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Terre des Éléments

Une rémanence irrépressible


odriistfen
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Les fourmis poursuivaient inlassablement leurs allées et venues, éclairées par la lumière rougeâtre des derniers rayons du soleil, qui bien qu'en fin d'effort continuait sans compromis de donner sur la rampe rocheuse menant vers la vieille forteresse de l'alliance. Leur effort continu, que ni le temps ni les autres obstacles ne semblaient pouvoir arrêter, tranchait avec le long déclin de ceux qui avait été le symbole de la puissance et de l’opulence des factions harmoniques. Depuis longtemps on ne voyait plus guère de lumière dans leur bastion de plus en plus envahi par le silence, où les décorations se ternissaient, tandis que les livres remplis de hauts faits des résidents étaient comme retournés au bois dont ils étaient issus, simples parties des meubles qui les accueillaient. Tel était le destin des gloires futiles, motivées par des rêves de grandeur éphémère plutôt que par de réelles intentions de droiture et d’illumination, songeait Arahìl du haut des remparts de l’Au-Delà, les hommes désirent l’or parce qu’ils brillent, et non pas parce qu’il peut réfléchir la lumière vers les autres. Derrière lui, il entendait les clameurs et les rires émanant de la salle principale, contrastant autant avec la funèbre apathie de leurs voisins qu’avec le sérieux et l’organisation des fourmis qui s’affairaient. Un début de sourire teinté de tendresse naquit sur les lèvres d’Arahìl, tandis que la brise vespérale faisait se mouvoir ses cheveux longs. C’était de braves gens, parfois impulsifs et poussés à la violence, mais profondément bons. Ils les voyaient un peu comme des enfants, s’amusant au gré de leurs envies, toujours l’air réjoui et prêts à partir à l’aventure. Ils l’avaient recueilli à son retour, alors que son abri avait été détruit et qu’il était dans toit. Ses yeux se fermèrent brièvement sous la douleur fugace du souvenir. Quand sa vie avait repris sur ces terres, il avait cru qu’il pourrait continuer comme avant malgré tout ce qui s’était passé, et aller sur son chemin en ne se souciant pas des affaires du monde. Après avoir vagabondé de ci de là, il d’était lassé et était entré dans un long sommeil, et quand il avait décidé d’arpenter à nouveau la terre des éléments, il était seul, et sans rien à quoi se raccrocher. Et il avait fini par comprendre.

               Ses pensées remontèrent plus en amont encore, avant sa réincarnation. Dans son ancienne vie, il était un vagabond nommé odriistfen, explorant les terres inlassablement en faisant fi du danger et des doctrines du monde des Hommes, dormant à la belle étoile, se battant avec quiconque le provoquait et fraternisant avec tous, sans se soucier des guerres et des factions. Il avait fini par ne plus pouvoir s’y soustraire cependant, ayant rejoint une bande de marginaux qui lui demandèrent de les rejoindre, impressionnés par son esprit libre et irrépressible. Il avait participé aux plus grandes batailles de son temps, des plages d’Irliscia quand les gardes dépassés en avaient ouvert l’accès aux aventuriers, aux remparts nordiques de la tente des souffles où armé d’un trébuchet il avait fait justice avec éclat de ceux qui le traquaient pour ses affiliations sans que ses actions ou son karma les y aient provoqué. Ensuite, après que des tumultes aient rompu l’entente entre ses compagnons, il s’opposa aux sentinelles de Niue, qui, nimbés des illusions de grandeur insufflées par leur divinité lacunaire, avaient juré de répandre la dévastation et la mort sur ces terres. Flanqué des suivants de l’Au-delà pour la première fois, il fit grand ravage parmi les rangs de ses ennemis, qui, impuissants en furent réduit à faire appel à une divinité mineure pour détruire son âme, comme celle de Badack, son compagnon d’armes.

               Un temps se passa ainsi, un fragment de sa conscience subsistant, libéré de l’espace et du temps. Puis vint un jour où il fut rappelé sur la terre des éléments, dans une vie nouvelle. En quelques années à peine, il parvint à maturité, accumulant savoir et puissance, en ayant encore des souvenirs diffus de son autre vie. Mais il savait aujourd’hui que s’il avait été rappelé, ce n’était pas pour suivre le même chemin. Les sentinelles ont depuis longtemps flétri, car Niue est une divinité emplie de faiblesses et de défauts, qui ne saurait triompher ou élever son statut, et ainsi tous ceux qui la suivent aveuglément finissent par voir leur dévotion sombrer, leurs efforts demeurer ultimement vains. Mais Arahìl savait que ce n’était pas le réel ennemi. Ce n’était pas les forces s’élevant contre la lumière, maléfique au su de tous et finissant pas échouer, mais ceux qui prétendaient la servir et la ternissaient de leurs actions. Contre Niue, l’opposé de Quen et ennemi de la lumière, aucun harmonique n’avait pris les armes, sauf Céleste la Juste dont la forteresse était bâtie sur les vestiges du refuge qu’il avait occupé. Il voyait désormais toute l’hypocrisie de la prétendue harmonie, présentée comme l’aboutissement de la justice et du bien. Non, l’harmonie n’était pas un aboutissement, et sous couvert d’apaisement, ses adeptes avaient sombré dans l’apathie, tout comme l’eau stagnante nous paraît la plus tranquille, ou comme une feuille morte tombe en douceur dans l’harmonie des couleurs de l’automne, sur le tapis de la nature qui se décompose, oublieuse de sa propre pestilence. Les alliances suivant les préceptes de l’harmonie, autrefois les plus riches et les plus puissantes, avait acquis richesse et prestige vis-à-vis des habitants de la terre des éléments avec leur grands discours, leurs promesses de combattre le mal et d’apporter paix, prospérité et lumière, mais quand les ennemis jurés des idéaux qu’ils prétendaient défendre était venus, ils étaient restés à festoyer dans leur palais, contents surtout de leur emprise sur ces terres et de leur opulence, s’avilissant au lieu de s’élever.

               Ainsi, au temps où les disciples de Niue vantaient leur affiliation par milliers tandis que le nom de Quen n’était plus que rarement prononcé, Arahìl avait compris pourquoi on l’avait ramené, et quelle était sa charge. S’il voyait Niue comme une divinité inférieure, il devait bien constater que le culte rendu à Quen n’avait pas accompli ce qu’il devait, le dernier exemple de tentative visant à transcender la condition actuelle des hommes ancré dans les esprits étant celui de Rebom, qui avait suivi les enseignements de Quen pour finalement servir la vision de Niue, ce qui causa sa perte. Il avait été aux antipodes de ce à quoi les peuplades de la terre des éléments devaient aspirer, cependant, un point de son histoire formait un enseignement précieux : on ne pouvait parvenir à un stade plus élevé, on ne pouvait se contenter de suivre pleinement une des visions séparées. A partir de là, tout devenait limpide : il fallait assujettir la vision inférieure de Niue à celle de Quen : non pas tout détruire pour tout reconstruire, mais se servir de ce qu’on détruit et de ce que l’on tue afin d’atteindre nus même un niveau de conscience supérieure, et le permettre au plus grand nombre. Une forme supérieure de Quen, nommée Ar-Quen, nommée Ar-Quen émergea de cette vision, et Arahìl en est le prophète : après avoir s’être contenté de regarder les Hommes, il était le seul à pouvoir apporter la lumière au monde, lui qui avait vu par-delà la mort et le monde, et qu’ Ar-Quen avait ramené en ces terres. Il serait désormais le flambeau, menant la révolte pour détruire ceux qui ont perverti la juste vision, ne parvenant pas à transcender leur existence après avoir passé leur vie à prétendre s’y consacrer corps et âme, afin de forger dans leur chute le salut de ceux qui peuvent encore être sauvés.

                Accoudé aux remparts de l'Au-delà, Arahìl regarda les contours des fourmis s'estomper dans la pénombre. Les temps seraient sombres, et il ne pouvait se permettre de perdre de vue la voie. Il est le seul désormais à pouvoir porter la lumière.

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