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Terre des Éléments

L'ombre du Croloup (version intégrale, hors-concours)


Yuwena
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HRP : Voici le texte complet de ce que j'ai écrit pour le concours lancé par Guix, mais qui malheureusement ne rempli pas les critères d'admission. Je posterai une version tronquée dans le sujet du concours, mais je préfère celle-ci qui transcende la coulisse du RP, qui n'est pas tronquée de son message explicite et où la conteuse laisse paraître pour ceux qui me connaissent bien (c'est pour ça que je vous le donne) que je n'aime pas tellement le heroic fantasy, mais comme entraînement je me suis bien amusée.

 

L'Ombre du Croloup

 

ou la Légende de la mort de Rayna, telle que racontée dans un futur lointain par la vieille conteuse qu'on nomme la Fille du Faucon.

 

Avez-vous jamais entendu l'histoire de Rayna, née du même ventre que Kletor ? Oh je sais bien que vous connaissez le nom de la Chasseuse Chaste, mais l'histoire du jour, où elle vola l'épée de son frère pour s'en aller dire ses quatre vérités au Croloup ? La connaissez-vous ?

 

Hé bien restez si le cœur vous en dit, qu'il soit établi cependant : ce que j'ai a dire n'est pas dans l'air de ce temps belliqueux. Autrefois, on m'écoutait, mais à ce jour mes propos font offense. Je ne veux pas me taire pour autant ! C'est après avoir tourné sept et sept fois ma langue que j'ose reprendre la parole, pour prêcher la paix. Si rien de ce que j'ai dit avant n'a pu vous prouver que les peuples du littoral, de la verte plaine, du volcan et des montagnes ne sont pas si différents, alors peut-être vous laisserez-vous convaincre par une histoire... par quatre histoires guerrières. Mais ne révélons pas déjà un mystère qu'une haute haie de haine vous empêche encore d'apercevoir.

 

Les lunes venaient de s'asseoir sur leurs trônes célestes, les étoiles sentinelles de la famille royale s'allumaient une à une en prenant leur tour de garde. Les astres veillaient aussi sur les Terriens assoupis et s'ils n'ont pas empêché ce qui va suivre, c'est qu'ils sentaient la pureté des intentions de Rayna. La Chasseuse Chaste, comme on la nommait alors de la forêt Irliscia aux grandes montagnes septentrionales, s'était dans un secret criminel emparée de l'arme de son frère, Kletor le Brave. Je vois dans vos yeux une lueur de curiosité. L'épée de Kletor ? Ma foi ! Une arme formidable, c'est mon avis que le métal de la lame refroidit en un acier plus dur que tout ce que l'on trouve ici. Rayna donc déroba cette fine lame de la chambre de son frère et se voyait déjà la retourner plus rouge qu'argentée ! L'odeur cinabre d'un exploit sanglant l'appelait.

 

Rayna connaissait cette ivresse qui confond tous les sens en une seule essence vitale. C'était l'ivresse qui menait à la victoire ! Voici pour vos oreilles, non encore initiées, ce que la Chasseuse Chaste prévoyait. Kletor le brave était un poltron qui usurpait, ou plus souvent encore achetait, la bravoure d'aventuriers sans nom ni renom. Dernièrement, la chance ne lui avait pas souri et l'éclat de son aloi ternissait. Pour polir la réputation grisonnante de son grand frère, Rayna voulait décapiter un monstre. Pas n'importe lequel ! Une bête dont le meurtre vaudrait d'être appelé prouesse. Le sursis ainsi gagné sur l'opprobre et l'oubli serait investi à surmonter la lâcheté de Kletor. En effet, il n'était ni malveillant, ni maladroit, ni malavisé, il avait seulement la frousse. Rayna, l'arme au fourreau de sa ceinture, courait à travers la campagne. Dans son esprit sans cesse résonnait ce même dicton :

 

"ž Cinq coups Croloup combattra, cinquante coups Croloup chutera, cent coups Croloup crépira ! "

 

Voilà le diable qu'elle voulait terrasser. Ses yeux sans vie résidaient sur les versants ombragés d'Aéris. Il ne quittait cet abri qu'au crépuscule, quand la faim le poussait à la chasse sur l'adret habité par les humains. í€ l'heure du loup, il terrorisait les proches villageois. Cet être hirsute né, on ne savait comment, de l'union d'un homme, d'une louve et d'une amulette de céramique, serait bientôt envoyé au bestiaire des légendes du passé.

 

Si les étoiles n'intervinrent pas -- pour garder la voleuse et non pas le frère cette fois -- c'est qu'elles étaient occupées à leurs propres affaires. On assistait, ce soir-là, à l'intronisation de la nouvelle étoile polaire. Pestironal le Nord exact à la Création s'était écarté de plusieurs degrés depuis ce temps, Lorbéa sa voisine lui disputait cette place. Un nouveau cycle astronomique commencerait avec son avènement sur le siège boréal céleste. Rayna restait ignorante du spectacle au-dessus de sa tête, puisque les humains n'ont pas le compas dans l'œil. Elle voyageait avec diligence et quelques aides magiques ; et déjà elle foulait de son pas les pâturages aérides. Il était maintenant minuit et on n'y voyait pas à deux carreaux.

 

La Conteuse laissait méditer son audience sur cette expression que tous employaient sans en connaître l'origine. Le premier chapitre avait pris fin et elle s'accorda une gorgée d'eau de cactus pour sa vieille voix. Au début, oh il y avait bien 10 ans de cela, elle avait eu honte d'interrompre ses histoires, entre-temps c'était devenu une figure de style, bien qu'imposée par l'âge.

 

"ž Dzoing ! " Un éclair se précipita à une main seulement derrière elle, vive comme un faucon la chasseuse se retourna. Un froufrou de plume emportait dans ses serres un rat sauvage. Remise de sa première frayeur, Rayna remarqua clairement dans la noirté, la blancheur d'un harfang des neiges. Malgré le parfum des violes nocturnes et la relative douceur de l'air, au cœur de la nuit, Aéris était le grand Nord de par sa latitude. Pourtant un harfang n'aurait pas dû quitter les glaciers éternels. C'était un augure !

 

Rayna était fière, c'était même cette tête haute qui justifiait son entreprise. Jamais la Chasseuse Chaste ne se serait-elle prise pour un sujet si abject qu'un rat. Sans doute, elle était ce hibou et son pleutre frère, la proie qu'elle élèverait au sommet de la gloire. Le vent soufflait de l'Est, elle remarqua le changement de girouette et le crut profitable pour son approche du loup au flair si fin. Fatale ignorance du langage des airs ! Vent du Sud ce sera rude, Vent du Nord apporte réconfort, Vent de l'Ouest victoire sans conteste, mais Vent de l'Est, c'est la peste !

 

Dans l'obscurité Rayna avançait prudemment, dans les plaines d'Aeris un faux-pas conduit à plusieurs centaines de mètres plus bas. Le bruit des moustiques lui indiquait la terre ferme. En l'absence du soleil, ils n'avaient pas la force de voler et zonzonnaient sur les flaques stagnantes qui criblaient la plaine du midi. Elle resta heureusement, mais les souliers trempés, sur la route étroite. Un poteau surgit soudain dans le noir. C'était le dernier pont avant de pénétrer le territoire du Croloup, le grand pont qui permettait de franchir la Crevasse. Rayna s'arrêta et, face au passage de cordes et rondins, s'agenouilla. Elle planta la pointe de l'épée dans l'humus, pour entrer en contact avec le sol qu'elle révérait. Une main de chaque côté de la poignée, le front appuyé sur le pommeau, Rayna priait.

 

"ž Eolia qu'on vénère ici et au-delà ! Libère les liens laçant mes mains, lourdes par l'humidité de la nuit. Loue-moi l'ardeur, je ne serai longue à te la rendre !"

 

Eolia entendit la prière, sans écouter la pucelle qu'elle avait crue si pure. La déesse était insultée qu'on puisse à ce point méprendre son avertissement. Rayna n'en savait rien et confiante elle traversa. Sa prière avait duré quelque peu et la clarté regagnait le monde, elle vit la silhouette d'une fontaine, de là venait l'enivrante torpeur du parfum de maintes fleurs. Il fallait avancer, sinon elle succomberait aux voix de ces sirènes qui voulaient l'empêcher d'accomplir son action. Hélas, jamais la clémente Eolia ne prévient une troisième fois.

 

Dans la plaine nuageuse, Rayna s'écarta du chemin tondu qui menait aux champs des paysans. Dans l'herbe haute, son seul point de repère était le tumulus de Killien, elle devait marcher vers lui et à cinq pas de sa paroi virer vers la droite. La broussaille se densifiait en signe qu'elle approchait de la zone mortelle. Quelques branleils luisaient comme des lucioles, pour attirer leur amour. Rayna sut tout de suite qu'elle avait pénétre sur le territoire du Croloup. Les branleils avaient disparu et des flaques de bave séchée empestaient l'air. Elles puaient encore plusieurs jours après avoir dégouliné des babines cramoisies de l'Immonde. Elle longea le tumulus dans cette puanteur de charogne et vinaigre. Puis elle passa les gardes du repère lupin, un lion couvert de mousse et un dragon auquel le temps avait volé une aile. Tous deux gisaient au côté d'un pilier de granit effondré. La civilisation s'était retirée du lieu longtemps, longtemps en arrière.

 

Elle avait passé le col et marchait sur le versant nord. Le Croloup qui craignait la luminosité plus que tout, était accroupi, non loin, au fond d'un couloir formé par la falaise et le dos du tumulus. Il entendit le pas déterminé, le vent ne lui avait pas soufflé d'avertissement, quel animal osait s'approcher ? Vingt-cinq saisons s'étaient écoulées depuis qu'une vie, au lieu de s'éloigner, avait daigné venir vers lui. Quoi que ce fut, cela cherchait sa proximité. Le Croloup se redressa, pour peu que l'on puisse appeler sa posture droite. Ses bras surdimensionnés ballaient le long de son corps tordu. Le bipède bossu faisait le double de hauteur de celle qui venait le défier.

 

Ce fut un de ces instants, où le temps ralentit, pour contempler son chef-d-œuvre. La Terre s'incline ou l'étoile elle-même s'élève : Lorbéa brille désormais en face du Sud. Rayna voit l'ombre du Croloup se dessiner pouce par pouce, s'allonger lentement éclairée par la lumière de cette nouvelle princesse. Les photons reprirent leur course rapide. Rayna engagea l'échauffourée avec cinq coups dont aucun ne se perdit, tant elle frappait vite. Les doigts-griffes effilés de la créature manquaient leur cible. Le Croloup n'avait pas la célérité de sa réputation, Rayna qui n'aimait pas voler les victoires était déçue. Cinquante ! Le géant tombe sur le dos. L'important pourtant c'est l'idée que les autres se feront de la difficulté du combat. Le Croloup roule au sol, pour éviter les coups dans sa peau de cuir grise, déjà couverte de cicatrices. Seules ses jambes sont poilues, un détail que Rayna évoquera en présentant le trophée.

 

"ž Cent ! " triompha l'aventurière, l'épée dirigée comme un pieu vers le monstre pour l'achever. Prête à trancher sa tête ! Sauf que Croloup ne crevait pas : il était malin ! Sans aucun mal il saisit la lame de ses mains hideuses qu'elle entailla de son double tranchant. D'un élan de titan, il bondit sur ses pattes et secoua violemment l'épée. La surprise était totale ! Rayna à l'autre bout lâcha prise et fut projetée contre la falaise. L'insensible créature, d'une force plus qu'humaine, retira ses mains de la lame profondément enfoncée dans sa chair grisâtre. Il les plaça toutes deux derrière la garde et se rua pointe en avant sur sa victime. L'épée disparut dans son torse, assurant sa mort. Le Croloup ne dévora pas le cadavre, il s'était gavé le jour même de trois malheureux gamins. Il mit la main sanglante sur la poitrine :

 

"ž Croloup cinq-cent coups comptera, cependant ce cœur cessera ! "

 

Le pieds sur le bas-ventre de la vierge saignée, il tira l'épée de Kletor le brave. Fier et féroce, il hurla le museau tourné vers le Nord, un rayon de Lorbéa l'étoile rouge toucha son pendentif. C'était pour recharger le mana, en vertu d'un pacte que seuls ces deux connaissent. Puis le Croloup retourna à son occupation favorite : dormir le ventre repu jusqu'à la tombée de la nuit. Dans ses longues oreilles, le vent de l'ouest amplifiait le chant de l'alouette. Un courant d'air aspira l'âme de Rayna et l'emporta de ses ailes de héron au panthéon de nos héros.

 

Cette histoire vous a touchés parce que vous connaissez de votre propre expérience les lieux de l'action. Mais i l est dans les quatre contrées des terres élémentaires, cet animal ennemi de tous les humains. Et son nom est partout : Croloup. "ž Mais-mais ! " vous entends-je déjà protester. Mais quoi ?

Je sais bien qu'ici en Aéris, où les consonnes s'estompent au profit des volatiles voyelles, on y voit la déformation de "ž crade loup ", c'est notre sensibilité d'Aérides, d'être surtout importunés par l'infecte haleine de la bête.

En Aqua, au contraire, les voyelles sont avalées et l'étymologie y est "ž carreau-loup ". C'est parce que les Aquatiques considèrent la matière de l'univers transparente, qu'ils reconnaissent l'influence de l'amulette de céramique.

Les Ignides si friands de contes d'horreur s'attardent sur les armes que lui donne son corps, il le nomme "ž crocs-loup ", le terrible mordeur. Finalement, pour les gens de Terra, si observateurs des apparences de la nature, son nom est la corruption de "ž gros-loup ".

 

Est-ce vraiment une différence ? Les uns accordent plus d'importance à telle ou telle caractéristique, mais dans le fond c'est le même ennemi commun, vu d'angles différents. Croyez-moi ou non, mais en ce moment même, mot pour mot mon histoire est contée sur une plage méridionale et d'une voix enflammée un peu à l'Est d'ici, aussi dans une caverne à l'Ouest. Seul un détail est changé : chacun croit que Rayna est morte dans sa contrée.

 

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