Le silencieux tintement du nécromant

[Tanovar]

 

 

Un silencieux tintement.

 

C'était l'impression que laissait Tanovar derrière lui.

Une impression ? Une impression pourtant bien réelle, mais qui paraissait souvent  bien trop irréelle. Une impression ténue. 

L'impression que quelqu'un s'était tenu juste derrière vous, une présence, un léger son, sans pour autant que l'on se souvienne réellement de qu'il s'agissait, ou de quoi.

 

Un tintement silencieux.

 

Tanovar avoisinait les 1m95. D'une solide composition, ce nécromancien d'Aéris n'avait rien pour passer inaperçu : ni sa carrure, ni la magie qu'il utilisait.

Cette dernière, basée sur l'invocation du souffle des défunts dégageait une odeur putride lui prodiguant une agilité et une grâce aérienne insoupçonnée.

Néanmoins, la plupart des gens ne retenaient de lui qu'un vague souvenir sans visage, une impression silencieuse.

 

Un silencieux tintement.

 

Était-ce dû à la petite clochette qu'il portait à l'oreille gauche ?

 

Un tintement silencieux.

 

***

 

Ce jour là, Tanovar fut étonné de recevoir une missive. Lui si silencieux, passait généralement inaperçu, et ce malgré sa carrure imposante.
Sa manie de ne répondre que brièvement, voir même uniquement par des mouvements de tête et haussements d'épaule, accompagnés d'un regard quasi-désintéressé de tout, le rendait encore moins attractif aux yeux d'autrui.

C'était pourtant un homme qui s'intéressait profondément à ce qui l'entourait, mais il n'était pas très à l'aise avec ses semblables: il avait toujours l'impression de déranger, de ne pas être à sa place et ne savait jamais ni quand, ni comment intervenir de manière juste dans une conversation.

Il observa un moment la missive tout juste reçue, que répondre ? Il n'était de toutes façons pas en mesure de répondre quoique ce soit par écrit : les mots et lui... toutes ces voyelles et consonnes qui s'interchangeaient tout le temps...

Il songea un instant à dessiner pour exprimer sa pensée à ce Manrek qui avait eu la bonté de lui écrire, mais après quelques tentatives maladroites, il se ravisa. Finalement, il ne répondrait pas à cet homme, cela s'avérait trop compliqué à réaliser...
Ce manque de réponse ne ferait que confirmer aux yeux de tous ce que beaucoup pensaient déjà : Tanovar le malpoli, Tanovar celui qui se pense au dessus des autres, Tanovar l'imbécile, Tanovar le bizarre qu'il vaut mieux ignorer...

C'est un soupirant que Tanovar roula délicatement la missive et la rangea dans sa besace. Pour une fois que quelqu'un lui écrivait, il ne fallait pas qu'il perde ce précieux papier. Ca serait.. comme son trésor ! Et un jour.. Oui, un jour, il sera capable de répondre à ce Manrek.

Tintement silencieux.mp3

[Tanovar]

Des jours, des mois s'étaient écoulés depuis que Tanovar avait pris possession d'une chambre à l'auberge nord de Melrath Zorac.

 

Le nécromant soupçonnait le décorateur d'intérieur de l'établissement d'être une petite fille de 10 ans, mais au fond de lui l'amoncellement d'ours en peluche et de plantes vertes ne le gênait pas outre mesure. On pourrait même presque dire qu'il se sentait à l'aise dans cet environnement figé où peu d'aventuriers se rendaient.

 

La plupart des citoyens de cette ville semblaient préférer l'ambiance virile et guerrière de la taverne du quartier des apothicaires. Tanovar, lui, savait qu'il n'y serait pas le bienvenu. Incapable de placer un mot au moment propice, il finirait par se fondre dans le décor, observant silencieusement la cohue générale propre aux établissements de boissons où se réunissent les groupes de fiers combattants. Puis, inadapté au lieu, il finirait par se retirer, tout aussi silencieusement, laissant derrière lui une vague impression de tintement sourd.

 

Sa petite vie en auberge lui convenait parfaitement, le jour il se rendait en ville où il ne manquait pas de prêter main forte aux personnes dans le besoin, et le soir il rentrait chez Gertrude où Gefin, qui commençait à le connaître, lui servait spontanément des oeufs à la coque accompagnés d'épaisses tranches de pains grillées beurrées. Qu'importe la saison, qu'importe l'endroit, ce plat était celui que Tanovar dégustait tous les soirs avec le même entrain.

Le nécromant appréciait également le tempérament de la tenancière. Si cette dernière lui faisait payer une chambre hors de prix, il se réjouissait néanmoins de constater que Gertrude avait toujours conscience de sa présence ! Peut-être était-ce une capacité spéciale développée par les soeurs GerGer afin d'éviter qu'un client trop discret ne s'éclipse sans payer ? Toujours est-il que Tanovar appréciait cette sensation d'être visible aux yeux de quelqu'un.

 

Enfin, la nuit venue, il aimait se mettre à la fenêtre pour écouter le silence de la ville si tumultueuse en journée. L'air nocturne avait à son goût une odeur singulière qu'il appréciait particulièrement. La lueur des étoiles donnait à la ville un autre aspect, un aspect plus proche de la nature profonde de Tanovar, et cette ambiance avait quelque chose de réconfortant pour lui.

 

Un soir, alors qu'il rentrait à sa chambre, sa routine fut brisée par la remise d'une missive. Gertrude lui décrivit l'allure de l'homme qui était venu déposer le cachet un peu plus tôt dans la journée et Tanovar cru reconnaître en cette description Manrek, le Général des Gladius Vagor qui l'avait déjà contacté par le passé.

Ainsi, malgré le silence du nécromant, ce guerrier n'avait pas lâché l'affaire ?... Eh bien soit ! Tanovar irait donc grossir les rangs de sa faction !

 

Peut-être trouverait-il en ce lieu sa place ? Rien de moins sûr. Mais l'insistance de Manrek était aux yeux de Tanovar la preuve qu'il existait à ses yeux, et par cette preuve trouverait-il peut être l'équilibre dont il avait besoin pour profiter pleinement de sa vie.

 

Et c'est ainsi que le tintement silencieux raisonna pour la dernière fois au sein de l'auberge nord de Melrath Zorac.