Alors que Beedeezzz venait tout juste de s'échapper tant bien que mal du vieux coffre, Carbonne resta silencieuse au milieu des autres jouets qui semblaient inanimés. Mais elle savait très bien qu'ils ne tarderaient pas à tendre l'oreille - où ouvrir l'oeil, c'est selon les possibilités de chacun - aux vues des voix extérieures qui se multipliaient. Elle ne reconnaissait que la voix usée de Beedeezzz. Cependant, elle percevait des hennissements, des légers grincements de bois, des bruits lourds comme si quelqu'un était tombé de haut, de très haut. Très rapidement, cette agitation l'intrigue. Elle jette alors un regard furtif, sur les autres jouets, au travers de son cercueil et un regard honteux sur sa carcasse, son squelette de bois que le feu a rongé sans remords. Un regard très bref. Ce corps de bois qu'elle estime avoir perdu, elle le connaît mieux que sa poche - même si elle n'a pas de poche -, elle en connaît les moindres rainures, elle situe avec précision les surfaces où le bois change de teinte. Ces surfaces où autrefois son bois brillait autant que l'ambre. Aujourd'hui, ce ne sont que des plaines de cendres qui ne reflètent que l'ombre de la mort. Oui Carbonne a honte de son corps - et à peine ose-t-elle l'appeler ainsi -, et elle évite tant qu'elle peut de l'éclairer de la lumière perfide du jour. Personne ne la dérangera, se rassure-t-elle. Puis, elle pousse le couvercle du coffre de ses petits bras articulés, et l'ouvre avec quelques difficultés. La crinière blanche de Beedeezzz s'éloignait à quelques mètres sur le dos d'un drôle d'étalon. Un pantin et un joujou n'ont jamais fait bon ménage, songea Carbonne - même si les joujous et les pantins ne font jamais le ménage -. Peribo non plus, d'ailleurs, en tout cas pas pour ses pantins. En effet, une large pellicule de poussière recouvrait le couvercle du coffre, mais également l'intérieur de celui-ci. Carbonne respirait cette saleté, elle suffoqua. Des souvenirs brûlants vinrent effleurer ses songes. Perturbée, la force qu'elle exerçait avec ses bras s'évanouit. Le coffre laissa échapper un gémissement qui ne manquerait pas de les réveiller tous. " Chuuuuuuuuuut !" lança-t-elle exaspéré par ce foutu coffre qu'elle aurait bien fait brûlé. En attendant, elle réajusta correctement ses cheveux devant son visage, s'allongea, les bras en désordre, et les pieds gisant dans des sens opposés. On l'aurait presque cru morte. C'est d'ailleurs ce qu'elle voulait. Eviter la conversation, et éviter les autres.