Et la Lumière fut

[Suyvel]

Quelque part dans les jardins de l’Académie.

Le son de vastes ailes aux longues plumes se fit entendre alors qu’approchait l’Archange de Lumière. Sikiah considéra en silence la menue silhouette de l’intruse qui se dressait – à nouveau – sur son chemin. Puis sa voix surnaturelle retentit alentour.

« Ainsi, te revoilà.

- Oui.

- Je n’ai pas changé d’avis. Ma réponse est toujours non.

- J’insiste.

- Cela ne te mènera nulle part. Ma réponse sera toujours la même.

- Si je renonçais, accèderais-tu à ma requête ?

- Cela n’aurait aucun sens.

- C’est bien ce qu’il me semblait aussi.

- Alors tu comptes encore m’affronter ? »

L’arrivante rejeta sa capuche en arrière, dévoilant ses traits elfiques et sa chevelure blanche.

« S’il le faut.

- Ainsi soit-il ! »

Et pour la énième fois, le combat fit rage dans ce cadre d’ordinaire si paisible.

Suyvel ne tirait aucun plaisir à cela. Elle avait tenté d’approcher Sikiah le plus pacifiquement du monde, pour s’entretenir avec celui qui fut l’un des plus puissants maîtres de magie blanche de l’Académie. Grand spécialiste de la magie des mots, le Sage avait créé et consigné nombre de fabuleux sortilèges. Et c’était ce savoir qui avait amené la magicienne en ces lieux, pour demander à Sikiah de lui prodiguer son enseignement.

Malheureusement, l’Archange de la Lumière était un ennemi déclaré du Mal. Et Suyvel, en tant que drow, n’était à ses yeux qu’une représentante de la race la plus maléfique qui soit. Il avait donc sèchement rejeté sa demande, sans laisser à l’elfe noire la moindre chance de lui démontrer qu’elle avait rejeté les enseignements de Lloth et l’héritage de son peuple. Et comme Suyvel insistait, il l’avait attaquée, décidé manifestement à détruire ce qu’il voyait comme une incarnation du Mal.

Or combattre Sikiah n’avait rien d’une partie de plaisir, car c’était un combattant très complet. Epéiste redoutable, archer remarquable, mage formidable, rien ne manquait à sa panoplie. Il était le plus puissant des Sept Légendaires, le plus endurant aussi. Et le pire résidait dans les sortilèges de protection qu’il tissait autour de sa personne. Cette armure de lumière transformait les coups reçus en piqures de moustique. Tant et si bien que Sikiah paraissait presque invulnérable, et que tout combat contre lui virait invariablement au marathon d’endurance.

Particulièrement les premiers temps, où Suyvel avait tenté de le combattre à distance. Cela lui avait permis de se mettre hors d’atteinte de son épée et de limiter les dégâts reçus, mais ses propres sorts en étaient moins efficaces, ce qui rallongeait encore le combat. Elle avait alors sollicité le soutien d’autres aventuriers, notamment pour la soutenir avec des sortilèges de soins. Enfin, avec le temps et l’expérience, elle avait suffisamment cerné les techniques de combat de Sikiah pour le défier seule et au contact.

La magicienne avait donc au fil du temps cumulé un certain nombre de victoires sur l’Archange, mais celui-ci s’était entêté dans son refus.

Complètement buté. Quelle tête de mule !

Suyvel parlait d’ailleurs en connaissance de cause, n’étant pas du genre à lâcher prise quand elle avait une idée en tête. Elle donnait la pleine mesure de sa puissance face à Sikiah, espérant que sa détermination ferait fléchir cet irréductible adversaire. A chaque fois, elle escomptait que l’Archange finirait par se raisonner, qu’il verrait que la magie blanche de l’Aéride ne portait nulle corruption en elle, qu’il mettrait fin au combat avant son issue fatale... en pure perte.

Et, cette fois-ci comme les précédentes, Sikiah succomba à ses assauts sans avoir faibli un instant.

Epuisée, démoralisée, Suyvel se laissa choir dans l’herbe verte et lâcha un profond soupir, les yeux au ciel.

Cela ne sert à rien. La violence ne sera jamais la solution. Mais comment le convaincre de ma bonne foi ? Comment ?!?

Alors qu’elle se relevait, un éclat de lumière attira son attention. Il était là, comme abandonné sur les pelouses de l’Académie. Un tome de pouvoir, rédigé par le Sage lui-même. Suyvel cligna des yeux d’un air incrédule. Sikiah l’avait-il perdu dans la lutte ?

A moins que... il n’ait enfin accédé à ma requête ?

Leurs combats avaient-ils permis à l’Archange de voir au plus profond du cœur de l’elfe noire ? Avait-il reconnu la pureté de ses intentions ? L’avait-il accepté comme disciple ? Lui faisait-il don de cet ouvrage ?

Seul le silence répondit aux interrogations de l’elfe noire.

Revenue de sa surprise, Suyvel s’empara avec précaution – et un infini respect – de l’antique grimoire. Alors qu’elle en parcourait les premières pages, elle réalisa où elle se trouvait : n’importe qui pouvait passer par ici. Et le savoir du Sage ne devait pas tomber entre de mauvaises mains, telle était sa volonté, son inflexible volonté. Alors elle prit le chemin de Melrath Zorac, puis des Cimes, jusqu’à arriver au village du Souffle d’Eolia. Là, elle s’enferma dans sa chaumière afin de prendre connaissance du contenu de l’ouvrage au calme.

Modifié (le) 16 mai 2015 par Suyvel

[Suyvel]

Des jours plus tard.

Chez Suyvel, l’enthousiasme des débuts avait fait place à une inquiétude palpable, et un grand tourment intérieur.

L’héritage de Sikiah était tout bonnement incroyable. Le Sage avait repoussé très loin les limites de la magie blanche à travers sa maîtrise de la Lumière. Quiconque en assimilerait les principes se verrait doter d’une puissance prodigieuse. Et c’était là que le bât blessait.

Les sortilèges inscrits dans le grimoire de Sikiah représentaient la magie blanche dans sa forme la plus pure, son essence primordiale. Une magie qui provenait peut-être à l’origine de l’Unique lui-même. Une magie capable d’altérer la trame de ce monde, si l’on n’y prenait garde. Une telle magie avait-elle encore sa place dans le monde actuel ? N’était-elle pas trop dangereuse ?

Il serait plus sage de la celer loin de tous, pour le bien commun.

Et donc : de détruire cet ouvrage.

Cela éviterait de possibles catastrophes. D’un autre côté, si Suyvel utilisait le grimoire et le savoir dont il était dépositaire, que ne pourrait-elle accomplir ?

Longtemps, elle resta recluse, ne pouvant décider, tiraillée, écartelée qu’elle était, entre ces deux possibilités, cet insoluble dilemme. Elle se réfugia dans l’étude des présages et refusa de voir qui que ce soit.

Une semaine plus tard, Suyvel finit par sortir de sa retraite, pour se rendre au centre du village, au quartier général. Là, elle alla trouver le grand ouvrage qui contenait le récit de l’histoire du Souffle d’Eolia. En tant qu’actuelle générale, il lui revenait d’en perpétuer la rédaction. D’une plume d’abord hésitante, elle relata les faits en ces termes :

En l'année 108 de notre ère, voici le récit de Suyvel Ayflesh, générale du Souffle d’Eolia, qui découvrit le tome de pouvoir.

Il est venu à moi, le grimoire antique de Sikiah. Ce sera l'héritage de ma faction et tous mes successeurs seront liés à son destin ; alors je ne me risquerai pas à faire du mal au grimoire. Il m'est très précieux, bien que je l’aie acquis avec souffrance. Les inscriptions sur ses pages commencent à s'effacer, l'écriture qui au début était aussi lumineuse qu'une flamme dorée a presque disparu. C'est un secret qu'aujourd'hui seule la pleine lumière des quatre soleils peut révéler.

Cela fait, la magicienne rangea précieusement son propre grimoire avant d’exhumer du coffre le tome de lumière. Le brandissant au-dessus de sa tête, elle adressa une muette prière à sa protectrice.

Ô Grande Eolia, puisses-tu nous garder des embûches sur notre route.

Elle allait partir quand, se ravisant, elle ajouta en esprit :

Ô Unique, Père de tous les Dieux... puisses-tu tracer devant nos yeux le chemin de la lumière.

Puis elle posa la main sur la couverture craquelée de l’antique grimoire.

Sage Sikiah... puissions-nous nous montrer toujours digne de ton héritage.

Et tout fut dit.