité, les étoiles, mais sans jamais fuir. Le choix a toujours été mien...

Juste une fleur, me répète-t-elle.

Je fronce un instant les sourcils, essayant de capter sa ligne de pensée, et puis je me rappelle de mes dernières paroles. La rose noire pourra refleurir, c'est vrai, et heureusement. Telle une hydre, peut-être faire repousser ses têtes à mesure qu'on les coupe? J'oublie cette image, elle va trop loin.

Je lève la main, celle ou j'ai encore la rose, dans sa prison digitale, et je la détaille un instant. Une corolle fière, des pétales élégants, l'un empourpré comme le rose qui monte aux joues d'une demoiselle, la tige forte encore... mais pour combien de temps?

J'ouvre ma cape, prend délicatement une petite fiole fine et allongée, remplie d'un liquide ambré. Je l'ouvre, y trempe quelques instants la tige, avant de la refermer. Une décoction spéciale, que l'on apprend très tôt dans l'art de l'herboristerie, pour conserver les plantes cueillies. Je n'en ai pas beaucoup, je la garde pour les occasions, lorsque je ne peux pas utiliser la plante, ou extraire l'essence de la racine, sur l'instant.

Finalement, je glisse la tige dans les fils de ma cape, à l'intérieur. En ourlant la cape, je ressemblerai à un jeune marié, avec sa fleur à la boutonnière. Mais là, c'est juste proche de mon coeur, la source de vie, que je la garde.

Pour beaucoup, ce n'était qu'une fleur, Eyleen.

Pour un magicien herboriste, et pour moi en particulier, c'est plus que ça.

Une vie.

La mienne.

Celle d'après.

Et pour le général des Constellations de l'Aube, cette rose, c'était...

... un symbole.

Je ne l'ai pas dit à voix haute, ça, hein?

Nadhir, attention...

... un plaisir de vous rencontrer, et de vous avoir vu finalement accepter cette balade dans la forêt, restée en suspend.

Un sourire presque charmeur, suivant les pirouettes orales que j'ai l'habitude de sortir... mais celui-ci est troublé, il est là pour cacher comme un malaise.

Un mouvement de tête, ma capuche cache mon visage qui se tourne vers le soleil. Il finira bien par percer à travers le feuillage.

Phoebus sera bientôt là, même dans la forêt. Et je suppose que vous ne voulez pas le rencontrer...

Une façon de dire adieu.

Ou peut-être seulement un au-revoir. Je sais que la nuit est son domaine, et qu'il y aura toujours des étoiles au dessus de sa tête pour l'observer.

Merci Eyleen, tu m'as enlevé une épine du pied.

Modifié (le) par Nadhir
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Une vie, celle d'après...

Je me doutais que c'était précieux pour lui, cette rose. MAis pas à ce point...

Et pour le Général des Constellations de l'Aube ? Il allait parler. Il a retenu ses mots, mais je sais ce qu'il allait dire, je me souviens du combat dans ses yeux, quand il tenait la serpe sous le col de la rose... Il a retenu ses mots et laissé une boutade sortir à la place, une plaisanterie qui pique un peu... Il sourit, et moi aussi. Alors que ce souvenir pèse encore en moi, poisseux et trouble comme de l'eau de vaisselle sale, où flottent des choses non identifiées, qu'on préfère ne pas voir mais dont le contact fait grimacer...

Ennemis déclarés par d'autres, nous sommes debout dans un bois au lever du soleil, et nous nous sourions depuis nos capuchons respectifs. La gêne affleure à nos lèvres autant qu'une tension bizarre, difficile à identifier, où les émotions se mèlent. Mon sourire renferme un peu de peur, un peu de honte, un peu de cynisme, mais le défi en est absent, ainsi que le sarcasme. Le sien, je le sens tout aussi complexe... Mais je ne m'avancerai pas à essayer de l'interpréter. Je ne le connais pas. Et soudainement je le regrette.

Il reprend la parole, et désigne la lumière qui tente de se glisser entre les feuilles des arbres... Je soupire. Il a raison. Ce soleil-là me blesse par trop les yeux... Je le supporte mieux, paradoxalement, quand il est à son zénith, car alors je me cache profondément dans les plis qui me couvrent, et je n'en souffre pas. Il y a le soleil, et la fatigue d'une nuit de chasse... Je n'en peux plus.

En effet... Et lui j'aime autant éviter d'avoir à le regarder en face...

Mais c'est bien le seul. Pour les autres, s'il m'arrive de craindre leur regard, ça ne m'empêche pas de le soutenir quand même... Par exemple, là, maintenant, même si ça me demande un effort, je ne détourne pas les yeux...

A bientôt, peut-être...

Si vous avez besoin d'un coup de sécateur, n'hésitez pas...

Sinon je coupe très bien les cheveux en quatre, aussi...

Sur un sourire, je me détourne et m'éloigne. Le bois est touffu, quelques secondes et je suis hors de vue. Je peux ralentir le pas... Reprendre mon souffle... Pour l'instant, il faut regagner la vallée, le campement, ma caverne. Et cesser de penser...

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