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Terre des Éléments

La vagabonde des marais.


Minucia
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Douze. Treize. Quatorze […] Vingt-deux. Vingt-trois. Vingt-quatre […] TRENTE !

 

Elle comptait chaque fois les barreaux, au cas où l'un d'entre eux aurait pris la poudre d'escampette pendant la nuit. Précaution toutefois complètement inutile puisque s'il avait manqué un barreau elle n'aurait pas pu monter.

 

En haut de l'échelle, elle s'affala sur le tapis comme à son habitude, le souffle court. Tapis confortable s'il en est ! Feuilles mortes et aiguilles de pin, assemblées avec soin pour créer une paillasse qui couvrait toute la surface du petit grenier, et qu'il fallait remplacer régulièrement, au gré du vent qui venait par la fenêtre en emporter quelques bribes à chaque rafale.

 

Une fois remise de son effort physique intense, elle se redressa sur les coudes et étudia son environnement. La petite pièce circulaire avait le diamètre d'une grosse roue de charrette, et la hauteur d'un passage de porte... Un véritable palais !

 

Les pierres de taille étaient agencées avec une telle précision que même le mortier qui s'effritait comme de la farine ne parvenait pas à créer de courant d'air… bon des courants d'air il y en avait ! Une petite fenêtre circulaire était ouverte sur la vallée, et en bas du bâtiment, la porte béait grande ouverte, arrachée de ses gonds plusieurs hivers auparavant.

 

Un tonneau, une minuscule table et sa chaise, un sac de jute rempli de feuilles mortes, voilà qui meublait l'espace.

 

Se penchant par la fenêtre, Minucia saisit la cordelette qui y pendait, et commença à tirer dessus de toute la force de ses petits bras. Cette fois elle montait une nouvelle tunique, un livre, et, comme à chaque fois, une outre d'eau et une demi-pomme.

 

Le seau se balançait dans le vide à mesure qu'elle tirait sur la cordelette. Un ingénieux système de poulies lui permettait de tirer cette charge énorme. Absorbée par l'effort, elle laissa son regard vagabonder sur le paysage. La colline s'inclinait légèrement vers la vallée, et dans un creux du terrain, des fumées s'élevaient, là où se trouvait le village le plus proche.

 

Du haut de son moulin elle pouvait voir jusqu'à l'autre versant, plus abrupt, de la vallée. Elle dominait le ruisseau qui abreuvait le village, et se plaisait parfois à y jeter ses restes de repas pour qu'ils atterrissent dans les puits qui ponctuaient les ruelles.

 

Elle eut un reniflement de dédain en direction des fumées et se concentra plus précisément sur sa tâche, le seau étant sur le point d'atteindre la fenêtre. Elle n'avait que deux seaux et une seule corde, alors elle en prenait le plus grand soin. Après avoir attiré le seau à elle, elle le porta avec précaution jusqu'au centre de la pièce et revint à la fenêtre pour enrouler la corde et la suspendre hors de portée des intempéries.

 

Fourbue de tous ces efforts, elle étira son petit corps, puis se tourna vers son miroir, un morceau de verre récupéré au village et peint avec du broux de noix au dos. Elle admira son reflet une bonne minute. Oui, décidément, elle se plaisait beaucoup !

 

Il faut dire que son père lui avait toujours dit qu'elle était la plus belle de toutes les petites filles ! Même lorsqu'elle était devenue une femme au regard de la Lune, il l'avait toujours chouchoutée comme une enfant. … Il faut reconnaître qu'elle n'avait pas beaucoup grandit !

 

Penser à son père lui piqua un peu les yeux, mais elle chassa ces souvenirs d'un mouvement de cheveux. Demain elle devait descendre au village et elle voulait être en pleine possession de ses moyens.

 

Se tournant vers le seau, elle entreprit d'en ranger le contenu. Ma nouvelle tunique, qu'elle porterait le lendemain, fut suspendue à un clou au mur. La demi pomme et l'outre allèrent attendre sur la table, tandis que le livre était expédié sur le sac de feuilles.

 

Farfouillant dans le tonneau, elle en sortit sa chemise de nuit, sa couverture et son éponge. Elle se dévêtit rapidement et, prélevant un peu d'eau à, l'outre, elle fit une toilette sommaire avec son éponge. Frissonnant dans l'air frais, elle enfila sa chemise de nuit, rangea ses vêtements de jour et son éponge dans le tonneau qu'elle referma soigneusement et s'attabla.

 

Grignotant sa pomme, elle en expédia le trognon par la fenêtre, en direction du ruisseau, but une longue rasade d'eau, puis alla s'asseoir sur ton matelas de jute et de feuilles mortes, emmitouflée dans sa couverture. Elle prit le livre sur ses genoux, prit une grande inspiration, et l'ouvrit au hasard.

 

Pain aux raisins.

 

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Elle s'éveilla à l'aube, la lumière du jour réchauffant sa couche. Elle s'étira longuement en laissant s'étirer les dernières brumes du sommeil. Au-dehors, les collines brillaient comme des pains bien dorés dans un écrin de forêts.

 

Se levant d'une pirouette, elle saisit sa tunique neuve, une ceinture d'herbes tressées, alla repêcher son éponge dans le tonneau et fit un pas vers l'échelle. Elle stoppa net quand elle aperçu le livre tombé au sol. Elle avait dû s'endormir en lisant, comme d'habitude.

 

Elle le ramassa, l'époussetta, et le rangea avec soin au fond de son tonneau, avec ses autres trésors.

 

Se secouant pour retrouver son énergie matinale, elle se dirigea de nouveau vers l'échelle qu'elle saisit d'une main, et descendit en glissant, un pied calé de chaque côté. Elle atterrit sur le tas de foin disposé sur le sol du moulin et se laissa tomber sur les fesses lorsqu'elle réalisa qu'elle avait oublié de ranger sa couverture.

 

Pestant contre elle-même, elle pesa longuement le pour et le contre, puis décida finalement que la montée étant beaucoup plus laborieuse que la descente, le jeu n'en valait pas la chandelle. Elle rangerait sa couette en rentrant... ou la réutiliserait directement selon l'heure de son retour.

 

Reprenant ses esprits, elle se mit en route pour le ruisseau. Là, un coup d'œil alentour lui apprit qu'il n'y avait personne à proximité (comme d'habitude) elle laissa tomber sa chemise de nuit au sol et se glissa dans l'eau fraîche.

 

..........

 

Enveloppant sa peau nue, l'eau lui fit comme un vêtement de légèreté. Elle ferma les yeux pour mieux ressentir chaque micro courant qui frôlait sa peau, le limon enveloppant ses orteils comme des chausses sur mesure.

 

Elle resta ainsi, le corps immergé jusqu'aux épaules, les paupières closes, ne faisant qu'un avec l'élément naturel l'entourant. Sans prendre la peine de retenir sa respiration, elle modifia ses appuis et se retrouva toute entière sous l'eau.

 

Elle écouta le chant de l'onde, respira son parfum, s'enivra de sa pureté.

 

Les petits poissons la croisèrent et la reconnurent comme des leurs. Son âme au diapason de l'eau, elle laissa ses sens s'en emplir, jusqu'à ce qu'ils se troublent et qu'elle se sente basculer...

 

Elle émergea en sursaut et se hâta de regagner la rive.

 

Déjà une fois elle s'était abandonnée à l'eau...

 

..........

 

Et elle avait disparu.

 

Son père avait veillé jours et nuits au bord de l'eau, espérant qu'elle refasse surface. Désœuvré, il avait vécu en se nourrissant des quelques vivres que les villageois lui déposaient et buvant l'eau du ruisseau. Ne pouvant se résoudre à l'impensable.

 

Il s'était laissé dépérir ainsi, au début soutenu par les villageois, puis imploré,... puis délaissé. Ils l'avaient blâmé d'avoir abandonné son commerce pour tenter de sauver sa fille. Son seul enfant. Même son frère, agacé de ce qu'il ne considérait pas comme une perte importante, s'était détourné de lui.

 

De rage, la jeune femme flanqua un coup de pied dans une pierre avant de hurler face aux montagnes. De désespoir, elle resta un long moment à lancer des invectives en direction des arbres et des nuages. Elle cracha rancœur et souffrance au nez des éléments et les tint pour responsables de tous ses malheurs.

 

Lorsque sa verve se tarit, elle était toujours nue, pantelante, au bord du ruisseau, qui était resté insensible à ses maux et mots. Les joues ruisselantes d'eau et de larmes mêlées, elle resta hébétée un instant. Il fallait que ça arrive aujourd'hui. Le jour où elle devait se rendre au village.

 

Heureusement qu'elle avait appris à sentir le point de basculement, au delà duquel elle ferait partie de l'eau… et serait perdue sans le rituel de la rivière. Car ce ne sont pas les villageois qui viendraient la secourir !

 

La jeune femme prit une grande inspiration, d'air cette fois, et se composa un air décidé. Qu'importe ce qu'ils pensaient d'elle ! Elle ne leur donnerait pas plus d'importance que ce qu'ils lui en donnaient à elle... ou ce qu'ils lui avaient donné à lui. Elle s'ébroua pour chasser quelques gouttes d'eau de ses cheveux, sa peau ayant déjà séché au soleil. Elle enfila sa nouvelle tunique d'un geste décidé. Ses compétences de couturière laissaient encore à désirer, mais elle avait su faire quelque chose de correct avec cet ancien tablier de boulanger. 

 

Elle ceignit sa taille avec la ceinture tressée et passa les doigts dans ses longs cheveux pour les démêler un peu. S'approchant de l'eau d'un pas vif, elle étudia son reflet d'un œil critique et se lissa les sourcils, avant de tirer la langue à son image brouillée par les flots, et de tourner les talons.

 

Elle fit un arrêt au moulin pour y déposer sa chemise de nuit et attrapa sa petite sacoche en cuir. Elle transportait dedans une petite outre d'eau, une trousse d'herbe pharmaceutiques, et un compas. "Chacun sait d'où il part, mais nul ne sait quand il revient." Telle était la devise de son père et elle l'avait guidée toute sa vie.

 

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