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Terre des Éléments

L'Ombre du Phénix


Sha
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Shariel

La Vallée de Nirma

 

Il y a longtemps...

 

Le vent souffle sur les terres jadis paisibles de la Vallée de Nirma.

 

Il n’en reste désormais plus rien qu’un immense brasier qui brûle sans cesse et ce depuis les premières lueurs du crépuscule. Au loin, le soleil se lève et de sa robe carmine il illumine le champ de bataille qui n’a vu qu’un massacre cette nuit – rien de plus. Au vue de la faible résistance, nul homme ne pourrait appeler cela une bataille.

 

Sur le sol, les cadavres forment des piles grossières, comme s’ils avaient été jetés les uns après les autres sur le côté. On ne les a presque pas regardés. Aussitôt pris, aussitôt tué, d’un joli fil rouge cramoisi sur la gorge, d’une oreille à l’autre, parfois au milieu du front. Qu’ont-ils faits, ces pauvres ères, pour mériter une pareille fin ? Les corbeaux ne se posent pas la question alors qu’ils volent en cercle au-dessus des flammes, repérant ici et là la joue tendre d’un enfant à jamais endormi, ou la galbe blanche d’une fesse impudique. 

 

En une nuée macabre, ils s’écrasent sur le sol et de leurs becs, ils charognent les mutilés, ouvrent davantage les plaies, en tirent avec délectation et appétit les vers du nez, cette même vermine qui a commencé le lent travail de la décomposition. Ils ne savent pas, pourtant, que même s’ils effacent le cruel affront, Nirma ne l’oubliera pas. 

 

La jolie Vallée de Nirma ne connaîtra plus jamais le silence. 


Pour celui qui écoute, on y entendra à jamais le son funeste de sucions et de mastication de la chair qui passe sous la dent, qui s’arrache de sur les os. L’odeur nauséabonde, mélange de brûlé et de pourriture, restera à jamais dans les mémoires comme le parfum le plus injuste et le plus douloureux jamais senti. 

Et même si les cadavres disparaissent, les cris résonneront à jamais dans la mémoire de celle qui a survécu. Car surtout, la jolie Vallée de Nirma ne connaîtra plus jamais la paix, elle qui n’a jamais voulu la guerre.

 

~*~

 

« Encore un… quand est-ce que cette folie s’arrêtera ? »
« Quand l'Ombre aura ce qu’il veut, c’t’à dire jamais… »
Marmonna une voix plus grave.

 

Les deux hommes se regardèrent en silence, avant d’adresser une prière à Eolia, non pas pour sauver l’âme de l’Ombre mais bien pour tous ces malheureux qui payaient le prix des erreurs passées. Ils soupirèrent avant de se séparer, chacun dans une tranchée, les bottes s’enfonçant dans la boue rendue molle par le sang. A chacun de leurs pas, quelques corbeaux s’envolaient seulement pour se poser un peu plus loin, les défiant aussitôt sur leur nouveau perchoir. Leur plumage gonflé, ils avaient l’air de se prendre pour quelques sombres rois, réclamant cette terre comme la leur.

 

Le premier homme – un individu massif, grand comme une montagne à la chevelure épaisse tombant jusqu’en bas du dos – eut un petit rire en pensant qu’ils avaient bien raison, ces satanés volatiles, parce qu’après tout, ils étaient toute une armée. Des mercenaires gratuits, tout offerts à la cause de l’Ombre, suivant de près les agissements de leur Maître pour mieux se repaître.

 

Jamais vu des corbeaux aussi gras, pensa d’ailleurs le même homme en s’éloignant sans les quitter du regard.

 

De l’autre côté du champ de guerre, le second homme, plus fluet et aux longs cheveux blonds, s’arrêta devant ce qui avait été la plus belle maison du village. Un manoir tout en hauteur, cossu, fait d’une pierre blanche que l’on ne trouve dans la carrière près du territoire de Terra.  Il n’en restait qu’une pâle copie de lui-même, le feu ayant détruit la majorité de la toiture, et la charpente ayant emporté une partie de la façade après avoir été dévoré par les flammes.

 

L’homme avança vers les portes fracassées, certain d’y trouver ce pour quoi il était là. Ses pas se firent légers. Ce n’était pas tant les survivants qui l’effrayaient – il n’y en avait jamais – mais les murs avaient été fragilisés par l’incendie. Il ne comptait pas mourir bêtement, et encore moins à cause de sa cupidité.

Il avait certes besoin d’argent pour nourrir sa famille, mais sa mort ne leur apporterait pas le moindre sou.

 

Il se fit léger sur le parquet grinçant. Son œil acéré s’attarda sur les tableaux, par curiosité, même s’il n’aimait pas trop en savoir sur les défunts. Un voleur ayant bien le droit d’être sentimental parfois… Quelques cadres encore en place offraient à la vue une belle Dame à la chevelure d’un bleu de nuit magnifique. La parure de diamant décorait sa superbe gorge. Ses yeux bleus semblaient intransigeants. La Dame était dure, mais d’une beauté implacable. Sur les autres, éventrés et brisés sur le sol, donnaient en spectacle des scènes de vie.


La Dame partageait sa toile avec un homme robuste et élégant, aux cheveux blonds et aux yeux d’or. Ensemble, ils avaient au moins deux enfants, une fille et un garçon, tous les deux à la tête brune. Les sourires semblaient sincères, même si les peintres avaient toujours la manie de rendre les choses plus douces…
La gamine devait avoir l’âge de son garçon. Il détourna les yeux en sentant son sang ne faire qu’un tour, avant de se trouver ridicule.

 

« Tu t’fais encore du mal, mon pauvre Dmitri… »

Le blond sursauta, se retournant prestement vers l’homme qui ressemblait à une montagne.

« Gontran ! Annonce-toi p’tain, j’ai bien cru que j’allais t’tuer et vomir à la fois ! »
« Pfft, t’as surtout eu vach’ment peur ouais… T’aurais vu ta tête… »

 

Un nouveau sourire passa sur les lèvres épaisses du géant avant de s’effacer doucement pour revenir à une expression plus sérieuse.

 

« Y a personne dehors. Ils sont tous morts. » Le timbre de sa voix était grave, profonde.

C’était pas la meilleure idée qu’ils avaient eu pour se faire de l’argent, mais Dmitri avait besoin de liquidité assez vite, et lui… est-ce qu’il avait autre chose à faire que de courir à sa perte ?

Le géant se racla la gorge : « On prend ce qu’on peut et on s’en va, avant qu’Il ne lui vienne l’idée de repasser par là. »

 

Dmitri hocha la tête à son tour. Il suivit en silence le pas lourd de Gontran, restant dans son ombre, n’en sortant que pour attraper d’une main hésitante l’argenterie n’ayant pas ou peu fondue, tout ce qui pourrait être négocié plus tard. Le silence était pesant, mais ils commençaient à avoir l’habitude. Ils se pressèrent un peu, passant devant une première chambre à coucher où il n’y avait rien qu’un matelas éventré. Pas de sang.
Dmitri se sentit presque rassuré, mais c’était sans compter le fait que Gontran s’immobilise sur place, obstruant la porte de la seconde chambre. Sa main se posa machinalement sur le pommeau de son épée. Le cœur du blond se mit à battre dans sa poitrine. La nausée grimpa, oppressante. Il se voyait déjà mort, des mouches plein les yeux, le contenu de son ventre étalé devant lui.

 

« Gontran ? »

 

Le géant ne répondit pas.

 

« Gontran ? Tu fous quoi là ? »

 

Le géant ne répondit toujours pas, mais il bougea. D’un pas seulement, en direction de l’intérieur de la chambre.

Dmitri se mordit la lèvre, tentant de se persuader qu’il ne s’agissait que d’une mauvaise blague, mais ça n’en avait pas l’air.


Au lieu de ça, Dmitri jeta un regard sur le côté et l’aperçut.

 

Quelque chose était là.

 

Toute petite et menue, ses longs cheveux noirs la dissimulant dans l’obscurité de la pièce. Seuls deux billes d’or brillaient vivement, jetant un regard terrible aux deux étrangers qui se présentaient devant elle. Il fallut quelques secondes de plus à Dmitri pour apercevoir le fer d’une épée qu’elle pointait devant elle, en leur direction. Une épée qu’elle tenait par le tranchant – non, ce n’était pas une épée, mais un reste d’une lame brisée. 
Dans son autre main enfin, elle tenait fermement quelque chose – une boule ? Une balle ? Un coussin ? Quelque chose d'important, qu'elle gardait jalousement.

 

Gontran fit un pas vers elle, mais la gamine siffla à la façon d’un chat sauvage acculé. Ses yeux d’or s’ouvrirent davantage et ce malgré la douleur qui semblait la parcourir. Quelques rayons de lumière éclairèrent son visage barré d’une plaie profonde au niveau du nez, dévoilant le cartilage blanc sous l’épiderme.

 

« Petite », la voix de Gontran se voulait douce, mais la gamine ne semblait pas les comprendre.

 

Elle serra plus fort sa main sur l’épée, ravivant la douleur, laissant de nouveau du sang épais roulait sur le tranchant. La morsure de l’acier la réveilla, mais elle n’était pas assez en forme pour se redresser.
Dmitri jeta un regard à la chambre. Tous les murs avaient été attaqués par les flammes, mais elle semblait intacte.

Comme si elle avait été ignifugée… Il eut une petite moue dubitative, avant de reporter son attention sur elle.

 

« Petite, nous ne te voulons aucun mal, allons… » Le géant avança d’un pas, avant de se suspendre.

 

« Gontran… Gontran, r’garde à tes pieds… »

 

L’homme brun s’arrêta et pencha la tête.

Sur le sol, un tout petit corps gisait sans vie, mais surtout sans tête.

Quand Gontran releva la tête, et qu’il posa son regard sur la chose qu’elle tenait fermement contre elle.


Il comprit.

Modifié (le) par Sha
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