George

[Tapate]

Ce matin, en chassant les petites pommes vertes qui piquent, Tapate a eu une idée : peut-être qu'en se déguisant en petite pomme qui pique, ce serait plus facile? Une pomme bleue, ça les intriguera, si elles sont curieuses, elles ne fuiront pas. Reste à trouver des piquants, mais ça, c'est facile : il suffit de sortir par la porte principale de MZ, de remonter en suivant les traces de pas, de continuer en tournant à gauche et Paf ! Cactus ! Aussitôt pensé, aussitôt fait, les bêtises sont un plat qui se mange cru, si on a le temps de réfléchir, ça perd de son piquant. Et comme Tapate a précisément besoin de piquants...

Localisation des traces de pas... Fait.

Mettre les pattes précisément là où l'inconnu qui fait ce trajet après chaque coup de vent sans que personne ne l'ait jamais vu met les siennes... Fait.

Négociation du contour vers la patte qui est du côté qui tourne... Fait.

Cactus... Cactus... Cactus... Cactus ?

La lumière est éteinte, pas de piquants, pas de cactus, il y a un couloir, de la lumière au bout... Apparemment, c'est raté pour le déguisement de pomme qui pique... Aucune porte, rien, des murs partout sauf droit devant... Donc on continue tout droit. Dans un couloir, le plus rigolo c'est de courir en criant très fort, parce qu'il y a de l'écho.

Courir dans le couloir en hurlant... Fait.

Arriver dans une salle bizarre avec des lumières de toutes les couleurs... Fait.

Continuer à courir jusqu'à renverser le Monsieur bizarre qui est debout au milieu de la pièce... Fait.

Vérifier que le Monsieur n'a pas de séquelles visibles et faire comme si rien ne s'était passé... Fait.

- Mup ?

- Bonjour, Tapate. J'ai décidé d'accéder à ta demande. Cent fois, tu as frappé à la porte de ma demeure. Cent fois, tu t'es cognée au cactus et a dû soigner tes plaies. Ta persévérance est maintenant récompensée. C'est aujourd'hui la cent-unième fois que tu frappes à ma porte, et j'ai décidé d'accepter de te parler.

- Sans foie ? Donc interdiction de manger des sucreries ?

- Tu aimes soigner, c'est bien cela ?

- Oui ! Et baver aussi ! Et jouer dans l'eau.

- On va dire que l'aspect soigneur m'intéresse plus. Je me nomme George, et suis une divinité secondaire de la terre des éléments. Ma puissance n'égale en rien celle des dieux élémentaires, bien entendu, mais j'ai eu autrefois un certain nombre d'adeptes. De nos jours, je suis presque tombé dans l'oubli. Tu es la seule à avoir tenté d'accéder à mon temple depuis de longues années.

- Les piquants du cactus, c'est rigolo, z'aime bien jouer à suivre les pas du Monsieur qu'on voit pas...

- Mon temple s'ouvre à ceux qui choisissent de placer la vie de leurs alliés au-dessus de la leur. A ceux qui préfèrent mourir plutôt que de tuer. A ceux qui se vouent au soin et à la défense. Autrefois, on les nommait les soutiens.

En ces temps reculés, mes adeptes, les soutiens de George, étaient des compagnons très appréciés. Sans distinction de karma, de faction, de classe ou d'élément, ils se retrouvaient dans mon temple pour parfaire leurs soins. Ils étaient forts et résistants, mais employaient cette force pour soigner et augmenter les capacités défensives de leurs alliés. Tuer un soutien était chose peu aisée, car leurs capacités défensives étaient bien supérieures à la moyenne. Ils étaient de piètres combattants, mais des alliés très appréciés de tous les plus grands héros qu'ont connus ces terres. L'histoire, bien souvent, n'a retenu que le nom de leurs puissants compagnons, mais sans les soutiens qui les accompagnaient, ces héros n'auraient pas accompli la moitié des hauts faits qu'on leur connaît.

Ignorés par leur ennemis, reconnus à leur juste valeur uniquement par une poignée de compagnons, les soutiens avaient une foi inébranlable en leur mission. Par leurs soins, ils atténuaient les souffrances. Par leurs sorts, ils aidaient leurs compagnons à faire triompher la cause qu'ils tenaient pour juste. Leur quête allait bien au-delà d'eux-mêmes, ils voulaient faire progresser leurs compagnons avant tout. Ils ne s'entraînaient que dans le but de pouvoir aider au mieux ceux qu'ils avaient choisi de protéger de leur vie.

Tels étaient les soutiens. Mais au cours des siècles, les guerres élémentaires, l'individualisme et la quête de puissance ont eu raison d'eux. Ils n'ont jamais été nombreux, mais aujourd'hui cette voie semble être tombée dans l'oubli. Chaque aventurier cherche à porter la couronne de laurier, sans voir qu'il pourrait aussi être celui qui la tresse pour ses valeureux compagnons.

Cependant ta présence me donne de l'espoir. Peut-être que le jour approche où les soutiens renaîtront. Je ne suis qu'une divinité de faible importance, je ne demande aucune exclusivité. Personne n'a besoin d'abjurer sa foi pour devenir l'un de mes adeptes. Il s'agit simplement d'un état d'esprit. Renoncer à sa propre gloire pour oeuvrer à celle de ses compagnons. Soigner, défendre, aider ceux qui combattent. ître suffisamment résistant pour survivre aux coups sans aide extérieure.

Inébranlable, sûr de lui et toujours prêt à aider, telle est la devise du soutien de George.

Transmets mes paroles aux habitants de ce monde, Tapate, si tu m'as trouvé, d'autres le peuvent aussi. Indique-leur la route, si leurs intentions sont pures, ils arriveront jusqu'à moi.

- Mup...

Tout d'un coup, la scène s'estompe... Plus de petites lumières, plus de Monsieur et un lapin-limace accroché à un cactus. On dirait que l'heure de se déguiser est quand même arrivée. Mais avant ça, il faut respecter la promesse faite au Monsieur. Armée de la jolie plume dorée qu'elle a trouvée la semaine passée, Tapate écrit soigneusement sur un beau cuir de veau tout neuf et bien lisse :

George cherche des soutiens

Si vous aimez soigner et aider vos compagnons, mais n'aimez pas taper ceux qui pour vous sont des méchants, George a besoin de vous ! Pour le rencontrer, frappez à la porte du cactus qui est au bout des traces de pas du Monsieur qu'on ne voit jamais, juste au-dessous des ruines de Til'Lunis. S'il est d'accord que vous deveniez un soutien, George vous ouvrira.

Tous karmas, classes, éléments et factions acceptés, il s'agit d'un emploi non-rémunéré.

Une fois le message rédigé, elle en fait plusieurs copies et va les accrocher à l'entrée de chaque auberge. Il avait l'air gentil, ce Monsieur-là. Elle retournerait le voir, puisqu'il a dit qu'il était tout seul depuis longtemps. Elle lui amènerait de la soupe de carottes-salades, il ne connaissait probablement pas ça, si ça faisait des années que personne ne lui rendait visite.