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Terre des Éléments

Orc qui peut


Salaha Luvia
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Jour 3, Période Festiva, 104 AC.

Depuis son passage sur Terra et son retour fort mouvementé, la jeune magicienne était hantée par de biens étranges rêves. Tantôt elle se faisait dévorer par un poisson géant, tantôt elle mourrait étouffée dans des sables mouvants. Elle voyait là deux options parmi mille autres du châtiment que pouvait lui réserver les Dieux. Elle priait chaque soir Posicillon de la pardonner pour ses écarts, et louait chaque matin le Dieu Unique d'être encore en vie. Pourtant, cela ne suffisait pas à apaiser son âme tourmentée. Dans les rares instants où sa paranoïa la laissait tranquille, elle s'efforçait de se convaincre que, native d'un autre monde, elle n'avait pas à craindre les divinités de celui-ci. Par ailleurs, elle ne parvenait à se rappeler l'identité de celles de son monde d'origine. Elle avait même fini par se convaincre qu'il n'en existait aucune. Un monde sans Dieux, sans magie, sans monstre, sans combat... sans orc.

- Foutues bestioles que ces créatures là !

Elle regardait la dame qui se tenait devant elle, en pleurs. De ce qu'elle avait suivi de l'histoire, son village était assiégé par l'armée orc, son fils retenu prisonnier. Elle demandait aide, par l'Unique. Peut-être un moyen de racheter ses péchés ? Salaha se souvenait aussi de cette lettre qui prenait la poussière au fond de sa besace. Elle avait promis d'aider Nymphéa, espérant y gagner le pardon du Dieu de l'Eau. Les nymphes n'étaient-elles pas ses préférées parmi toutes les créatures de cette contrée ?

- Oui, oui, je vous aiderai. J'irai voir ce qui se trame dans ce village et vous ramènerai des nouvelles de votre fils. Foi de Mage !

Sur ces mots, elle laissa là la pauvre mère. Elle savait à peu près où se trouvait le village en question. Elle était passée devant plus d'une fois. Elle se souvenait surtout des barbares qui en gardaient la seule issue. Comment allait-elle les convaincre de lui permettre d'entrer ? Elle y avait réfléchi plus d'une fois depuis sa rencontre avec Nymphéa, sachant fort bien que son amie Sylphe se trouvait justement par là. Aider un arbre millénaire, quel meilleur moyen de se faire oublier de Fimine ? Elle tenait là les solutions à tous ses problèmes divins. Pourtant une petite voix en sa tête criait que ce ne serait pas si facile. Cette fois, il n'était pas question de forcer le passage. Par contre, elle userait à nouveau de déguisement, en espérant qu'il serait plus réussi que le précédent. Elle en était venue à s'imaginer un passé d'actrice. Elle se souvenait vaguement de ces hommes et femmes jouant divers rôles sur dix mètres carré de planches. Le pis c'est que ça plaisait ! Non, du plus loin que remontait sa fragile mémoire, elle n'avait jamais posé le pied sur une scène.

Elle se dirigea d'un pas rapide vers l'entrepôt public. Elle y retira son armure orc, assemblée au prix de nombreux efforts ces derniers jours. Casque, tunique, bottes, bouclier... tout y était. Tout du moins, l'espérait-elle. Elle ressortit donc pour se rendre chez le teinturier. Bizarrement le bonhomme s'y connaissait aussi en l'art du maquillage.

« Peut-être avait-il accompagné une troupe de théâtre dans sa lointaine jeunesse ? »

Elle secoua la tête. Elle confondait encore avec cet autre monde, celui qui était sien. Enfin, qui avait été sien, mais qui ne l'était plus. Tout cela commençait sérieusement à lui tourner la tête. S'efforçant de ne plus y penser, elle attrapa les viscoses gluantes dans sa besace et les tendit, la mine écœurée, au teinturier. Elle sortit quelques minutes plus tard, verte de la tête aux pieds. Elle attendit d'être en vue du camp orc pour se vêtir de l'armure. Puis elle s'avança vers le garde, s'efforçant de grogner, et priant en silence que son plan fonctionnerait. Fait étonnant, on la laissa passer. Les orcs n'étaient guère réputés pour leur intelligence, en aucun monde par ailleurs. Toutefois, elle n'aurait jamais pensé qu'ils la prendraient pour une des leurs, même sous une couche de viscose verdâtre. Elle ignorait si elle devait s'en réjouir, ou bien s'en vexer. Elle remit à plus tard cette décision, et chercha des yeux un visage humain.

Elle aperçut un soldat blessé à quelques pas de là. S'approchant, elle s'enquit de son état, autant que de nouvelles d'autres survivants. D'un bras affaibli il lui indiqua une maison en ruines fort bien gardée, avant de rendre son dernier souffle. Elle se rendit compte alors qu'un orc se tenait accroupi, juste à ses côtés. Quoique la créature ressemblait étrangement à un certain rôdeur. Elle le dévisagea, tentant de percer le maquillage. Il la regarda à peine, se releva, et se dirigea vers le Sud du village. Une seconde d'hésitation donna à Sayanel plus d'avance qu'elle n'aurait voulu lui en laisser. Remise de sa surprise, elle le suivit aussi vite qu'elle le put sous son armure deux fois trop grande pour elle. Elle grimaça en passant tout près de ce qui devait être le chef orc, puis arriva au pied d'un escalier pour voir le rôdeur disparaître à son sommet dans ce qu'elle prit tout d'abord pour de la végétation. Sauf que ces plantes-là avaient des yeux, des griffes, des crocs... et ressemblaient à s'y méprendre à une horde de traocles. Comment avait-il pu traverser ça ?

Elle déglutit, s'apprêtant à le suivre malgré tout. Un cri strident la rappela à la raison. Entre les griffes, elle distingua ce qui devait être, à peu de choses près, un guerrier pigmé. C'en était plus que trop pour elle. Et puis, n'avait-elle pas un prisonnier à secourir et une lettre à porter ? Sauf que... sauf que Sylphe se trouvait au Sud du village lui avait-on dit. Alors à moins que l'arbre millénaire ait soudainement rétréci au point d'en être réduit à une brindille, il devait se trouvait au-delà de la marée de traocles et de pigmés réunis. Même les orcs ne s'étaient point aventurés par là. Sayanel avait-il pu survivre à cela ? Elle rappela à l'ordre sa curiosité. Ce n'était pas le moment de se lancer dans un suicide collectif. Elle retourna vers le Nord du village, saluant d'un groumph le chef au passage. Il ne se retourna pas, à son grand soulagement.

- Et bien, il ne reste qu'à libérer le fils Brinks...

Elle s'approcha d'un pas qui se voulait discret. Se tenant à bonne distance toutefois, elle attaqua le premier archer. Elle parvint à en venir à bout malgré quelques difficultés. Elle entreprit alors d'occire le second. La tâche fut plus ardue encore pour se débarrasser de l'orc-ailé. Mais alors que celui-ci rendait son dernier souffle, un barbare vint se mettre au milieu du chemin. Salaha entama ce combat, priant que ce soit le dernier. Maudite qu'elle était, elle pouvait toujours prier. Elle était encore aux prises avec le barbare quand deux archers sortirent des buissons, suivis de près par un autre volant. Elle n'eut d'autre choix que de renoncer, prendre ses jambes à son coup et se réfugier dans l'auberge la plus proche, vaincue.

Méditant son échec, elle s'empressa d'écrire deux missives. Au rôdeur d'abord, pour s'enquérir de sa bonne santé. Au Souffle ensuite, pour s'assurer d'une bonne escorte à sa prochaine visite en territoire orc. Cela fait, un bon bain ne fut pas de trop. Même si elle demeurait persuadée qu'il faudrait bien des jours pour faire partir l'odeur de cette maudite vermine. Et dire qu'elle devait y retourner.

- Si seulement cet idiot de prêtre n'avait perdu la clef. Quelques jours de prière en une église auraient peut-être suffit...

Soupirant, elle s'agenouilla près de son lit, et entreprit de se faire pardonner de Posicillon une énième fois.

Epilogue

Si la magicienne avait été plus attentive lors de sa fuite, elle aurait aperçu un orc débraillé courant en sens inverse. Un orc au visage étrangement humain qui hurlait vengeance un arc à la main. Si elle avait pris la peine de se joindre aux habitués de la taverne, elle aurait pu fêter dignement les prouesses d'un certain rôdeur qui se vantait d'avoir parlé à un arbre, nommé Sylphe et aidé des assaillants assiégés. Pourtant elle ne fit rien de tout cela. Aussi sut-elle seulement, par retour de missive, que Sayanel était bien vivant quoiqu'il lui faudrait investir dans un nouveau pourpoint, une fois encore.

Modifié (le) par Salaha Luvia
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Jour 8, Période Festiva, 104 AC.

Cinq jours s'étaient écoulés depuis son cuisant échec. La jeune magicienne ne parvenait toujours pas à digérer sa mésaventure. Il lui fallait trouver une solution pour approcher ce Brinks, voire même le tirer de sa prison. Sa mère, soulagée, se montrerait sans doute reconnaissante. En outre, même le Dieu Unique ne pourrait ignorer pareille bonne action tant la tâche se trouvait ardue. Elle y réfléchit longtemps, entre deux conversations au gré des allées-et-venues de la taverne. Elle avait finalement décidé de ne pas attendre l'aide de ses compagnons d'armes, tout du moins pas pour cette quête-là. Non, elle devait se débrouiller seule, ainsi ses actes auraient plus de poids aux yeux des divins. Quoiqu'il soit peu probable qu'un seul Dieu s'intéresse à son cas. Enfin, elle était bien décidée à apporter sa pierre à l'édifice de la grande lutte contre les orcs.

- Mais oui, bien sûr ! s'exclama-t-elle un beau matin.

L'homme à sa droite sursauta à ce cri de joie. Il grommela quelques mots sur les trouble-fêtes venant déranger les pauvres ivrognes pendant qu'ils cuvaient leur vin, puis se rendormit. Elle ne lui prêta guère attention, pressée qu'elle était de mettre en application son plan. Il lui fallut la journée pour rassembler assez de viscoses. En début de soirée, elle passa chez le teinturier puis prit la route du village assiégé. Elle grogna au garde qui, une fois de plus, la laissa entrer. Elle s'approcha discrètement de la prison à demi en ruine. Cette fois, elle contourna les archers pour s'attaquer au barbare caché dans les buissons. Ensuite, elle s'occupa de l'orc ailé, gardant bien de se tenir à bonne distance. Enfin, elle affronta les lanceurs de cure-dents, cibles bien moins dangereuses. Cette fois, elle parvint à passer. Elle se précipita dans le bâtiment, prête à saisir Brinks par la main pour le sortir de là. Elle ne l'y trouva pas. Il ne restait de sa présence qu'une pile de pendentifs posés sur le sol. Elle resta incrédule devant ce spectacle. Apercevant enfin le petit mot placé à côté, elle le lut à haute voix :

« Noble aventurier,

Navré de ne pouvoir t'accueillir en personne. Toutefois tu comprendras qu'après de longs mois passés à attendre que chacun d'entre vous viennent chercher preuve de ma survie, je souhaite prendre quelques vacances. J'ai laissé là assez de pendentifs pour pourvoir à la réussite de tous ceux qui se présenteront en mon absence. Je t'en prie, sers-toi et fais ce que tu as à faire. Bonne chance en tes tribulations.

Brinks Junior. »

Déçue, mais se souvenant qu'elle n'était pas à l'abri en ces lieux, elle attrapa un pendentif et sortit. Comme bien d'autres avant elle, sans doute, elle put festoyer à sa fictive victoire toute la nuit qui suivit. Ce monde était vraiment étrange.

Modifié (le) par Salaha Luvia
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